Réveil
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Amanda.
July_C
Pati
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Réveil
Le miroir s’est brisé. Pas que lui, d’ailleurs, tout a volé en éclats.
Une seconde avant, ma vie était parfaite. Une jolie maison en banlieue, un mari aimant et attentionné, un chien, des voisins agréables, quelques soirées pour tromper l’ennui, un job pas passionnant mais pas désagréable non plus, tout pour être heureuse, non ?
Et puis je ne sais pas, ce matin, devant la glace de la salle de bains, je suis restée scotchée à mon reflet un peu flouté par la buée chaude d’après douche.
Il y a des moments comme ça, dans la vie. Des moments où tout s’arrête, comme si le temps avait le hoquet, un laps d’éternité entre deux respirations. Qu’ont-ils de particulier ? Rien ne les distingue des autres, pourtant. Le soleil tape de la même façon derrière la fenêtre, la neige tombée la nuit éblouit tout autant alors pourquoi ?
Je suis restée la main en l’air, la brosse à dents tremblant légèrement. Qui est cette femme qui me regarde dans le miroir ? Ce ne peut pas être moi, je n’ai pas ce regard de folle quand même ? Un regard vidé de toute sa substance, de toute sa vitalité… creux. Elle est passée où, la femme pleine de projets, avec son agenda farci de rendez-vous ? Avec sa vie si bien organisée que pas un seul petit imprévu n’aurait sa place, surtout pas.
Elle est encore belle pourtant. De beaux restes malgré ses cinquante ans passés, qu’elle a fêté avec classe, entourée de ses amis. Amis ? Quels amis ? Ce ne sont qu’une bande de snobs qui se foutent des autres, et cette femme n’a pas l’air mieux. Où ai-je disparu ? Pourquoi je ne me reconnais plus ?
Je quitte ce reflet qui ne m’appartient pas, je le fuis. Je me tourne vers la fenêtre et son ouverture sur un monde qui m'apparaît comme neuf, lavé de sa grisaille. Est-ce le blanc immaculé de la neige toute fraîche ? Est-ce la ville proche dont je distingue le voile de pollution qui me nargue ?
Besoin d’air. J’’ouvre la fenêtre en grand, j’inspire à pleins poumons, j’ai besoin de m’aérer le corps, l’âme, j’ai besoin de cette bouffée d’air pour me réveiller d’un sommeil si perfide que je viens juste de comprendre que je dormais.
Au fur à mesure que l’air froid me pénètre, une vague de colère menace de me submerger. Je la sens monter en moi, elle dévale mon corps rapidement, prend de l’ampleur. Je la regarde prendre possession de moi, mes mains lâchent une brosse à dents dont j’ai oublié l’existence, elles ne tremblent plus mais se serrent de rage, mes jointures blanchissent sous l’effort, je n’en ai cure. Je suis à la fois spectatrice de ce tsunami qui vient, et son ultime actrice. Je jubile en fait.
J’attrape le premier objet qui tombe sous ma main, c’est un bocal de sels de bains, il file avec grâce vers le jardin et éclate bruyamment sur une pierre. Pas assez. Encore !
Un à un, tout ce qui décore ma salle de bains se retrouve dehors, jeté par-dessus bord avec une jubilation intense. Je me libère. De quoi, je ne sais pas vraiment, de tout, de rien, peu importe, mais j’agis.
Je me retourne, à la recherche d’un autre projectile, mais il n’y a plus rien. Plus rien que le miroir, l’ombre de la folle est encore incrusté dans son tain. Je ne veux plus jamais croiser ce regard, celui de celle qui a vécu une vie qui n’était pas la sienne, celle qui a fait semblant si longtemps.
La serviette qui m’entoure se retrouve en boule au creux de mes mains et je les lance avec force sur le miroir qui implose sous le choc. Pas assez. Encore !
Non, attends, respire, tout va bien, tout va mieux.
Un large éclat de verre repose de travers dans le lavabo. Je l’attrape avec précaution. J’y vois l’image ébouriffée d’une femme aux joues rouges, essoufflée mais belle d’une vitalité retrouvée.
Je me vois. Je suis moi.
L’éclat fend l’air et rejoint l’amas hétéroclite qui orne mon jardin. Est-ce mon imagination ? Il s’est planté dans la neige, est à moitié enfoui sous elle, mais dans le verre encore visible, j’aperçois un coin de verdure. De grands pins qui ne sont certainement pas nés dans cette banlieue grise et sale. Un monde neuf. Pour une vie à ne plus perdre.
Je n’ai plus rien à faire ici. Il est temps d’aller voir si les pins sont encore verts, ailleurs...
Une seconde avant, ma vie était parfaite. Une jolie maison en banlieue, un mari aimant et attentionné, un chien, des voisins agréables, quelques soirées pour tromper l’ennui, un job pas passionnant mais pas désagréable non plus, tout pour être heureuse, non ?
Et puis je ne sais pas, ce matin, devant la glace de la salle de bains, je suis restée scotchée à mon reflet un peu flouté par la buée chaude d’après douche.
Il y a des moments comme ça, dans la vie. Des moments où tout s’arrête, comme si le temps avait le hoquet, un laps d’éternité entre deux respirations. Qu’ont-ils de particulier ? Rien ne les distingue des autres, pourtant. Le soleil tape de la même façon derrière la fenêtre, la neige tombée la nuit éblouit tout autant alors pourquoi ?
Je suis restée la main en l’air, la brosse à dents tremblant légèrement. Qui est cette femme qui me regarde dans le miroir ? Ce ne peut pas être moi, je n’ai pas ce regard de folle quand même ? Un regard vidé de toute sa substance, de toute sa vitalité… creux. Elle est passée où, la femme pleine de projets, avec son agenda farci de rendez-vous ? Avec sa vie si bien organisée que pas un seul petit imprévu n’aurait sa place, surtout pas.
Elle est encore belle pourtant. De beaux restes malgré ses cinquante ans passés, qu’elle a fêté avec classe, entourée de ses amis. Amis ? Quels amis ? Ce ne sont qu’une bande de snobs qui se foutent des autres, et cette femme n’a pas l’air mieux. Où ai-je disparu ? Pourquoi je ne me reconnais plus ?
Je quitte ce reflet qui ne m’appartient pas, je le fuis. Je me tourne vers la fenêtre et son ouverture sur un monde qui m'apparaît comme neuf, lavé de sa grisaille. Est-ce le blanc immaculé de la neige toute fraîche ? Est-ce la ville proche dont je distingue le voile de pollution qui me nargue ?
Besoin d’air. J’’ouvre la fenêtre en grand, j’inspire à pleins poumons, j’ai besoin de m’aérer le corps, l’âme, j’ai besoin de cette bouffée d’air pour me réveiller d’un sommeil si perfide que je viens juste de comprendre que je dormais.
Au fur à mesure que l’air froid me pénètre, une vague de colère menace de me submerger. Je la sens monter en moi, elle dévale mon corps rapidement, prend de l’ampleur. Je la regarde prendre possession de moi, mes mains lâchent une brosse à dents dont j’ai oublié l’existence, elles ne tremblent plus mais se serrent de rage, mes jointures blanchissent sous l’effort, je n’en ai cure. Je suis à la fois spectatrice de ce tsunami qui vient, et son ultime actrice. Je jubile en fait.
J’attrape le premier objet qui tombe sous ma main, c’est un bocal de sels de bains, il file avec grâce vers le jardin et éclate bruyamment sur une pierre. Pas assez. Encore !
Un à un, tout ce qui décore ma salle de bains se retrouve dehors, jeté par-dessus bord avec une jubilation intense. Je me libère. De quoi, je ne sais pas vraiment, de tout, de rien, peu importe, mais j’agis.
Je me retourne, à la recherche d’un autre projectile, mais il n’y a plus rien. Plus rien que le miroir, l’ombre de la folle est encore incrusté dans son tain. Je ne veux plus jamais croiser ce regard, celui de celle qui a vécu une vie qui n’était pas la sienne, celle qui a fait semblant si longtemps.
La serviette qui m’entoure se retrouve en boule au creux de mes mains et je les lance avec force sur le miroir qui implose sous le choc. Pas assez. Encore !
Non, attends, respire, tout va bien, tout va mieux.
Un large éclat de verre repose de travers dans le lavabo. Je l’attrape avec précaution. J’y vois l’image ébouriffée d’une femme aux joues rouges, essoufflée mais belle d’une vitalité retrouvée.
Je me vois. Je suis moi.
L’éclat fend l’air et rejoint l’amas hétéroclite qui orne mon jardin. Est-ce mon imagination ? Il s’est planté dans la neige, est à moitié enfoui sous elle, mais dans le verre encore visible, j’aperçois un coin de verdure. De grands pins qui ne sont certainement pas nés dans cette banlieue grise et sale. Un monde neuf. Pour une vie à ne plus perdre.
Je n’ai plus rien à faire ici. Il est temps d’aller voir si les pins sont encore verts, ailleurs...
Pati- Kaléïd'habitué
- Humeur : mouvante
Re: Réveil
Le miroir s'est brisé derrière une colère. Cette colère dont on ne sait d'où elle vient et pourquoi elle est là. Et dont il est difficile de nommer les raisons.
Tu montres bien à travers ce texte comment les choses passent par le corps quand les mots ne suffisent pas à expliciter un vécu perturbant, difficile.
Les pins sont-ils plus vertes ailleurs alors ? :-)
Tu montres bien à travers ce texte comment les choses passent par le corps quand les mots ne suffisent pas à expliciter un vécu perturbant, difficile.
Les pins sont-ils plus vertes ailleurs alors ? :-)
July_C- Kaléïd'habitué
- Humeur : qui vagabonde
Re: Réveil
Tu racontes divinement bien le tsunami qui est devenu chose assez banale de nos jours, à savoir la prise de conscience de la femme qu'elle n'est plus elle-même, qu'à partir d'un certain âge, elle veut " s'aérer le corps et l'âme", elle n'en peut plus d'une belle petite vie bien cadrée.
" un monde neuf pour une vie à ne plus perdre" c'est exactement cela.
Perso, je viens de vivre cela dans ma famille avec une belle-fille qui a tout plaqué à 4O ans, gentil mari, beaux enfants, belle maison etc....
Aujourd'hui, après quelques mois de recul, elle s'en mord les doigts parce que partir , c'est facile mais rebâtir ailleurs et autre chose, ça n'est pas si simple.
Etre libre, oui, mais être libre toute seule, alors là, ça se complique vachement.
J'ajoute juste pour ce texte très riche !
" un monde neuf pour une vie à ne plus perdre" c'est exactement cela.
Perso, je viens de vivre cela dans ma famille avec une belle-fille qui a tout plaqué à 4O ans, gentil mari, beaux enfants, belle maison etc....
Aujourd'hui, après quelques mois de recul, elle s'en mord les doigts parce que partir , c'est facile mais rebâtir ailleurs et autre chose, ça n'est pas si simple.
Etre libre, oui, mais être libre toute seule, alors là, ça se complique vachement.
J'ajoute juste pour ce texte très riche !
Amanda.- Modératrice
- Humeur : résolument drôle
Re: Réveil
Amanda écrit: texte très riche, perso je dirais presque: texte trop riche.
Je pense qu'il pourrait être retravaillé pour alléger certaines phrases par ex celle-ci:
J’attrape le premier objet qui tombe sous ma main, c’est un bocal de sels de bains (J’attrape le premier objet à ma portée: un bocal de sels de bains)
Mais surtout, il y a beaucoup trop d'adverbes à mon goût.
En bref, ben comme dab, je suis fan de ton écriture, mais il y a encore un peu de boulot pour retrouver une certaine légèreté d'antan (si tu vois ce que je veux dire )
Très belle histoire malgré tout
Je pense qu'il pourrait être retravaillé pour alléger certaines phrases par ex celle-ci:
J’attrape le premier objet qui tombe sous ma main, c’est un bocal de sels de bains (J’attrape le premier objet à ma portée: un bocal de sels de bains)
Mais surtout, il y a beaucoup trop d'adverbes à mon goût.
En bref, ben comme dab, je suis fan de ton écriture, mais il y a encore un peu de boulot pour retrouver une certaine légèreté d'antan (si tu vois ce que je veux dire )
Très belle histoire malgré tout
Admin- Admin
- Humeur : Concentrée
Re: Réveil
Pati, c'est avec effroi que j'ai suivi le désarroi, que dis-je, l'énorme détresse (très bien rendue) de ton héroine. , Parmi mes connaissances féminines, j'ai connu l'une ou l'autre qui ont vécu le même mal être. En tant qu'homme, ce qui me surprend, c'est comment arrive-t-on à un tel tsunami d'angoisse et d'égarement ? Un trop plein, un vrai débordement lié à l'accumulation de trop de choses ressenties négativement. N'y a-t-il pas, en cours de crise, des signaux, qui apparaissent l'un après l'autre ? Pourquoi laisser tout s'empiler ? Trop de concessions ? Cette foutue culpabilité qui empêche d'interpréter objectivement chaque signal pour pouvoir le "désamorcer" ? Mystère !
virgul- Kaléïd'habitué
- Humeur : optimiste
Re: Réveil
Je suis en admiration devant la richesse de ton vocabulaire, des images, des sensations évoquées, du ralentis que tu nous offres dans ce qui se passe à ce moment précis, traversant les couches de plus en plus profondes de l'être décrit. J'aime comment tu nous emmènes du miroir brisé aux pins dans la neige pour ne parler que du superficiel de ton texte car entre les lignes, il y a une intensité étonnante qui me prend aux tripes.
Mesange- Kaléïd'habitué
- Humeur : en phase de reconcentration
Re: Réveil
J'ai été un carreau de faïence pendant quelques instants, bien heureux d'être collé et perdu parmi mes confrères, sous-couvert d'anonymat, j'ai assisté à la scène, j'ai partagé, adhéré (pour un carreau en même temps...) à ta détresse, j'ai redouté d'y passer à mon tour par ta fenêtre. Très beau texte, j'ai senti le souffle de la déflagration, passé de près... J'adore tout simplement.
Aldaron De Molégers- Occupe le terrain
- Humeur : Alternance de teintes du sombre au clair-obscur.
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