A.une simple lettre au crayon à papier

Moi je voudrais un crayon, un crayon à papier, le même que dans notre enfance, un simple crayon à papier  
Oui cela me suffira pour écrire même si aujourd’hui je le fais plus souvent avec un clavier d’ordinateur.
Un simple crayon à papier avec un beau carnet, une couverture épaisse, ancienne imitant joliment les reliures d’un autre temps. D’ailleurs il m’en faudra sans doute plusieurs carnets, un par destinataire ou alors peut-être les réunirais-je dans un seul carnet. Oui, aujourd’hui je suis moins morcelée, moins cloisonnée, plus unie en moi-même alors je réunirais mes correspondants dans un seul carnet, un très beau carnet à leur image, suffisamment grand pour qu’ils ne se sentent pas confinés, sans excès de taille toutefois pour ne pas paraître prétentieux.

Avec mon simple crayon à papier, je te dirais à toi ma fille que tu es belle, pas seulement parce que tu as des traits fins et réguliers, des yeux troublants et une bouche bien dessinée, pas uniquement pour ta crinière flamboyante et ta silhouette élégante. Tu es belle par ton combat pour exprimer le meilleur de toi malgré l’anxiété encore trop souvent présente, par ton acharnement à vivre sans retenue tes désirs et tes passions, par ton sourire lumineux ou attendri, par ta sensibilité dont tu ne sais pas toujours quoi faire, par tout cet amour que tu donnes, parfois avec maladresse, souvent dans un mélange détonnant de discrète attention et de fougue impétueuse. Tu es belle par l’alchimie que tu composes chaque jour de toutes tes contradictions, tes colères et tes élans, ton honnêteté. Tu es belle par la vie qui t’anime, par l’œuvre de vie et d’amour que tu crées chaque jour par ta simple existence.

Avec mon simple crayon à papier, je te dirais à toi mon homme, toute l’immensité de mon amour et plus encore la gratitude que je ressens en me réveillant tous les matins à tes côtés, blottie dans le creux de ton amour, de ton cœur et de ton ventre. Oui, la gratitude envers la vie, envers le principe même de la vie, celle qui se cache en chaque cellule vivante, chaque herbe, chaque animal. Il faut bien toute l’étendue de ce coin perdu et si beau dans lequel nous avons la chance de vivre, pour accueillir tout l’amour que je ressens pour toi. Je n’ai pas pour toi cet amour quasi animal que je ressens souvent en regardant ma fille, cet amour de louve, presque violent et que je dois juguler par moments pour qu’il ne nous blesse pas. J’ai pour toi un amour qui coule perpétuellement dans mes veines, que je ressens par  toutes les pores de ma peau, qui déborde de moi sur toute la vie qui nous entoure, il rayonne et me réchauffe, il éclaire mes jours et me rend lumineuse, il est là bien présent comme toi, une certitude rassurante, une force, une énergie qui me dépasse et m’entraîne.

Avec mon simple crayon à papier, je vous dirais à tous les deux que je vous aime, j’aime vous regarder tous les deux, assis dans cette cuisine témoin de tous les moments de vie que nous avons partagé, j’aime vous avoir à mes côtés bien sûr, j’aime vous savoir reliés discrètement pudiquement sans que vous ayez le besoin de le dire comme moi qui vous répète mots après câlins, baisers après caresses cet amour que je vous porte et que vous me rendez bien.

Avec mon simple crayon à papier, je tisse les mots comme des liens, je les assemble en phrases, puis en textes pour extraire de moi les peurs qui m’assaillent depuis toujours, les colères qui m’emportent par moments, les révoltes qui sont les miennes pour partager les joies et les bonheurs aussi. Certains construisent des maisons avec des morceaux de bois ou des pierres, d’autres construisent des routes avec du sable et du goudron moi je manie les mots.
Avec ce crayon à papier, je construirais pour vous une maison chaude et protectrice, des cloisons pour vous protéger et des piliers sur lesquels prendre appui, je n’oublierais pas d’inscrire un peu partout des mots-repères, des petites phrases qui relient les hommes et les redressent quand ils s’agenouillent devant les sirènes de la facilité, de l’oubli et de l’enfermement. Je n’oublierais pas de mettre de belles fenêtres et des sièges confortables pour que vous ayez tout le temps de savourer la beauté de la nature qui nous entoure et j’ajouterais des portes, pas pour les fermer mais pour les ouvrir sur la vie et je tracerais avec mes mots des chemins vers l’avenir, la vie. Je n’aurais sans doute pas assez d’un carnet et d’un crayon mais j’aurais fait de mon mieux et alors j’écrirais encore une fois que je vous aime et que c’est là l’essentiel et avec mon crayon à papier, j’ajouterais en point final, un jour je m’en irai sans avoir tout dit.