La cigale

« Saleté de vent ! » C’est maman qui dit ça. Elle n’aime pas le vent, ça l’énerve et elle dit que ça énerve aussi le bébé de son ventre. Corinne, elle par contre, le vent elle adore. Pas le vent glacé de l’hiver, raide et dur, une vraie lame de couteau, mais le vent de maintenant, le vent d’été, tout doux, chaud et parfumé comme le souffle de maman quand elle vient lui dire bonsoir dans sa chambre. Après le déjeuner, Corinne est sortie dans le jardin. Tout était immobile et silencieux comme dans le cimetière. Et puis le vent est arrivé, frôlant la peau tout en tiédeur et caresses de bête familière. Les feuilles des arbres se sont mises à danser, les fleurs se sont courbées comme pour une révérence, un frisson de bonheur a parcouru l’herbe. Partout ça s’animait, ça chuchotait. Corinne a pensé, c’est vivant, le vent, c’est lui qui donne une âme aux choses. La dame du catéchisme dit que dieu a créé Adam en soufflant sur une poignée d’argile. Est-ce que c’est pareil pour le bébé du ventre de maman ? Est-ce que papa a soufflé dessus ? Sinon, ce sera juste un gros tas de terre glaise qui sortira du ventre.

Est-ce qu’elle aussi, elle pourrait donner la vie juste en soufflant avec sa bouche ? Maman dit qu’il faut grandir d’abord. Qu’est-ce que c’est Grandir ? C’est ne plus être petit, mais Corinne comprend bien que ça ne suffit pas, ça n’est même pas le plus important. Tante Agnès est vraiment petite et pourtant c’est une «grande personne » et elle a des enfants. Les grandes personnes ne parlent pas comme les enfants et ils font beaucoup de choses qu’on ne saurait pas faire. Toute seule, Corinne ne saurait pas se débrouiller. Elle ne saurait pas construire une maison, conduire la voiture. Elle ne saurait pas faire le travail que font papa et maman pour gagner de l’argent, ce travail mystérieux pour lequel ils partent tous les matins. Souvent ils lui disent « quand tu sera grande. » ou « quand tu voleras de tes propres ailes. » ou « quand tu gagneras ta vie. »
Papa a dit les cigales sont en train de sortir. Il a expliqué à Corinne que les petites cigales restent longtemps sous la terre, toutes blanches et toutes molles, comme des bébés. Est-ce qu’elles sont en argile elles aussi, avec toute celle  qu’il y a dans la terre ? Ensuite papa dit qu’elles sortent de terre et elles laissent leur peau de bébé, et elles s’envolent. Il lui a montré une peau de bébé cigale, une mue il a dit, toute grise et vide avec un trou par où la   cigale grande personne est sortie de la peau de la cigale enfant.

Dans le potager, Corinne a trouvé une « mue » accrochée à une tige de tomate. La bête est à moitié sortie de la peau. Elle est verte  et elle a l’air mouillée et collante comme un bonbon qu’on a sucé. On voit qu’elle voudrait s’envoler, mais elle n’y arrive pas. Ça doit être pour ça que Dieu a soufflé sur Adam, parce qu’il était tout mouillé et collant. Alors Corinne gonfle ses joues et souffle, souffle sur la bestiole qui commence à bouger un peu plus. Les ailes se déplient, les antennes remuent, les yeux regardent vers le ciel. Maintenant, elle ressemble vraiment à une cigale. Tout d’un coup les ailes vibrent très vite et la voilà qui s’envole, qui vole de ses propres ailes, comme dit maman. Comme elle aimerait en faire autant, Corinne. C'est sûrement ça grandir.

MA - GNI - FI - QUE !!!!!!!!!!!!
L'un de tes plus beaux textes ( et pourtant tu en as écrit un paquet de beaux textes)
Plein de simplicité, d'amour, de tendresse, et un regard d'enfant parfaitement retranscrit.
Tu me scotches Tobermory

Oserai- je dire qu'il y a beaucoup de sensibilité féminine dans certains de tes textes, particulièrement dans celui- la ?
oui, j'ose!
T'es une sacrée plume Tobermory !
Merci, merci, merci !

   

Admin a tout dit !
Encore un texte superbe où tu te mets parfaitement à la place de la petite fille, en reprenant les questionnements de l'enfance...
Et puis l'ajout des cigales, pour la poésie...

   

Tobermory, il va nous démoraliser Gued.
Enfin une cigale pas dépourvue la bise venue.

effectivement, un texte magnifique, une sorte de conte moderne, plein de tendresse et de sagesse. Bon vent à Corinne et à la cigale et surtout merci de nous donner à lire de si beaux textes, sans conteste mon préféré de tous tes textes et comme dit Admin, tu en as beaucoup écrit de très chouettes.
  

Je ne sais quel qualificatif utiliser pour ce texte  tant il donne de  beauté à la création .

J'aime particulièrement cette phrase sur le vent : tober  est un poète doublé d'un fin observateur...
  

Les feuilles des arbres se sont mises à danser, les fleurs se sont courbées comme pour une révérence, un frisson de bonheur a parcouru l’herbe. Partout ça s’animait, ça chuchotait.

Je me joins aux autres pour te dire que ton texte est vraiment magnifique, plein de tendresse pour cette petite fille   

Ce texte est a la fois poétique, tendre et émouvant. J'adore tes textes en général Tober, et celui ci est magnifique. On entends les cigales a travers tes mots.   

C'est vrai qu'il est beau, ton texte...Je suis particulièrement sensible au dernier paragraphe et à l'envol de la cigale...Ce sera bientôt ton tour, Corine, prend patience Tu as fait un premier pas et peut-être que l'arrivée de ta petite sœur/petit frère t'aidera à aller plus loin, d'ailleurs.

Bref, tout ça pour dire    et   

Merci pour vos commentaires ! Au départ, ce sujet ne me parlait guère. Et puis je me suis lancé ; on tire un fil et le reste suit (enfin, ça ne marche pas toujours aussi bien...)
Je ne connaissais pas ce peintre. Je ne sais pas si c’est l’espèce de bonnet de la gamine ou le côté réaliste du tableau, ou parce que l’artiste est belge, mais ça m’a d’abord évoqué Breughel. Depuis, je me suis un peu documenté sur le web et j’ai découvert que c’est un contemporain, avec une œuvre très originale. J’y retournerai sûrement voir.

@Admin : tu peux oser : me dire qu’il y a de la sensibilité féminine dans mes textes, ça me flatte beaucoup.

@Amanda : j’aime les histoire d’enfant, en lire, en écrire.

@Sel : J’ai eu plusieurs fois l’occasion d’observer la mue et l’envol des cigales dans mon jardin et je trouve ça fascinant.

encore un texte superbement écrit, comme Tober aime nous en offrir. Cette petite fille est bien dégourdie dans ses réflexions, je trouve très vrai ce portrait.