A. Une dernière limonade

Les mercredi après-midi, on descendait  au sous-sol. Au bout d’un long couloir qui avait tout d’un labyrinthe, on débouchait  enfin dans une petite salle aux lumières tamisées.

C’était bien, c’était chouette, au fond du café, chez  Laurette.

A tour de rôle, deux trente-trois tours tournaient en boucle dans la pièce enfumée. Héroes  de Bowie et Laisse béton de Renaud.
En écoutant Bowie on refaisait le monde, tranquilles et peinards, accoudés au comptoir en sirotant une limonade.

C’était bien c’était chouette au fond du café, chez  Laurette.

Quand Marianne entrait dans la pièce tous les garçons se retournaient sur elle.  Elle passait pas inaperçue la gonzesse, c’était la plus jolie de la bande.
Faut dire qu'elle avait  les yeux tell'ment qui étaient beaux, ils étaient bleus, on aurait dit des calots. Et avec ça une voix si douce quand elle prononçait avec son joli accent du sud « Let’s dance »

C’était bien c’était chouette au fond du café, chez  Laurette.

On savait mêm’ pas que le bonheur ça ressemblait à ça, on était bien  c’est tout. On comptait sur les potes et ils nous le rendaient bien.
Entre une clope partagée et  les mains dans le cambouis parce que la mob veut jamais démarrer, on pensait à rien d’autre qu’à la prochaine virée.

C’était bien, c’était chouette au fond du café, chez Laurette

Putain, c’est con, demain faudra vieillir, faudra s’ranger, faudra faire semblant de devenir grand.
On aura des bagnoles et des godasses en cuir, une cravate et une baraque à crédit. On aura du pognon mais plus rien à rêver, une épargne retraite et des mômes à élever.

Laurette, remets nous un coup de limonade, une dernière, j’ai rencard dans une heure avec Marianne sur les berges du Lot.