ces dames ont bien voté

Nom et prénom: DUCHEMIN Odette
âge: 22 ans
Profession: jeune infirmière
Milieu social**: petit bourgeois
Ville: Lille


Aujourd’hui, comme chaque dimanche, nous allons en famille à la messe de 7 heures à  l'église Saint-Maurice. Papa, maman, mes deux soeurs et grand-mère encore alerte pour son âge. Je l’aime bien et je lui fait régulièrement ses piqures, comme ça elle est pas obligée d’aller chez les soeurs de la Charité qui ont encore des vieilles seringues quasi moyenâgeuses !

Papa a dit que nous irions voter après la messe et qu’il faudra prier pour que le résultat n’amène pas les communistes au pouvoir et même pas la SFIO. Moi, je suis fière de pouvoir voter pour la première fois, même si je connais rien à tout ça.

Il y a quelques jours, papa nous a toutes  réunies dans le salon pour en parler de ces fameuses élections où les femmes vont pouvoir voter. Je sais qu’il n’était pas pour.
— Les femmes sont pas faites pour s’occuper de politique, qu’il a dit.
Il a ajouté que, si jamais nous voulions voter, ils ne nous l’interdirait toutefois pas. Grand-mère à gloussé :
— Il ferait bon que mon fils m’interdise de voter ! On aura tout entendu dans cette maison !
— Nous ferons comme tu nous diras, a répondu maman.
— Il faut voter RPF a tonitrué mon père, comme s’il nous enguelait toutes ! Il faut faire triompher la liste de René Gaifie, notre futur maire. Ce sera faire votre devoir de femmes pieuses. D’ailleurs Monsieur le Curé vous le confirmera samedi quand vous irez à confesse.

Ma mère a approuvé de la tête :
— Oui, oui, bien sûr Amédée, nous savons quel est notre devoir d’épouse et de filles. Chacune de nous fera comme tu as dit. C’est toi qui sait ce qui est bon pour Lille et pour la France du Général, notre sauveur. Mais j’espère qu’il ne faudra pas faire la queue pour ce vote, car je dois faire les gaufres en rentrant, et préparer le pot-au-feu puisque Tata Germaine et Oncle Adrien viennent manger je te le rappelle.

Mes soeurs, Marthe et Marie-Madeleine, se taisaient, têtes baissées comme d’habitude quand Papa parle. Je profitais d’un instant de silence pour grommeler entre mes dents :
— Moi je voterai pour qui je veux, en espérant bien entendu que papa entende…

Bien que la dernière de la famille, je suis la seule à avoir fait des études, mes soeurs servent au magasin, où les affaires reprennent doucement. Papa voulait que je m’occupe des rangements dans la remise, mais il n’était pas question de ça. J’ai réussi à faire des études d’infirmière en prétendant que, s’il le fallait, j’irai soigner les résistants blessés dans le maquis du Vercors. Je sais pas bien où c’est, mais on en a entendu parler. Mon père, bien que pas très favorable à la résistance avait quand même trouvé qu’il avait une fille quasi garçon-manqué, lui que le ciel a puni en ne lui envoyant pas de mâles pour assurer la lignée.

— Répète un peu ce que tu viens de dire, qu’il menaça le père. Chouette il avait entendu.
— Je voterai pour qui je veux que j’ai repris à haute et forte voix. Et si je vote PCF, c’est pas toi qui pourra m’en empêcher.
— Tu le fais honte Odette ! Je t’interdis de me parler comme ça. Tu voteras RPF comme moi, comme ta mère, comme tes soeurs,  et comme ma mère ! Compris ? Et baisse les yeux !

J’ai entendu Mémé marmonner dans son dentier :
— T’as raison ma petite-fille. Ton Pépé aurait approuvé. Mais réfléchis bien quand même, le cocos c’est de la vermine qui croit ni en Dieu, ni en Notre Seigneur Jésus-Christ (elle se signa), et ça c’est TRES grave ! Je voudrais pas que tu ailles en enfer.  car même dans l’isoloir Dieu verra quel bulletin tu mettras dans l’enveloppe !

Les jours suivants j’ai réfléchi à tout ça. Pas si simple que cela de voter finalement. Samedi matin j'en ai parlé à Monsieur le curé Grégoire qui m'a dit :
— Tu fais bien de me demander mon avis. Le seigneur te récompensera si tu votes correctement. Souviens toi que je t'ai appris au catéchisme qu'il fallait agir selon sa conscience, mais une conscience éclairée par moi, qui suis ton directeur de conscience. Dès lors je te dis ceci : Tu dois toujours honorer ton père et ta mère, C'est dans les commandements de Dieu. Aussi tu te fieras à l’avis de ton Père au sujet du vote. Si tu transgresses ce que je viens de te dire de la part de Dieu, il faudra à nouveau te confesser, mais je ne te garantis pas l'absolution.

Voilà. La messe de ce dimanche se termine. Nous sortons en rang d'oignons, Papa en dernier, qui vérifie que nous nous dirigerons bien toutes en face au bureau de vote de la mairie. Papa tient entre ses mains tous les papiers qui nous concernent : Cartes d'identité, Cartes électorales, et je ne sais quoi encore.
Au moment de voter je pense : nous allons toutes voter comme un seul homme. Ça me fait sourire cette espèce de jeu de mot qui vient de me venir. Comme un seul homme : comme papa!…

En rentrant à la maison, papa c'est montré très enjoué et a dit à maman :
— Et voilà ! Finalement, c'est parfait le vote des femmes : je viens de mettre cinq bulletins RPF dans l'urne !

Et finalement, tu as voté comme ton père et saint père, si je comprends bien ?

Pas du tout !
Je pense qu'elle a voté comme elle voulait.
Jolie caricature de famille !Avec le curé en prime !

La fin de mon texte ne le dis pas assez clairement ?

Elle a forcément voté comme son père....
Vu la dialectique très jésuitique du Curé.... la pression paternelle et les mises en garde générales....


(texte inspiré d'une compilation de comportements réels de bien des femmes de l'époque)

Je crois que tu as, en effet, bien cerné la réalité des conditions de la femme face à ce premier vote au moins dans les milieux bourgeois. La puissance paternelle et celle de l'église, inculquées depuis l'enfance, ne leur laissaient qu'une relative liberté de choix. J'aime à penser que les femmes actuelles, bien au fait des réalités politiques et moins soumises à cette éducation ont dépassé ce stade et votent en toute connaissance de cause.

Mon Antoinette ressemble à ton Odette ! Sauf que Antoinette a fait plus du chemin !

Un texte édifiant avec le Pater familias dans toute son horreur, hypocrite en plus, « pas très favorable à la résistance », mais qui fait voter RPF, et laisse voter les femmes à condition qu’elles votent comme lui. (le cynisme dans sa dernière réplique !)Quelle pitié que la seule femme qui a pu sortir un peu de l’obscurantisme ambiant se laisse finalement embobiner par les manœuvres paternelles et la rhétorique du curé. Tu n’es pas tendre envers l’Eglise, entre les seringues moyenâgeuses des sœurs de la Charité et les idées qui ne le sont pas moins.
A côté des autres textes de ce jeu, qui pour la plupart montrent des femmes qui manifestent liberté et indépendance, ton texte apporte un grincement salutaire en mettant l’accent sur le poids des conditionnements et des manipulations d'hommes qui ne reculent devant rien  pour préserver leur pouvoir.
Et bien entendu, venant de toi il ne fallait pas s’attendre à ce que la drôlerie soit absente.
Comme un seul homme : bien trouvé.
Et ce tableau familial désolant parait malheureusement très crédible

Il faut voter RPF

Dès la 1ère lecture, j'ai eu un doute, notamment après avoir suivi une émission mardi dernier sur A2 qui retraçait cette époque (à mon sens de façon assez impartiale), au 29 avril 1945, De Gaulle n'avait pas encore crée le RPF, ce qui fut fait le 14 avril 1947
voir  http://fr.wikipedia.org/wiki/Rassemblement_du_peuple_fran%C3%A7ais

Sinon, image certainement conforme à ces milieux-là ...  

catsoniou a écrit:

Dès la 1ère lecture, j'ai eu un doute, notamment après avoir suivi une émission mardi dernier sur A2 qui retraçait cette époque (à mon sens de façon assez impartiale), au 29 avril 1945, De Gaulle n'avait pas encore crée le RPF, ce qui fut fait le 14 avril 1947
voir  http://fr.wikipedia.org/wiki/Rassemblement_du_peuple_fran%C3%A7ais

Sinon, image certainement conforme à ces milieux-là ...  

Oui, oui tu as raison... j'ai commis un anachronisme!
d'ailleurs René Gaifie, ne fut maire RPF qu'une 1947 !
j'aurais du parler du MRP ! et de l'Abbé Pierre (député MRP en 45)

Merci pour ta contribution à la vérité historique !

Texte très réaliste en ce qui concerne le pouvoir du père sur les décisions de vote de toute la famille. Les choses ont bien changé depuis.

Il y a pas mal de lourdeurs dans ton texte (des "que" en pagaille par exemple!) et un paragraphe un peu brouillon dont cette phrase:

Mon père, bien que pas très favorable à la résistance avait quand même trouvé qu’il avait une fille quasi garçon-manqué, lui que le ciel a puni en ne lui envoyant pas de mâles pour assurer la lignée.


 pour cette version du vote des femmes, qui prouve qu'à l'époque, les hommes avaient une grande influence sur leurs décisions.

AlainX a écrit:La fin de mon texte ne le dis pas assez clairement ?

Elle a forcément voté comme son père....
Vu la dialectique très jésuitique du Curé.... la pression paternelle et les mises en garde générales....


(texte inspiré d'une compilation de comportements réels de bien des femmes de l'époque)

Moi je veux penser qu'elle a fait croire à son père qu'elle a voté comme lui !
Malgré la pression sous le regard de Dieu.
C'est ainsi que je veux penser ta fin de récit ^^