A- destins croisés

Attablée à la terrasse du bistrot "l'étoile Dauphine,"je savourais mon chocolat, sans prêter attention au tohu bohu du garage d'en face. De temps à autre, je levais les yeux, agacée par les voix criardes des mécanos qui s'interpellaient sans ménagement. C'est alors que je l’aperçu, lui, brillant et svelte. Il s'approcha de ma table et engagea la conversation.

-Bonjour, me dit il, je m'appelle Théo. J'attends que mon carrosse se libère pour reprendre la route. Une panne idiote, puis je m'assoir avec vous ?
-Mais faites donc, jeune homme, vous prenez quelque chose ?
-Un Ricard, sinon rien, me dit il.

Il me raconta son épopée. Réfugié clandestin, il était routier et s'apprêtait à reprendre la route. Il n'en pouvait plus de cette vie d'errance. Ce soir, profitant du clair de lune, il braverait les interdits. Tous feux éteints sous le ciel blafard, il gagnerait la frontière et partirait sans bruit vers un autre destin, qu'il voulait plus serein.
Je louais son audace et lui souhaitais bonne chance . La vie est si dure ici.

Je savais que de l'autre côté de la frontière, l'accueil ne serait pas pour lui meilleur, mais j'espérais au moins qu'il pourrait s'en sortir. Retrouver sa dignité et un équilibre. Peut être réussirait il tout au plus à avoir des papiers, mais ce n'est pas rien quand on est promis à l'errance. Toutes ses soirées seul à méditer, à ressasser sa peine et son exil Vraiment je compatissais.

Ne craignez rien pour moi, me dit il, un jour n'est pas l'autre, de l'audace, j'en ai eu et j'en aurais encore. Quand comme moi on n'a plus de patrie, il faut sans cesse s'en remettre à la vie et croire aux lendemains. Sans espoir on ne fait rien ! Et puis, il faut bien se battre pour exister.
J'étais surprise de sa philosophie. Il me semblait que je n'aurais jamais le courage, moi, de partir d'ici. Je le lui dit.
Si vous étiez comme moi traquée par mafieux qui nous pourchassent, vous auriez vous aussi ce courage. C'est parfois une simple question de survie. Alors on part, on va tenter sa chance ailleurs . Pas toujours bien accueillis, souvent incompris, on recommence chaque jour la bataille pour manger, dormir, et exister. Mais comme j'aimerais, comme vous, pouvoir me poser, être heureux du temps qui passe et ne pas l'appréhender.  Penser sans trembler au jour qui vient.

Cette rencontre à marquée ma vie, elle m'a permis de savoir que le bonheur peut exister, il faut juste le cueillir quand il est à notre porte. Sans délicatesse, juste savoir se satisfaire de quelque petits riens et penser souvent à aider tous ceux qui ont moins.