A- Les libellules rouges

Les libellules rouges sont restées pour moi un mystère. Je n’ai jamais compris d’où elles venaient ni pourquoi elles apparaissaient toujours en aussi grand nombre.
Je savais où les trouver, elles ne se mélangeaient pas aux libellules vertes, plus communes et plus solitaires. Elles voletaient par petits groupes au-dessus de l’étang de Massat et se posaient délicatement sur les roseaux qui disparaissaient sous une multitude d’ailes couleur rouge sang. Très bruyantes lorsqu’elles étaient en vol, elles devenaient totalement silencieuses une fois posées. Je rêvais de pouvoir en capturer une.
La légende disait que cette libellule se laissait apprivoiser et portait bonheur à celui ou celle qui réussissait à la capturer. J’étais encore une enfant et j’avais des rêves plein la tête. La libellule rouge m’aiderait à les concrétiser, j’en étais persuadée.

Plus jeune je chassais le grillon. Je n’avais pas mon pareil pour m’approcher de son terrier sans faire le moindre bruit. Je me couchais alors à plat ventre et une fois le trou repéré, je glissais une longue tige dans l’ouverture. Délicatement, pour ne pas blesser l’insecte, je la faisais bouger jusqu’à ce que le grillon s’échappe.
Ma sœur se tenait prête près de moi, une boite dans une main, le couvercle dans l’autre. Lorsque le grillon sortait du terrier, elle l’enfermait d’un geste rapide dans la boite transparente. Nous l’observions ensuite pendant des heures, sans nous lasser, puis en fin de journée nous le relâchions dans la nature.

Je pensais pouvoir imiter ma sœur en emprisonnant la libellule de la même façon. L’approcher ne présentait pour moi aucune difficulté. Malheureusement, je n’avais pas l’agilité nécessaire pour enfermer l’insecte. Le claquement sec du couvercle se refermant sur une boite désespérément vide effrayait les libellules rouges qui s’envolaient alors d’un même élan. Après quelques minutes, elles se posaient un peu plus loin, et je renouvelais ma tentative.

Chaque soir, je rentrais bredouille. Je me précipitais alors sur le téléphone et appelais ma sœur :

- Quand est-ce que tu viens chez mamie ? Je m’ennuie ici toute seule.

Cette année-là pour la première fois nous ne passions pas les vacances ensemble. Elle était restée à la maison pour aider les parents à la ferme.

Les libellules rouges sont restées pour moi un mystère et je n’ai jamais pu vérifier la véracité de la légende les concernant.


L'extrait a été pris sur le livre envoyé par Tadig pour le livre itinérant (pas encore lu mais c'est le prochain sur ma liste Tadig  ) :

Don Quichotte sur le Yangtsé de Bi Feiyu