La guimbarde et le toro
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Admin
catsoniou
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La guimbarde et le toro
Admin écrit
« J'aurais aimé que tu fasses une petite place à l'image et au bibliobus malgré tout! »
Bon, d'accord, je vais vous narrer la tentative malheureuse d'implantation du bibliobus dans ma campagne profonde
Fallait se faire une raison, la camionnette du jardinier ne convenait pas pour amener les veaux à la foire. Cet argument irréfutable de l'instituteur doctement asséné auprès de mon paternel précédait une proposition intéressée : la guimbarde suffirait à transbahuter les livres de bibliothèque d'un village à l'autre.
- Et je veux bien me faire moine - un comble pour un fervent défenseur de l'école laïque - si je ne fourgue pas un livre dans chacune des maisons. Du bègue au cul de jatte, du borgne au sourd comme un pot, du claudiquant au coureur frais et dispos, de l'ignare à l'érudit, j'aurais dans ma camionnette de quoi nourrir tous les esprits bien ou mal tournés.
Ainsi raisonnait le jeune Monsieur, frais émoulu de l' École Normale. Dans son énumération de clients potentiels, il oubliait une catégorie : les cancres farceurs, dont l’Émile était le chef d'escadrille incontesté.
La Comtesse de Ségur, Hector Malot, L.R.Stevenson et même Victor Hugo et ses Misérables ne figuraient pas parmi les relations attitrées de l’Émile. Il leur préférait les piafs des haies qui avaient maille à partir avec son lance-pierres relativement infaillible, notamment avec les isolateurs des poteaux de téléphone qui, les pauvres, ne pouvaient s'enfuir à tire-d'aile...
Bien informé, le galopin connaissait à l'avance le lieu d'arrêt du nouveau bibliobus corrézien. A quelques dizaines de mètres, une ''clède'' constituait un obstacle infranchissable pour le Mouton, bovin au demeurant fort gentil. Gentil ? Sauf quand il faisait une cour assidue à une congénère, belle blonde ou rousse aux cornes bien galbées. Importuné, le Mouton devenait alors un Toro redoutable.
N'ignorant rien des sautes d'humeur du Mouton, l'Emile prit le risque de l'asticoter au moment voulu, non sans, auparavant, expérimenter l'ouverture rapide de la ''clède'' et le geste approprié pour feinter le furieux comme un aficionado expérimenté.
Le toro interpréta - t -il à la lettre le mot d'ordre '' faites signe au chauffeur'' ? Apparemment, le bibliothécaire ne fut pas convaincu de la soif de lecture du Mouton, car il prit les jambes à son cou sans s'enquérir du titre désiré par le bovidé...
Ce malheureux épisode fit avorter l'expérience d'autant que la guimbarde, peu envieuse de risques inconsidérés, se dit sans doute que du transport des aliments de bouche à la livraison de nourriture de l'esprit, il y avait un pas qu'elle ne saurait franchir : elle rendit l'âme ...
Fallait se faire une raison, la camionnette du jardinier ne convenait pas pour amener les veaux à la foire. Cet argument irréfutable de l'instituteur doctement asséné auprès de mon paternel précédait une proposition intéressée : la guimbarde suffirait à transbahuter les livres de bibliothèque d'un village à l'autre.
- Et je veux bien me faire moine - un comble pour un fervent défenseur de l'école laïque - si je ne fourgue pas un livre dans chacune des maisons. Du bègue au cul de jatte, du borgne au sourd comme un pot, du claudiquant au coureur frais et dispos, de l'ignare à l'érudit, j'aurais dans ma camionnette de quoi nourrir tous les esprits bien ou mal tournés.
Ainsi raisonnait le jeune Monsieur, frais émoulu de l' École Normale. Dans son énumération de clients potentiels, il oubliait une catégorie : les cancres farceurs, dont l’Émile était le chef d'escadrille incontesté.
La Comtesse de Ségur, Hector Malot, L.R.Stevenson et même Victor Hugo et ses Misérables ne figuraient pas parmi les relations attitrées de l’Émile. Il leur préférait les piafs des haies qui avaient maille à partir avec son lance-pierres relativement infaillible, notamment avec les isolateurs des poteaux de téléphone qui, les pauvres, ne pouvaient s'enfuir à tire-d'aile...
Bien informé, le galopin connaissait à l'avance le lieu d'arrêt du nouveau bibliobus corrézien. A quelques dizaines de mètres, une ''clède'' constituait un obstacle infranchissable pour le Mouton, bovin au demeurant fort gentil. Gentil ? Sauf quand il faisait une cour assidue à une congénère, belle blonde ou rousse aux cornes bien galbées. Importuné, le Mouton devenait alors un Toro redoutable.
N'ignorant rien des sautes d'humeur du Mouton, l'Emile prit le risque de l'asticoter au moment voulu, non sans, auparavant, expérimenter l'ouverture rapide de la ''clède'' et le geste approprié pour feinter le furieux comme un aficionado expérimenté.
Le toro interpréta - t -il à la lettre le mot d'ordre '' faites signe au chauffeur'' ? Apparemment, le bibliothécaire ne fut pas convaincu de la soif de lecture du Mouton, car il prit les jambes à son cou sans s'enquérir du titre désiré par le bovidé...
Ce malheureux épisode fit avorter l'expérience d'autant que la guimbarde, peu envieuse de risques inconsidérés, se dit sans doute que du transport des aliments de bouche à la livraison de nourriture de l'esprit, il y avait un pas qu'elle ne saurait franchir : elle rendit l'âme ...
catsoniou- Kaléïd'habitué
- Humeur : couci - couça
Re: La guimbarde et le toro
J'ai bien fait de te faire cette remarque moi
Admin- Admin
- Humeur : Concentrée
Re: La guimbarde et le toro
Extrait de
http://www.uni-muenster.de/LouisAragon/werk/spaet/mv_f.htm
Ecrivant mon texte, je pensais à cette expression "Mentir-vrai" sans en connaitre l'origine.
Après vérification, j'y vois un certain rapprochement : la camionnette du jardinier vendue à mon père et qui rend l'âme, le Mouton, importuné quand il contait fleurette, qui vous courait dessus et bien sûr l'Emile. Tout cela est vrai, tout comme le bourg en arrière -plan où j'ai appris à lire et découvert la bibliothèque.
Le reste n'est, pour reprendre un passage de la citation ci-dessus, que "composition fictionnelle".
NB. A ma connaissance, du temps de mon enfance, le système du bibliobus n'existait pas encore...
http://www.uni-muenster.de/LouisAragon/werk/spaet/mv_f.htm
La nouvelle "Le mentir-vrai" qui donne son titre au volume entier est conçue comme une poétique du roman et de la nouvelle. Se servant d'un matériel autobiographique provenant de sa propre enfance, l'auteur, en racontant, illustre sa thèse selon laquelle la narration consiste dans la transformation de faits réels gardés dans la mémoire de l'auteur, dans une composition fictionnelle qui, bien que produit d'un mensonge et donc "menteuse", transporte une vérité qui s'approche plus de la réalité que la reproduction apparemment directe et immédiate de la réalité telle quelle.
Ecrivant mon texte, je pensais à cette expression "Mentir-vrai" sans en connaitre l'origine.
Après vérification, j'y vois un certain rapprochement : la camionnette du jardinier vendue à mon père et qui rend l'âme, le Mouton, importuné quand il contait fleurette, qui vous courait dessus et bien sûr l'Emile. Tout cela est vrai, tout comme le bourg en arrière -plan où j'ai appris à lire et découvert la bibliothèque.
Le reste n'est, pour reprendre un passage de la citation ci-dessus, que "composition fictionnelle".
NB. A ma connaissance, du temps de mon enfance, le système du bibliobus n'existait pas encore...
catsoniou- Kaléïd'habitué
- Humeur : couci - couça
Re: La guimbarde et le toro
Oui, Admin tu as eu doublement raison, ce texte tout comme le précédent, est une merveille, comme Cats sait nous en offrir.
J'ai bien aimé le Mouton que j'imagine coursant Monsieur l'instituteur. Un jour, dans mon village, il y eut une histoire semblable avec un autre Mouton, ou bien était- ce qu'un Papillon ? Je vous la raconterais surement une autre fois. Toujours est-il qu'elle se finit en haut d'un sapin qu' une vieille dame dut escalader, dans la neige épaisse de février.
Pour en revenir au texte lui même, il parle vrai. Mais il est vrai que les bibliobus, dans nos campagnes reculées (géographiquement parant) ne datent que des années 80 et pour ce qui est de la mienne, ils n'existent pas encore !
J'ai bien aimé le Mouton que j'imagine coursant Monsieur l'instituteur. Un jour, dans mon village, il y eut une histoire semblable avec un autre Mouton, ou bien était- ce qu'un Papillon ? Je vous la raconterais surement une autre fois. Toujours est-il qu'elle se finit en haut d'un sapin qu' une vieille dame dut escalader, dans la neige épaisse de février.
Pour en revenir au texte lui même, il parle vrai. Mais il est vrai que les bibliobus, dans nos campagnes reculées (géographiquement parant) ne datent que des années 80 et pour ce qui est de la mienne, ils n'existent pas encore !
Escandélia- Kaléïd'habitué
- Humeur : joyeuse
Re: La guimbarde et le toro
J'adore cette histoire
Elle fleure bon ta Corrèze et ton explication du "mentir-vrai" me plaît beaucoup.
N'est-ce point là l'apanage de tout grand auteur que de mêler fiction et réalité ( ou souvenir...)
Elle fleure bon ta Corrèze et ton explication du "mentir-vrai" me plaît beaucoup.
N'est-ce point là l'apanage de tout grand auteur que de mêler fiction et réalité ( ou souvenir...)
Amanda.- Modératrice
- Humeur : résolument drôle
Re: La guimbarde et le toro
Voilà une histoire très drôle comme tu sais nous les faire vivre avec ton style vivant et imagé très agréable à lire !
Nerwen- Modératrice
- Humeur : Légère
Re: La guimbarde et le toro
Encore un succulent morceau d’humour du terroir et ceux qui attendaient un vibrant éloge de la pénétration de la culture dans l’agriculture en seront pour leurs frais. Et j’ai appris que le sex-appeal des vaches réside avant tout dans leurs cornes ( non je ne vais pas faire un parallèle avec les humains.) Merci Cats pour la tranche de rigolade haute en couleur et bravo pour ta "composition fictionnelle". Mais si tu continues avec ce langage intello, on va bientôt être largués.
Le "Mentir vrai", tout à fait d'accord, beaucoup de fictions sont bien plus vraies que ne l'aurait été la stricte autobiographie. C'est sans doute aussi ce qu'on appelle souvent aujourd'hui "autofiction".
Edit : et il me semble que les bibliobus existaient bien avant les années 80. Me tromperais-je ?
Le "Mentir vrai", tout à fait d'accord, beaucoup de fictions sont bien plus vraies que ne l'aurait été la stricte autobiographie. C'est sans doute aussi ce qu'on appelle souvent aujourd'hui "autofiction".
Edit : et il me semble que les bibliobus existaient bien avant les années 80. Me tromperais-je ?
tobermory- Kaléïd'habitué
- Humeur : Changeante
Re: La guimbarde et le toro
Edit : et il me semble que les bibliobus existaient bien avant les années 80. Me tromperais-je ?
tober : la réponse est ici :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Bibliobus
Effectivement, le principe existe depuis très longtemps, mais il n'y avait pas des camionnettes sillonnant les campagnes dans chaque département .
Chez nous, enfin en Quercy, la bibliothèque municipale est approvisionnée par une navette qui vient de la Préfecture et pallie ainsi à l'insuffisance des moyens de la commune.
catsoniou- Kaléïd'habitué
- Humeur : couci - couça
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