A Tantale
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Admin
Nerwen
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A Tantale
Enfin, les voilà partis ! C’est long trois mois ! Ça n’en finit pas ! Trois mois de tentations, à supporter les va-et-vient, les cris, l’odeur… Ah, l’odeur ! Le parfum ! Le fumet…
Il paraît qu’un certain Tantale a déjà connu semblable supplice : désirer une chose, la désirer ardemment et ne pas pouvoir l’atteindre. En être empêché par une espèce de molosse qu’ils appellent Patou. A première vue il a l’air bien pataud le Patou, bonasse et lourdaud, mais il ne faut pas trop s’y fier car il possède un nez de pointer, une montagne de muscles, une force de taureau et une mâchoire qui n’a rien à envier à la mienne.
Et puis il y a les hommes. Le berger est maintenant équipé d’armes lourdes et il TIRE ! Avant, quand je devenais un peu insistant à rôder la nuit autour du troupeau, armé d’une vieille pétoire il lâchait ça et là une décharge de chevrotines, mais en l’air, pour effrayer. Maintenant il tire dans le tas. Pour tuer ! Et il a le droit de le faire. D’espèce « strictement protégée » par le sixième article de la Convention de Berne, je suis devenu persona non grata par la grâce d’obscurs codes des communes, ressortis du fin fond de greniers juridiques, et qui permettent, "pour prévenir des dommages importants au bétail", de « requérir des habitants avec armes et chiens propres à la chasse de ces animaux afin de les détruire ».
Voilà pourquoi j’ai passé trois mois, en gros quatre-vingt-dix nuits, sous la pluie ou par beau temps, sous l’œil moqueur de la lune changeante, à baver de convoitise devant les cuissots dodus des brebis, qui devenaient, au fil des mois, de plus en plus grasses et appétissantes.
Pour aggraver encore ma frustration, il a eu des naissances au sein du troupeau, de tendres agnelets, laineux, grassouillets, l’eau m’en vient à la gueule, et pas un seul à se mettre sous les crocs. Ils étaient protégés, mieux que le plus précieux des trésors, pas question de les voir se désaltérer dans le courant d’une onde pure, ce fabuliste était un affabulateur.
Enfin, ils partent ! Les préparatifs du retour ont été rondement menés, tout a été nettoyé, et vous allez voir qu’ils ne m’auront même pas laissé une misérable croûte de fromage…
Les premières brebis dévalent déjà la pente, le Patou, infatigable, décrit des cercles autour d’elles…
Je vais quand même les suivre à distance, au cas où la chance, enfin, me sourirait. Je ne demande pas grand-chose, juste un petit coup de patte du destin : un retardataire plus ou moins éclopé, distancé par le troupeau, et ce sera une affaire rondement menée !
Il paraît qu’un certain Tantale a déjà connu semblable supplice : désirer une chose, la désirer ardemment et ne pas pouvoir l’atteindre. En être empêché par une espèce de molosse qu’ils appellent Patou. A première vue il a l’air bien pataud le Patou, bonasse et lourdaud, mais il ne faut pas trop s’y fier car il possède un nez de pointer, une montagne de muscles, une force de taureau et une mâchoire qui n’a rien à envier à la mienne.
Et puis il y a les hommes. Le berger est maintenant équipé d’armes lourdes et il TIRE ! Avant, quand je devenais un peu insistant à rôder la nuit autour du troupeau, armé d’une vieille pétoire il lâchait ça et là une décharge de chevrotines, mais en l’air, pour effrayer. Maintenant il tire dans le tas. Pour tuer ! Et il a le droit de le faire. D’espèce « strictement protégée » par le sixième article de la Convention de Berne, je suis devenu persona non grata par la grâce d’obscurs codes des communes, ressortis du fin fond de greniers juridiques, et qui permettent, "pour prévenir des dommages importants au bétail", de « requérir des habitants avec armes et chiens propres à la chasse de ces animaux afin de les détruire ».
Voilà pourquoi j’ai passé trois mois, en gros quatre-vingt-dix nuits, sous la pluie ou par beau temps, sous l’œil moqueur de la lune changeante, à baver de convoitise devant les cuissots dodus des brebis, qui devenaient, au fil des mois, de plus en plus grasses et appétissantes.
Pour aggraver encore ma frustration, il a eu des naissances au sein du troupeau, de tendres agnelets, laineux, grassouillets, l’eau m’en vient à la gueule, et pas un seul à se mettre sous les crocs. Ils étaient protégés, mieux que le plus précieux des trésors, pas question de les voir se désaltérer dans le courant d’une onde pure, ce fabuliste était un affabulateur.
Enfin, ils partent ! Les préparatifs du retour ont été rondement menés, tout a été nettoyé, et vous allez voir qu’ils ne m’auront même pas laissé une misérable croûte de fromage…
Les premières brebis dévalent déjà la pente, le Patou, infatigable, décrit des cercles autour d’elles…
Je vais quand même les suivre à distance, au cas où la chance, enfin, me sourirait. Je ne demande pas grand-chose, juste un petit coup de patte du destin : un retardataire plus ou moins éclopé, distancé par le troupeau, et ce sera une affaire rondement menée !
Nerwen- Modératrice
- Humeur : Légère
Re: A Tantale
Je n'avais pas pensé au point de vue du loup en écrivant la consigne ( j'imagine que c'est de lui dont tu parles? ) et je trouve que c'est une bonne idée
C'est pour l'histoire que tu dis que le berger a le droit de tuer le loup ou bien c'est vraiment autorisé maintenant? Nous n'avons pas de loup dans les Pyrénées mais dans les Alpes ca pose problème.
C'est pour l'histoire que tu dis que le berger a le droit de tuer le loup ou bien c'est vraiment autorisé maintenant? Nous n'avons pas de loup dans les Pyrénées mais dans les Alpes ca pose problème.
Admin- Admin
- Humeur : Concentrée
Re: A Tantale
Super le point de vue du loup! Une approche très originale et bien menée.Une est...ive qui creuse l'est...omac!
virgul- Kaléïd'habitué
- Humeur : optimiste
Re: A Tantale
Un nouveau point de vue, pas inintéressant d'ailleurs, que celui du loup.
Admin, je craints pour ces pauvres bêtes que l'homme n'ait pas rangé ses vieux articles de lois datant du siècle d'avant 1900 où des battues avaient lieu pour éradiquer ce noble prédateur !
Admin, je craints pour ces pauvres bêtes que l'homme n'ait pas rangé ses vieux articles de lois datant du siècle d'avant 1900 où des battues avaient lieu pour éradiquer ce noble prédateur !
Escandélia- Kaléïd'habitué
- Humeur : joyeuse
Re: A Tantale
J'adore les pensées que tu prêtes au loup et comment il "analyse" la situation. Un texte drôle, plein d'humour fin, des mots à croquer! Bravo Nerwen!
Je crois bien que je vais raconter cette histoire-là à ma petite-fille pour faire le pendant avec le Petit Chaperon rouge! Et la prochaine fois que je quitte la montagne, je laisserai un bel os garni de viande derrière le chalet
Je crois bien que je vais raconter cette histoire-là à ma petite-fille pour faire le pendant avec le Petit Chaperon rouge! Et la prochaine fois que je quitte la montagne, je laisserai un bel os garni de viande derrière le chalet
Mesange- Kaléïd'habitué
- Humeur : en phase de reconcentration
Re: A Tantale
Ton loup est sûrement soulagé de voir s'éloigner la tentation qui l'a fait souffrir tout l'été. Mais je crois bien qu'il s'y mêle quand même quelques regrets : zut alors ! Pas avoir su profiter de l'aubaine...
Bien aimé ton texte Nerwen !
Bien aimé ton texte Nerwen !
Invité- Invité
Re: A Tantale
Merci de vos commentaires
Pour te répondre Admin, j'avoue avoir un peu "extrapolé". Les deux articles que je cite
"pour prévenir des dommages importants au bétail", et
« requérir des habitants avec armes et chiens propres à la chasse de ces animaux afin de les détruire »
sont des articles du code des communes limitrophes du Mercantour, ressortis par les maires de ces communes lors du retour du loup dans la région, en 1992. Ce texte date de… 1871. Personne n’avait songé à le faire abroger en raison de son inutilité, en l'absence de loups. D'autre part l'article 8 de la Convention de Berne prévoit des dérogations à son application, en particulier pour "Prévenir des dommages importants aux cultures, au bétail, aux forêts, aux eaux et autres formes de propriétés".
C'est au nom de cette mention que la Chambre d'Agriculture des Alpes -Maritimes, et la commission d'enquête parlementaire avec elle, clament l'incompatibilité de l'élevage avec la présence du loup.
Pour te répondre Admin, j'avoue avoir un peu "extrapolé". Les deux articles que je cite
"pour prévenir des dommages importants au bétail", et
« requérir des habitants avec armes et chiens propres à la chasse de ces animaux afin de les détruire »
sont des articles du code des communes limitrophes du Mercantour, ressortis par les maires de ces communes lors du retour du loup dans la région, en 1992. Ce texte date de… 1871. Personne n’avait songé à le faire abroger en raison de son inutilité, en l'absence de loups. D'autre part l'article 8 de la Convention de Berne prévoit des dérogations à son application, en particulier pour "Prévenir des dommages importants aux cultures, au bétail, aux forêts, aux eaux et autres formes de propriétés".
C'est au nom de cette mention que la Chambre d'Agriculture des Alpes -Maritimes, et la commission d'enquête parlementaire avec elle, clament l'incompatibilité de l'élevage avec la présence du loup.
Nerwen- Modératrice
- Humeur : Légère
Re: A Tantale
Un texte bourré d’humour, le monologue de ce malheureux loup bavant de convoitise devant le troupeau des estives. Le pauvre m’a fait pitié, de voir ligués contre lui Patou, berger et règlement. Je lui souhaite de finir par l’avoir son gigot. Parmi d’autres trouvailles, j’adore ces deux-là :
l’œil moqueur de la lune changeante
et
Le fabuliste était un affabulateur
l’œil moqueur de la lune changeante
et
Le fabuliste était un affabulateur
tobermory- Kaléïd'habitué
- Humeur : Changeante
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