Une chaumière et des livres
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Sherkane
Nerwen
tobermory
7 participants
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Une chaumière et des livres
Comme d’autres SDF, Paulo malgré la dureté de la rue, n’avait jamais perdu de vue qu’il était un homme et que le premiers des respects était celui qu’il se devait à lui-même. Il tâchait de se maintenir dans une relative propreté, même si pour cela il lui fallait de temps à autre accepter une nuit dans un foyer, endroit qu’il avait en horreur. Et puis autant que la crasse, Paulo détestait la déchéance de l’esprit, l’hébétude avinée dans laquelle sombraient nombre de ses compagnons de dénuement. Certes, il lui arrivait de céder à la tentation des deux heures d’oubli procurées par quelque exécrable breuvage, mais on le voyait plus souvent avec un livre à la main plutôt qu’une bouteille. Les gens ne traitent pas les livres avec plus d’égards que le pain et il n’est pas rare d’en trouver dans les poubelles. Un clochard qui lit ! Les passant s’étonnaient et s’émerveillaient de la chose. Certains n’hésitaient pas au lieu de lui refiler une pièce – d’ailleurs il ne mendiait pas – à lui faire cadeau du roman qu’ils venaient de terminer dans le métro ou même allaient lui en acheter un à la librairie la plus proche. Quel poète a dit que les seuls livres qui vaillent sont ceux qui « tiennent » face au froid et à la faim? Il arrivait en effet que Paulo soit si captivé par sa lecture qu’il en oubliait ces deux fléaux ravageurs de sans-abri. Il s’évadait, partait dans des aventures et des sentiments sans cesse renouvelés, s’en allait loin, très loin, même lorsque l’action se déroulait à Paris, à deux rues du trottoir où il avait planté son carton.
Lorsque Paulo y réfléchissait, il se disait que les deux choses au monde qui le combleraient le plus seraient une maison et dans la maison une bibliothèque. On lui donnait parfois un livre, mais personne ne lui avait jamais offert une maison, non pas l’un de ces foyers anonymes et sans âme, mais une vraie maison avec un joyeux toit de tuiles et une cheminée répandant ses douces odeurs de bois et de soupe de légumes.
Un matin, étirant ses membres engourdis sous le porche où il avait élu domicile la veille au soir, il eut la surprise voir que les premiers rayons du soleil éclairaient une scène étrange : une rue ; mais pas une rue impitoyable aux façades renfrognées comme celles par lesquelles il allait portant sa misère jour après jour. Non, une rue de village aux fenêtres riantes et aux portes avenantes. Des gens stationnaient là, groupés autour d’une voiturette de bibliobus, mi maison, mi bibliothèque, les deux rêves de Paulo ! Il comprit bientôt que toute la scène n’était qu’un trompe-l’œil, une fresque habile destinée à égayer un mur qui sans cela aurait été aussi grisâtre et sinistres que les autres. N’empêche, désormais, Paulo pensait souvent à la maison bibliothèque ambulante. Il s’imaginait qu’on la lui confiait, après tout, les livres ça le connaissait. Il sillonnait villes et villages, nouait connaissance, discutait des livres et de la vie. Chaque jour, au gré de son imagination, la voiturette offrait de nouvelles possibilités. Il y avait l’autre côté, derrière les rayons de livres, un espace purement « maison », avec une kitchenette, un lit, un canapé, des sanitaires, une cheminée bien sûr. Et, une porte, il le découvrit plus tard, qui ouvrait sur un jardinet avec coin potager, coin verger et coin agrément luxuriant de fleurs. D’autres fois, Paulo restait au volant des heures entières sans s’arrêter, franchissant les frontières, découvrait d’autres paysages, d’autres modes de vie tant il est vrai qu’on aime toujours un peu à sortir de soi, à voyager, quand on lit.
Une nuit, le SAMU social trouva Paulo mort sous son carton, un livre à ses côtés. Un livre qui n’avait pas fait le poids face au froid ou a la faim, sinon les deux. Et maintenant, Paulo était sorti de lui-même pour de bon et il voyageait loin, très loin.
Lorsque Paulo y réfléchissait, il se disait que les deux choses au monde qui le combleraient le plus seraient une maison et dans la maison une bibliothèque. On lui donnait parfois un livre, mais personne ne lui avait jamais offert une maison, non pas l’un de ces foyers anonymes et sans âme, mais une vraie maison avec un joyeux toit de tuiles et une cheminée répandant ses douces odeurs de bois et de soupe de légumes.
Un matin, étirant ses membres engourdis sous le porche où il avait élu domicile la veille au soir, il eut la surprise voir que les premiers rayons du soleil éclairaient une scène étrange : une rue ; mais pas une rue impitoyable aux façades renfrognées comme celles par lesquelles il allait portant sa misère jour après jour. Non, une rue de village aux fenêtres riantes et aux portes avenantes. Des gens stationnaient là, groupés autour d’une voiturette de bibliobus, mi maison, mi bibliothèque, les deux rêves de Paulo ! Il comprit bientôt que toute la scène n’était qu’un trompe-l’œil, une fresque habile destinée à égayer un mur qui sans cela aurait été aussi grisâtre et sinistres que les autres. N’empêche, désormais, Paulo pensait souvent à la maison bibliothèque ambulante. Il s’imaginait qu’on la lui confiait, après tout, les livres ça le connaissait. Il sillonnait villes et villages, nouait connaissance, discutait des livres et de la vie. Chaque jour, au gré de son imagination, la voiturette offrait de nouvelles possibilités. Il y avait l’autre côté, derrière les rayons de livres, un espace purement « maison », avec une kitchenette, un lit, un canapé, des sanitaires, une cheminée bien sûr. Et, une porte, il le découvrit plus tard, qui ouvrait sur un jardinet avec coin potager, coin verger et coin agrément luxuriant de fleurs. D’autres fois, Paulo restait au volant des heures entières sans s’arrêter, franchissant les frontières, découvrait d’autres paysages, d’autres modes de vie tant il est vrai qu’on aime toujours un peu à sortir de soi, à voyager, quand on lit.
Une nuit, le SAMU social trouva Paulo mort sous son carton, un livre à ses côtés. Un livre qui n’avait pas fait le poids face au froid ou a la faim, sinon les deux. Et maintenant, Paulo était sorti de lui-même pour de bon et il voyageait loin, très loin.
tobermory- Kaléïd'habitué
- Humeur : Changeante
Re: Une chaumière et des livres
Je trouve excellente cette idée pour traiter la consigne. Tu réussis là un texte émouvant et toujours si bien écrit.
Sais-tu que je connais personnellement un SDF qui est un fervent lecteur, surtout de romans policiers, et j'en ai toujours un ou deux dans ma voiture lorsque je sais que je vais le rencontrer. Il dit préférer un livre à une pièce.
Sais-tu que je connais personnellement un SDF qui est un fervent lecteur, surtout de romans policiers, et j'en ai toujours un ou deux dans ma voiture lorsque je sais que je vais le rencontrer. Il dit préférer un livre à une pièce.
Nerwen- Modératrice
- Humeur : Légère
Re: Une chaumière et des livres
Un beau texte et on aimerait y croire que la lecture permette d'oublier la faim et le froid. C'est drôle aussi que Nerwen connaisse un SDF fervent lecteur comme ton personnage Paulo....
Sherkane- Kaléïd'habitué
- Humeur : ....
Re: Une chaumière et des livres
Magnifique ce texte, Tober. Nous rappeler que la misère existe, que tout le monde ne peut pas avoir les mêmes joies devrait nous inciter à plus d'humanité.
La nourriture de l'esprit passe bien souvent par celle du corps, quoi qu'on en pense. Tout le monde ne choisit pas sa condition, ni le moment où tout bascule. J'ai relevé dans ton texte un passage :
"Il sillonnait villes et villages, nouait connaissance, discutait des livres et de la vie. Chaque jour, au gré de son imagination, la voiturette offrait de nouvelles possibilités."qui pour moi, montre que le rêve est un échappatoire qui aide à avancer.
La nourriture de l'esprit passe bien souvent par celle du corps, quoi qu'on en pense. Tout le monde ne choisit pas sa condition, ni le moment où tout bascule. J'ai relevé dans ton texte un passage :
"Il sillonnait villes et villages, nouait connaissance, discutait des livres et de la vie. Chaque jour, au gré de son imagination, la voiturette offrait de nouvelles possibilités."qui pour moi, montre que le rêve est un échappatoire qui aide à avancer.
Escandélia- Kaléïd'habitué
- Humeur : joyeuse
Re: Une chaumière et des livres
Oui, ce texte est touchant par son originalité, par sa vraisemblance qu'on pourrait mettre en doute....
Et puis on lit le comm' de Nerwen et on se dit que c'est possible....
J'aime ta façon de terminer, ton dernier paragraphe....
Et je surenchéris sur une chose, c'est vrai que quand un livre plaît, quand on est à fond dedans, on oublie de manger ou de boire, on est dans l'essentiel !
Et puis on lit le comm' de Nerwen et on se dit que c'est possible....
J'aime ta façon de terminer, ton dernier paragraphe....
Et je surenchéris sur une chose, c'est vrai que quand un livre plaît, quand on est à fond dedans, on oublie de manger ou de boire, on est dans l'essentiel !
Amanda.- Modératrice
- Humeur : résolument drôle
Re: Une chaumière et des livres
Paulo eut été un bibliothécaire extrêmement efficace et dévoué au service des lecteurs...
L'histoire de Tobermory est d'autant plus plausible qu'aujourd'hui sont condamnés à la rue des hommes et des femmes tout à fait aptes à occuper une place dans la société, mais ils ont été rejetés pour une raison ou une autre; alors, il leur reste des dérivatifs, pourquoi pas le refuge dans la lecture ? Mais cela va-t-il de pair avec la lutte quotidienne pour la survie quand on n'a pas un toit sur la tête et qu'on ne sait comment on va calmer les tiraillements de l'estomac ?
Cependant, l'histoire de Tober est une belle histoire !
L'histoire de Tobermory est d'autant plus plausible qu'aujourd'hui sont condamnés à la rue des hommes et des femmes tout à fait aptes à occuper une place dans la société, mais ils ont été rejetés pour une raison ou une autre; alors, il leur reste des dérivatifs, pourquoi pas le refuge dans la lecture ? Mais cela va-t-il de pair avec la lutte quotidienne pour la survie quand on n'a pas un toit sur la tête et qu'on ne sait comment on va calmer les tiraillements de l'estomac ?
Cependant, l'histoire de Tober est une belle histoire !
catsoniou- Kaléïd'habitué
- Humeur : couci - couça
Re: Une chaumière et des livres
C'est une très belle initiative de faire parler un SDF et l'idée d'un SDF qui lit est magnifique. De plus, tu as utiliser au maximum l'image proposée et ton histoire est remplie d'humanité et d'émotions.
Comme d'habitude tu nous offres un beau texte, mais en plus tu diriges la lumière vers une personne à qui on ne penserait jamais en voyant la photo.
Comme d'habitude tu nous offres un beau texte, mais en plus tu diriges la lumière vers une personne à qui on ne penserait jamais en voyant la photo.
Admin- Admin
- Humeur : Concentrée
Re: Une chaumière et des livres
Le SDF qui lit n’est pas purement sorti de mon imagination. A une époque, comme Nerwen, j’avais remarqué un SDF plongé dans un livre, ce qui à vrai dire est assez inhabituel. J’avais trouvé que c’était mieux que de s’ennuyer à longueur de journée et j’étais repassé une ou deux fois avec un livre à lui donner. Mais rapidement il a disparu. Lui aussi, c’était des polars ou des romans d’espionnage populaires, genre « Fleuve noir ».
Quant aux livres qui tiennent face au froid et à la faim, cette remarque est du poète André Breton, le fondateur du mouvement surréaliste. Et c’était sans doute des situations qu’il avait connues. Je crois d’ailleurs que parmi ces livres il comptait justement « La faim » de knut Hamsum. Mais pour combien de lecteurs la littérature pourrait-elle passer avant des besoins aussi élémentaires ? Pour la plupart, nous prenons plaisir à lire le ventre plein, bien au chaud et si possible confortablement installés.
Quant aux livres qui tiennent face au froid et à la faim, cette remarque est du poète André Breton, le fondateur du mouvement surréaliste. Et c’était sans doute des situations qu’il avait connues. Je crois d’ailleurs que parmi ces livres il comptait justement « La faim » de knut Hamsum. Mais pour combien de lecteurs la littérature pourrait-elle passer avant des besoins aussi élémentaires ? Pour la plupart, nous prenons plaisir à lire le ventre plein, bien au chaud et si possible confortablement installés.
tobermory- Kaléïd'habitué
- Humeur : Changeante
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