Le mariage raté de Prosper Durandon.

En ce mois de juin étincelant de lumière, tout le village s’apprêtait à célébrer le mariage de Prosper Durandon avec la belle Eglantine Sarazin. Les invités étaient arrivés à l’aube. Un premier contact s’était établit. Chacun dosait ses propos en vidant son verre. Tout semblait parfait. Les parents du marié étaient présents. Ceux d’Eglantine  étaient là aussi, déroulant le tapis rouge afin de faire bonne impression, puisque c’était chez eux que devait avoir lieu l’évènement. Ils ne voulaient pas d’une cérémonie ratée. L’oncle  Bazile entonna un chant à la gloire des futurs époux sur l’air des mariés de l’an deux.
Un copieux repas  serait servi après le passage en mairie et à l’église :

- Filets de coq des champs, en entrée, assorti d’un blanc sec du Verdon et galantine de julienne aux herbes des près.
- Roti de dinde façon grand-mère et son fumet de lentilles.
- Pain perdu aux cèpes sur son lit de feuilles.
- Ronde des prairies.
- Tartes aux myrtilles et aux framboises de la vallée de l’Alagnon.
- Melon d’Escoutoux.
- Liqueurs et spiritueux.

Alors qu'on s’apprêtait à partir pour la cérémonie, belle maman Durandon agrippa le bras de son fils et l’entraîna à l’écart du cercle familial.
« Il faudra faire attention mon garçon, lui dit elle, cette Eglantine m’a l’air un peu fourbe ! et son père ! le bel Etienne, ne me dit rien qui vaille. Trop poli pour être honnête ! »
Cela aurait pu être sans conséquence si placée à proximité, la tante Eugénie n’avait surpris la conversation.
« Comment ça ? Fourbe ma nièce ? Malhonnête, mon frère ? Mais vous êtes vous donc regardé ma chère ? Avec votre fils empoté comme une baderne ? Et vous ?  Avec vos airs de vieille autruche mal emplumée ? »
Agacée, elle prit son ombrelle et bondit sur la belle mère, qui pour se protéger agita son missel en guise de bouclier.
Alertée par les cris, Eglantine accourue, demanda des explications.

« Que se passe-t-il donc ici ? Nous allons être en retard et vous vous querellez ?
« Mais c’est elle » ! gémit belle maman, pointant la tantine du doigt « elle veut me tuer ! »
«  Comment çà sorcière ? » S’emporta la tata. « Rèpète un peu ce que tu viens de dire ! »  
Perplexe, belle maman entra dans une telle furie, qu’elle bouscula la tantine, qui s’entrava dans le voile d’organdi de la marié et tomba, après un vol plané mémorable,  dans le purin des cochons ! Mon Dieu ! quelle cacophonie s’ensuivit ! et quelle puanteur !   Voyant cela, Eglantine  qui n’en pouvait plus de rage, sauta au cou de la belle mère et l’étrangla sous les yeux de la foule médusée.

Le mariage tant attendu n’eut pas lieu.  C’est  à une toute autre manifestation que les invités assistèrent. Heureusement, il est de coutume d’organiser un repas funèbre, pour les enterrements, ainsi donc aucune nourriture ne fut gâchée.
Les convives firent quand même la fête et trinquèrent avec la marré chaussée  venu cueillir sur le champ la belle Eglantine Sarazin.