Kaléïdoplumes 3
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
Le Deal du moment : -40%
-40% sur le Pack Gaming Mario PDP Manette filaire + ...
Voir le deal
29.99 €

A.Tobermory. La quête

4 participants

Aller en bas

A.Tobermory. La quête  Empty A.Tobermory. La quête

Message  tobermory Sam 14 Nov - 11:22

J'ai toujours pensé qu'un livre est écrit pour tous mais qu'il peut n'être destiné qu'à une personne en particulier et ce que je cherchais, c’était cela, le livre écrit pour que  je le rencontre un jour. Que je puisse dire «c’était écrit, de toute éternité nos routes devaient se croiser, se fondre, ne faire plus qu’une. » Je   nourrissais depuis très jeune un culte pour l’écriture et pour le livre. Mais attention, j’ai vite compris que les vrais livres sont rares. Il ne suffit pas pour mériter ce titre d’être un objet parallélépipédique constitué de feuilles imprimées. Il faut que ces pages vous parlent au plus profond de vous-même, qu’elles soient comme le reflet de Dieu dans un miroir.  Aussi avais-je ouvert et rejeté quantité de volumes, pierres inutiles qui ne faisaient qu’encombrer mon chemin. Jérôme, une connaissance, pétri de culture chrétienne, avec qui j’en avais discuté, m’avait dit : « ne cherche plus, le voilà ton livre » et il m'avait tendu la Bible, comme l’avaient déjà fait à ma porte maints représentants en religion. Je l'avais laissé parler et s’enflammer pour ce pavé lancé du fond des âges. Le Livre par excellence, disait-il, celui dont tous les autres ne sont que des déclinaisons affadies, voir corrompues ou perverties.

Je l’avais scandalisé en répondant que je l’avais parcouru en tous sens comme un labyrinthe, que j’avais failli m’y perdre et que j’en avais définitivement claqué la porte. Trop pour tous avais-je expliqué, et pas assez pour moi. Le seul livre qui se rapprocherait de ce que je cherchais, c’etait encore le Dictionnaire. La vérité ultime y figure, mais hélas, sous forme de puzzle. Et je n’ai pas la patience ni le temps de lancer les mots dans le cornet à dés jusqu’à ce qu’ils retombent dans le bon ordre, comme le faisaient les cabalistes.
Jérôme m'avait gratifié d’un regard d’incompréhension et de mépris mêlé, murmurant :
– Tu es sur une mauvaise pente, ton orgueil te perdra.

Je ne tardai pas à m’engager sur une pente qu’il aurait jugée plus mauvaise encore. Déçu par Dieu, le Ciel, les anges, je commençai à regarder de l’autre côté du miroir, du côté sombre, celui des forces du mal. Au vrai, ce n’était pas le mal lui-même qui me fascinait, c’était son côté secret, tapi dans les bas-fonds des inconscients et des grimoires oubliés, refoulé, rejeté, inavouable. Tout ce qui s’épanouissait dans la lumière, que ce soit celle de la science ou celle de la religion me rebutait. Je participai à des messes noires, à des rites sataniques et je me commençai  à fréquenter les brocanteurs, bouquinistes, librairies d’occasion, à écumer les vide-greniers, jugeant l’intérêt d’un ouvrage à l’épaisseur de poussière et de crasse qu’il avait accumulées. Un livre me mettait sur la piste d’un autre. Je ne doutais pas qu’il y eût beaucoup d’inepties, inventions et supercheries, mais par recoupements j’acquis la certitude qu’existait quelque part ce livre que je cherchais.
Une énergie intense m’envahissait à mesure que je me sentais approcher des arcanes de ce savoir interdit. Un matin, après une nuit fiévreuse passée à psalmodier en boucle des formules ténébreuses  jusqu’à entrer en transe, je compris qu’un séisme mental était imminent. Tous mes sens se tendaient, mon cerveau vibrait, j’étais comme une fusée à l’instant du décollage. Et ce fut bien un décollage, un arrachement de la réalité tranquille de mon bureau pour me retrouver au milieu d’un paysage inconnu, comme on n’en voit que dans les cauchemars. Arbres morts aux poses dramatiques de suppliciés, rochers aux allures de bêtes tapies prêtes à bondir, ciel de plomb et de souffre qui semblait ne jamais avoir connu le soleil. Dans ce lieu chaotique, un chemin se dessinait. Je m’y engageais, sens aux aguets car je devinais autour de moi la présence de maléfices que je devrais dominer pour arriver au but. Je me sentais fort, plus fort qu’aucun homme sur terre,  prêt à affronter dragons, fleuves de feu, buissons carnivores. Mais les épreuves furent d’une autre nature.

Au bord du chemin, une clairière ensoleillée s’ouvrit dans le paysage sinistre. Non pas une clairière, un jardin, avec une maison derrière, je mis quelques instants à les reconnaitre : la maison et le jardin de mon enfance. Et jouant parmi les fleurs, une fillette en robe claire, Audrey, la gamine des voisins, mon premier amour. Des souvenirs de vert paradis refirent surface. Un piège pour éradiquer ma détermination ? Dans ma tête, une voix impérieuse me vrilla les neurones : « Tue-la ! » Je chancelai une fraction de seconde. Une autre voix, qui me sembla bien être la mienne  susurra : «  tu es dans un rêve, dans un fantasme freudien ; ça ne sera qu’un meurtre symbolique. » Je m’avançai vers la fillette qui me regardait – je devais avoir mon apparence d’enfant –   riante et confiante et encore quand je plaçai mes mains autour de son cou, croyant à un jeu. Puis le rire se mua en hurlement aussitôt étouffé et elle tomba mollement à mes pieds, les yeux hagards de terreur et d’incompréhension.

Je maitrisai mes tremblements et repris peu à peu mes esprits, tandis que le jardin s’estompait pour se fondre dans l’environnement lugubre. Il y eu d’autres épisodes de ce genre, dont le but était assurément de me couper de tout ce qui avait construit mon identité  bonne et heureuse, d’extirper de mon être sa part de lumière.
Je sus que j’arrivais au terme du voyage lorsque je débouchai dans un espace dégagé, d’un gris lunaire, au centre duquel il se dressait : le Livre, posé là, vertical et grand ouvert. Il avait la noirceur et la dureté du basalte et si haut que son sommet se confondait avec le ciel de suie. A coté la Bible n’'aurait été qu’une tache d’encre et les tables de la Loi une ardoise d’écolier.

Devant le gigantesque volume s’étalait un tapis livide de crânes fracassés et d’os brisés. Les restes de ceux que comme moi leur quête avait conduits jusqu’ici. L’épouvante se coula dans mes veines, mais l’exaltation était encore plus forte car sur les deux pages d’ébène ouvertes devant moi, l’écriture en incrustations d’argent luisait d’un éclat de couteau. J’avais décrypté suffisamment de grimoires pour être  capable de déchiffrer celui-ci. Je m’étais campé entre les deux pages et déjà le texte répandait dans mon sang ses toxines délicieuses. Je serai plus fort, plus malin que tous ceux qui m’avaient précédé ici. J’accèderai à la connaissance et au pouvoir suprêmes.

Un grondement me creva les tympans. Le livre se refermait lentement, la brillance de ses lettres me brûlait les yeux. Je tentai de bouger, fuir, mais mon corps était paralysé comme il arrive dans les cauchemars. Les pages de pierre compressaient ma chair, écrasaient mes os, qui iraient rejoindre ceux des autres téméraires, tandis que mon sang teinterait à jamais les lignes sataniques.

Un livre pour tous, mais ces deux pages seraient pour toujours les miennes.


Dernière édition par tobermory le Sam 14 Nov - 18:10, édité 1 fois
tobermory
tobermory
Kaléïd'habitué

Masculin Humeur : Changeante

Revenir en haut Aller en bas

A.Tobermory. La quête  Empty Re: A.Tobermory. La quête

Message  virgul Sam 14 Nov - 16:59

Un seul mot: magistral!

virgul
Kaléïd'habitué

Masculin Humeur : optimiste

Revenir en haut Aller en bas

A.Tobermory. La quête  Empty Re: A.Tobermory. La quête

Message  Escandélia Dim 15 Nov - 9:04

Te voilà délivré de tous les mots à présent !
Escandélia
Escandélia
Kaléïd'habitué

Féminin Humeur : joyeuse

Revenir en haut Aller en bas

A.Tobermory. La quête  Empty Re: A.Tobermory. La quête

Message  Invité Dim 15 Nov - 9:27

En d'autres temps, je t'aurais taquiné tu sais pourquoi. Là, je n'ai pas le cœur.

Invité
Invité


Revenir en haut Aller en bas

A.Tobermory. La quête  Empty Re: A.Tobermory. La quête

Message  Nerwen Dim 15 Nov - 19:37

Une quête assez "dérangeante" pour moi qui me suis arrêtée au Nouveau Testament lol! mais écrite de façon magistrale avec l'encre de l'Oeuvre au Noir. Quel talent
Nerwen
Nerwen
Modératrice

Féminin Humeur : Légère

Revenir en haut Aller en bas

A.Tobermory. La quête  Empty Re: A.Tobermory. La quête

Message  Contenu sponsorisé


Contenu sponsorisé


Revenir en haut Aller en bas

Revenir en haut

- Sujets similaires

 
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum