A. Instant dans le miroir

C’était un soir de fête. La fête d’Halloween. Doug attendait la visite des enfants du village. Il avait acheté à l’épicerie de la place une grande variété de sucreries qu’il se ferait un plaisir de leur offrir. C’était le rituel. Et son plaisir serait décuplé cette année par le fait que Willy, son unique petit-fils qui n’avait que cinq ans participerait au cortège pour la première fois.

Doug faisait le va et vient du canapé à la fenêtre. Des passants emmitouflés se hâtaient sur le trottoir. Quelques flocons de neige voletaient.

Dès qu’il se levait, son chien Brendy se mettait dans ses pas en remuant la queue, espérant sa promenade du soir puis revenait, résigné, se recoucher dans son panier.

Vers vingt heures, n’y tenant plus, Doug sortit sur la véranda, Brendy toujours sur ses talons. Il sourit en entendant au loin des rires et des cris. Les enfants n’allaient pas tarder à pointer le bout de leur nez. Douglas releva son courrier dans sa boite à lettre et se hâta de rentrer afin de ne pas gâcher leur effet, prêt à jouer la surprise.

L’entrée était à peine éclairée, et, en passant devant le grand miroir, il eut soudain l’étrange sensation de voir son reflet se déplacer dans le sens inverse du sien. Cela était impossible. Pour en avoir le coeur net, il alluma le plafonnier et là, quelle stupeur, il découvrit que l’image qu’il renvoyait se trouvait exactement dans la même position que lui mais ce n’était pas lui.

Doug était vêtu d’un pantalon clair et d’un veston sombre, il tenait dans la main gauche ses lettres alors que son reflet était vêtu de la toge universitaire ainsi que de la coiffe de fin d’études et c’était un rouleau de diplôme qu’il tenait dans la main. Son visage paraissait beaucoup plus jeune que le sien, ses cheveux étant plus fournis et encore noirs alors que les siens grisonnaient et se raréfiaient.

Le jeune-homme dans le miroir lui souriait. Il avait dans les traits quelque chose de familier qui plaisait à Doug.

Qui êtes-vous ? Finit-il par demander

Grand-père, je suis Willy, tu ne me reconnais pas ?

En effet, je me disais qu’il y avait un air de famille… Mais que fais-tu dans le miroir ?

Troublé, Doug considérait ce visage à la fois inconnu et proche. Il lui semblait se voir jeune.
Son reflet continuait de lui sourire.

C’est alors que le carillon retentit brusquement, le faisant sursauter et le tirant brutalement de sa contemplation. Les enfants étaient là. Ils entonnèrent la chanson d’Hallowen « Toc toc toc, nous sommes là dehors, un bonbon ou un sort ! »

Doug leur ouvrit. Willy, tout de noir vêtu et maquillé en monstre tenait la lanterne et fier de montrer à son grand-père comme il était devenu grand, s’égosillait plus fort que ses camarades.

Le vieil homme les invita à entrer. En passant devant le miroir, il jeta un discret coup d’oeil et constata qu’on y voyait que son reflet et celui des enfants. Les choses avaient l’air d’être rentrées dans l’ordre.

La joyeuse troupe s’installa dans le salon où la flamme de la cheminée apportait une douce chaleur.

Doug distribua les friandises regardant avec tendresse les enfants se régaler.

Puis, la sorcière qui semblait mener le groupe donna le signal du départ.

Le bruyant  tourbillon qui avait, pour un instant, redonné vie à la maison de Doug repartit en chanson.

Doug les regarda s’éloigner sur le pas de sa porte. La neige commençait à couvrir les toits d’une fine couche scintillante.

Lorsqu’il ne les vit plus, il rentra. Dans le miroir, seul son reflet le regardait dans les yeux. Brendy lui tournait autour sentant que le moment de sa promenade était venu.

Doug prit sa laisse ce qui déclencha la frénésie du chien.

Doug repensa à cette vision dans le miroir. Il se sentait apaisé.

Il le savait maintenant, son petit-fils réussirait, il n’avait pas à s’en faire…