Kaléïdoplumes 3
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A.Le plus beau jour de sa vie

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Message  tobermory Ven 8 Avr - 21:18

Sa mère le lui avait assez répété « Profites-en bien, après tout, c’est le plus beau jour de ta vie ! » Et d’évoquer la cérémonie, les serments échangés, et puis ce soir la surprise, la révélation des mystères du mariage. « Tu seras peut-être étonnée, ma fille, mais n’oublie pas qu’Eric est ton mari et qu’il sait ce qui est bien pour toi »
Durant toute cette journée agitée, Eve a écouté d’une oreille un peu distraite les félicitations, les paroles solennelles du prêtre et du maire. Au repas, elle s’est forcée à picorer un peu des nombreux plats, juste un peu car elle avait l’estomac noué. Elle a souvent regardé Eric, sous l’œil attendri des invités qui pensaient « ah, l’amour ! ». Mais pour Eve, Eric était surtout une énigme, un point d’interrogation dans le livre de sa vie. Elle le connaissait à peine, c’étaient ses parents qui l’avaient jetée dans ses bras. Dans ses bras, c’est beaucoup dire car il n’a jamais été un fiancé bien démonstratif. Quelques baisers sur le front au cours de leurs promenades supposées romantiques dans la campagne, de vagues propos sur leur avenir, leur famille, leurs enfants. Il avait  une bonne situation, il travaillait dans une banque. Quand il parlait de son travail son œil s’allumait, il se lançait dans des envolées lyriques. Entre ses mains expertes l’argent croîssait et multipliait, comme une plante luxuriante, c’était magique. Certains ont la main verte, lui, avait la main jaune, jaune d’or. Il n’était pas laid, avec sa peau bronzée et ses traits réguliers, mais Eve lui trouvait quelque chose d’empesé et de mécanique dans ses gestes et ses sourires. On aurait dit la réplique, en plus grand mais à peine plus vivant de la figurine de faïence posée tout en haut de la pièce montée, avec la petite mariée.

Eve crevait d’ennui. Puis à mesure que la journée et l’interminable repas avançaient, elle se sentait noyée dans un tourbillon de paroles et de chansons, de trognes avinées qui la dévisagent et tentaient de l’entrainer dans leur hystérie. Elle aussi, elle était pompette, mais cela ne la rendait pas joyeuse pour autant. Elle avait hâte que tout cela finisse, et qu’on en arrive enfin à la fameuse surprise annoncée par sa mère.

Enfin la voilà partie avec Eric, dans le véhicule nuptial. Eric arborait un air grave, un air de dire « les choses sérieuses vont commencer. » Ils traversèrent des zones urbaines qu’elle ne connaissait pas et arrivèrent dans un quartier tranquille, aux maisonnettes toutes semblables, comme celles d’un béguinage. Ils s’arrêtèrent devant l’une d’elles. Eric descendit et elle le suivit, cœur battant. Elle avait si souvent lu dans les romans cette scène du mari qui soulève la jeune épousée dans ses bras pour lui faire franchir le seuil, qu’elle fut très surprise quand Eric poussa la porte et lui fit signe d’entrer, lui même restant à l’extérieur.
- Hé bien, dit-elle, tu n’entre pas ? Je croyais que le mariage, c’était vivre ensemble…
- Ce serait trop facile, ma chérie, il faut d’abord que tu fasses tes preuves.
Dans la maison, tout était en désordre, rongé de saleté et de poussière.
- Je repasserai d’ici quelques jours. Surtout, ne tache pas ta robe, ne la salis pas, ce serait un sacrilège. Et il ajouta : tu en a de la chance, chérie, de rester à la maison. Moi, je dois reprendre le travail après-demain.
Et il s’éloigna. Seule dans le taudis, elle n’avait même pas la force de pleurer, juste celle de chercher la chambre et de se laisser tomber en travers du vaste « lit conjugal », après avoir enlevé le dessus de lit douteux. Aussitôt, elle sombra dans un sommeil compact.

Elle fut réveillée par le soleil qui inondait la pièce. La poussière dansait dans les rayons filtrés par les vitres incrustées de crasse. L’air poisseux lui irritait la gorge. Elle explora la maison et découvrit dans un placard un assortiment de balais, serpillières, savons et produits d’entretien. Elle se mit au travail. Elle aurait bien changé de tenue, mais les penderies et les armoires ne contenaient aucun vêtement. Elle remonta sa robe de tulle jusqu’à mi cuisse et la noua tant bien que mal, histoire de limiter les dégâts.

En milieu de journée, épuisée, elle fit une pause, but de longues gorgées d’eau au robinet de la cuisine et dévora des croutons de pain rassis qui se desséchaient au fond d’un placard. Le soir, elle se coucha alors que la nuit était bien avancée, mais du moins dans une chambre presque habitable. Le lendemain, elle se remit au nettoyage avec rage. Au bout de trois jours, elle réalisa que malgré le beau temps, elle n’avait pas mis le nez dehors depuis qu’elle était entrée dans cette maison. Elle avait enchainé les balayages, récurages, décapages, s’accordant de rares pauses repas, avalant tout ce qui était comestible dans la maison. Elle n’avait pas un sou sur elle, mais dans une boite, elle avait trouvé quelques billets. Elle se risqua dans la rue, mariée sans mari, incongrue dans sa robe blanche ternie. Le soleil l’éblouissait, mais elle respirait avec gratitude cet air qui ne sentait ni le moisi ni les miasmes de la javel et autres chimies délétères. Dans la rue, toutes les maisons étaient semblables à la sienne. Seule tranchait la façade d’une superette. A l’intérieur, alors qu’elle circulait entre les travées en quête de quelques emplettes, elle eut la surprise de croiser deux autres mariées. Elle voulut leur parler mais elles chuchotèrent d’un air apeuré « pas ici, dehors… » L’homme à la caisse les observait avec mépris, jetant un regard dégouté sur leurs robes tachées.

Une fois dans la rue, Eve libéra le flot de paroles qui sortait tout seul après ces trois jours de silence. Elle raconta son arrivée avec Eric, il reviendrait bientôt, elle en était sûre.
- Bientôt ? demanda l’une des filles avec un rire amer, moi, Claire, je suis là depuis quinze jours, et Stéphanie, depuis deux mois. On est une bonne trentaine dans le « village du bonheur » et on n’en a jamais vu une en sortir.
- Le village du bonheur ? demanda Eve
- Oui, c’est le nom de ce quartier. C’est écrit sur les plaques de rues.
- Mais, dit Eve, nos hommes travaillent, c’est normal qu’ils veuillent avoir une maison impeccable
- Ah oui, dit l’autre fille, Françoise, tu demanderas à Rita, c’est la plus ancienne… 8 mois. Tout est nickel chez elle, sa robe est blanche comme neige, repassée et tout, n’empêche qu’elle attend toujours.

De retour à la maison, Eve n’avait plus de courage à rien. Elle se laissa tomber sur le lit et resta ainsi des heures, prostrée. Lorsqu’elle sortit de cet état, ce fut pour frapper les oreillers du poing, dans un élan de rage et de révolte. Dans sa tête, ça se bousculait, ça fermentait. Tour à tour c’était le dépit, la colère, la résignation. Tantôt elle  ruminait des vengeances cruelles contre tous ceux qui l’avaient flouée, son mari, le prêtre, le maire, ses parents, tantôt elle se voyait errant dans les rues, Sdf pitoyable, aux haillons de tulle trainant dans le caniveau.
Une fois calmée elle se mit à réfléchir à la façon dont elle pourrait se sortir de ce cauchemar. Peu à peu, l’exaltation la gagnait, elle se sentait maintenant pleine d’énergie. Elle s’en alla trouver Claire et Stéphanie.

- On se moque de nous, dit-elle, on nous humilie, il faut réagir, pas chacune, toutes, manifester en ville.
Les deux jeunes femmes dirent qu’elles y avaient pensé elles aussi et se montrèrent enthousiastes. Ensemble, elles commencent à frapper aux portes en invitant les mariées à les suivre. A mesure qu’elles avançaient dans la rue, la troupe des révoltées grossissait, même si certaines leur claquaient la porte au nez.
- Manifester, oui mais où ? demanda quelqu’un.
Sur la « Place des grands hommes » au centre ville, suggéra une autre, proposition qui déclencha force rires et fut joyeusement adoptée.
Deux heures plus tard une vingtaine de mariées avaient investi la place, libérant la rage accumulée depuis le début de leur séjour au « Village du bonheur. » Elles criaient des slogans contre le mariage, contre les hommes qui les avaient abandonnées là-bas, contre les familles complices. La manifestation prenait des allures de happening. Certaines déchiraient leurs robes, d’autre les retroussaient dévoilant leurs dessous, d’autres se roulaient par terre.

Autour d’elles, un cercle de badauds s’était formé. On entendait « C’est une honte ! » ou « il faut appeler la police ! » Mais d’autres applaudissaient. Eve la tête encore pleine du vertige d’une danse tournoyante qu’elle venait d’exécuter au milieu de ses compagnes, remarqua qu’un peu plus loin sur la place, un homme la regardait. C’était un saltimbanque cracheur de feu. Un grand gaillard aussi bronsé qu’Eric, mais lui n’avait rien d’une figurine plantée tout en haut de la tour de Babel d’une pièce montée écœurante. Il avait l’air vivant pour de bon, aussi vivant que la flamme qui sortait de ses entrailles et qui illuminait ses yeux. Il s’approcha et s’arrêta à quelques mètres du groupe de femmes, continuant à darder ses saccades de flammes tout en fixant Eve, qui croyait déjà sentir le feu incendiant sa robe blanche et carbonisant le carcan des valeurs dans lesquelles on l’avait élevée, depuis le berceau jusqu’à cet énigmatique et odieux mariage. Peur et attirance se disputaient en elle. Peur et attirance, peur et attirance, mais c’était toujours l’attirance qui dominait. Alors Eve sentit qu'elle devait franchir un pas.
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Message  Sherkane Ven 8 Avr - 23:42

Et ben... une sacrée imagination Tober!
Ton texte est très bien construit, tout en crescendo. Je me demandais au début quand tu allais nous parler de toutes ses femmes de la photo et elles arrivent toutes en fin de texte et envahissent la place!
clap
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Message  Admin Sam 9 Avr - 11:47

Voilà un texte, presque une nouvelle, fort bien écrite, mais pas tout à fait abouti. je m'explique:

- Eve est amenée dans une maison complètement à l'abandon, elle passe d'ailleurs des jours et des jours à la nettoyer. Pourquoi une maison dans cet état? D'où ma seconde question:
- Pourquoi l'homme ne lui donne aucune explication, s'en va sans jamais revenir: quel est son but?
- Elle n'a rien pour se changer, reste en robe de mariée parce que l'homme y tient: dans quel but?
- Toutes les femmes sont logées à la même enseigne, sans avoir le même mari. Quel est le but de tous ces hommes. Est-ce une secte, une communauté.

Je me demande si tu n'as pas eu peur de faire trop long et du coup, tu nous prives d'un paragraphe qui pourrait se situer juste après la rencontre de toutes les femmes et avant qu'elles prennent la décision de manifester. Pas forcément en donnant l'explication complète, mais au moins quelques pistes pour que nous puissions "planter le décor".

Qu'est-ce que tu en penses?
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Message  Coumarine Sam 9 Avr - 16:39

Voilà une histoire (presque une nouvelle en effet!) qui donne des hommes une image de "mâles" qui maltraitent les femmes, femmes qui mettent un certain temps à réaliser ce qui se passe et à se rebeller

Pour moi (mais c'est personnel!) il ne faut pas nécessairement tout expliquer dans un texte qui plonge dans le surréaliste. Son atmosphère nous fait plonger dans une note d'angoisse propre à ce type d'atmosphère

Par contre, je ne trouve pas nécessaire dans un texte déjà long d'y introduire un homme beau, du genre "prince charmant". Je préfère que les femmes se rebellent par dignité personnelle, que pour plaire à un homme
Super content
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Message  Nerwen Sam 9 Avr - 22:18

En lisant ton texte, j'ai imaginé un film en noir et blanc, des fondus-enchaînés dans l'atmosphère onirique des films surréalistes qui posent plus de questions qu'ils n'en résolvent. A chacun de trouver ses propres explications. flower
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Message  AAnne Dim 10 Avr - 8:48

Le personnage féminin me semble si... Faible.
Mais elle arrive à mener la révolte et c'est un soulagement!
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Féminin Humeur : Bonne, la plupart du temps.

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Message  virgul Dim 10 Avr - 10:33

Je me suis laissé emporter par le récit, et j'y vois comme une symbolique de toutes ces femmes victimes et gravement désillusionnées par leurs mariages, avec des hommes "conventionnels" qui ne voient en elles que des aides ménagères. Leur révolte nous ramène à aujourd'hui (les femmes sont désormais d'une autre trempe) et le cracheur de feu, tout à fait "hors cadre", et l'attirance qu'il provoque, montre une autre face de l'attente réelle de ces femmes.

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Message  Mesange Lun 11 Avr - 0:59

Quelle histoire! Et quelle folie! Un récit vivant et plein de mystère!
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Message  tobermory Mer 13 Avr - 12:26

Merci à toutes et tous pour vos commentaires très intéressants
Admin : tes questions sont exactement celles que je me suis posées en imaginant cette histoire. Finalement je n’ai pas cherché à y répondre, préférant développer une atmosphère de mystère et d’angoisse qu’évoque Coumarine, plutôt que d’écrire un texte d’apparence insolite ou absurde, mais à explication rationnelle ( là, l’idée de la secte, à laquelle je n’avais pas pensé, serait une solution)
Qu’on ait parlé de surréalisme (comme Nerwen), me plait car j’aime beaucoup le surréalisme, à condition de ne pas le réduire au « bizarre pur le bizarre » comme on le fait souvent.
Ce sont les commentaires de Coumarine et Virgul qui expriment le mieux ce que j’ai voulu faire : transposer dans une histoire cauchemardesque, l’oppression vis-à-vis des femmes et aussi l’angoisse devant les mystères que pouvaient représenter le mariage et la sexualité. Problème largement dépassé aujourd’hui, raison pour laquelle je n’ai pas donné de repères quand à l’époque ( sauf avec le terme « superette », mais il suffit de remplacer par « épicerie)
Pour moi la fin représentait plutôt une rupture avec le milieu qu’un retour à la soumission à un homme.
J’admet bien volontiers que ce texte, écrit au fil de la plume un peu comme dans un atelier d’écriture, est loin d’être abouti. Je me demande s'il n'aurait pas été meilleur en supprimant non seulement l'épisode du saltimbanque, mais aussi celui de la manif des mariées et en faisant un fin qui conserve l'atmosphère d'angoisse et de cauchemar. Mais pas dans le cadre de ce jeu évidemment !

S’agissant des angoisses et terreurs féminines d’avant et d’après le mariage, je ne résiste pas à reproduire un texte très frappant d’Henri Michaux ( lequel n’était pas surréaliste – pas assez l’esprit d’école – mais avec une certaine parenté quand même) :

Nuit de noce

Le jour de vos noces, en rentrant, si vous mettez votre femme à tremper, la nuit, dans un puits... elle est abasourdie.
Elle a beau avoir toujours eu une vague inquiétude.
"Tiens, tiens, se dit-elle, c'est donc ça le mariage, voila pourquoi on en tenait la pratique si secrète. je me suis laissée prendre en cette affaire." Mais étant vexée, elle ne dit rien. Et vous pouvez l'y plonger longuement et maintes fois sans causer aucun scandale dans le voisinage. Si elle n'a pas compris la première fois, elle a peu de chances de comprendre ultérieurement et vous avez toutes les chances de continuer sans incident, la bronchite exceptée, si toutefois cela vous intéresse.
Quant à moi, ayant plus de mal dans le corps des autres que dans le mien, j'ai dû y renoncer rapidement.
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Message  Admin Mer 13 Avr - 16:48

Merci pour tes explications, et pour ce texte d'Henri Michaux que je trouve surréaliste en effet et dont la première phrase m'interpelle au point que je me demande si elle ne ferait pas un bon incipit flower
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