A. Je suis une légende… urbaine
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July_C
Sherkane
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tobermory
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A. Je suis une légende… urbaine
Quand je vous aurai dit mon métier, vous comprendrez pourquoi je suis l’homme le plus détesté du quartier. Hé oui, je suis le toqueur de fenêtre. Dans le petit matin blême, je fais « toc toc » sur la vitre. Je tire les bonnes gens de leur plus grande jouissance, non, pas les ébats amoureux, ils sont trop vannés pour ça, mais le sommeil et sa guirlande de quiétude, de rêves et d’oubli. Et quoi de mieux que le rêve ou l’oubli dans cette saleté de vie ? Et qu’est-ce qu’il y a de pire que de se lever pour aller travailler ? Parce que mes clients, ce ne sont pas des nantis, avec un gentil boulot en costar cravate pour les messieurs et corsage de dentelle pour les mesdames. Mes clients, ils turbinent dans la crasse, dans la puanteur. Ils se bousillent les yeux et les mains dans les filatures, ils se claquent les muscles sur les chantiers, ils se pourrissent les poumons aux cochoncetés chimiques. Le toc toc du réveil, c’est aussi joyeux que la flicaille qui vient vous chercher pour la montée des marches de l’échafaud.
Alors ces gens là, même s’ils m’ont payé pour que je les réveille, ils sont quand même furieux quand je le fais. J’en ai vu, des poings levés précédant une voix qui criait « salaud ! », quand ça n’était pas le pot de chambre vidé sur ma tête en guise de bénédiction.
Bref, je l’ai dit, les gens me détestent. Mais les choses ont pris une tournure nouvelle quand le Marcel est mort. Toute la journée sa bourgeoise, si on peut dire, vu que c’était des prolos du bas de l’échelle, donc cette pouffe a raconté à qui voulait l’entendre : « J’ai entendu le toc toc de l’autre fainéant et j’ai trouvé que c’était un toc toc bizarre. Et comme mon Marcel ne bougeait pas je l’ai secoué , secoué et j’ai vu qu’il était mort. A mon avis, le toqueur lui a jeté un sort. » Tout le monde savait qu’il avait le foie et la cervelle bouffés par le tord-boyaux qu’il s’envoyait en guise de distraction au troquet du coin, mais quand même, c’était de ma faute. Pareil quand ça a été le tour de Mariette, une pauvre fille qui crachait ses poumons. Il y en eu d’autres ; à mon avis pas plus qu’avant parce que beaucoup déjà ne faisaient pas de vieux os, mais ça ils l’avaient oublié. Ça jasait dur sur mon compte. Que j’avais passé un pacte avec le diable et que mes toc toc retentissaient jusqu’au fond de l’enfer pour rameuter les sorcières et autres créatures diaboliques qui venaient tourmenter les chrétiens. On disait «regardez sa dégaine, regardez sa tête, un squelette ambulant, aussi maigre que Valentin le désossé (*) et la face plus pâle que la lune. » C ‘est sûr que ça n’était pas avec ce qu’ils me payaient que je pouvais me taper la cloche. Et se lever avant tout le monde à 4 heures du mat, forcément c'est pas ça qui donne des couleurs.
J’étais devenu « le suppôt de Satan », « la Mort qui rôde », « La camarde en maraude » et autres joyeusetés. Bientôt, plus personne n’a voulu de moi. Ils ne m’ont plus payé, mais moi, remonté comme une horloge, pas possible d’arrêter ; j’ai continué chaque matin à toquer aux fenêtres. Sans un sous pour manger, j’étais de plus en plus maigre et pâle, je ressemblais de plus en plus à la Mort. Tant mieux si je terrifiais tous ces salopards qui m’avaient mis sur la paille. Vraiment , j'étais la Mort et je ricanais comme elle. A présent on me crie de décamper, on me menace du surin ou de la baston. Ha ha, qui donc oserait tuer la mort ?
(*)Valentin le désossé : danseur de l'époque du French cancan, maigre comme un clou. Dans le film de Jean Renoir "French cancan", il était interprété par Philippe Clay.
Alors ces gens là, même s’ils m’ont payé pour que je les réveille, ils sont quand même furieux quand je le fais. J’en ai vu, des poings levés précédant une voix qui criait « salaud ! », quand ça n’était pas le pot de chambre vidé sur ma tête en guise de bénédiction.
Bref, je l’ai dit, les gens me détestent. Mais les choses ont pris une tournure nouvelle quand le Marcel est mort. Toute la journée sa bourgeoise, si on peut dire, vu que c’était des prolos du bas de l’échelle, donc cette pouffe a raconté à qui voulait l’entendre : « J’ai entendu le toc toc de l’autre fainéant et j’ai trouvé que c’était un toc toc bizarre. Et comme mon Marcel ne bougeait pas je l’ai secoué , secoué et j’ai vu qu’il était mort. A mon avis, le toqueur lui a jeté un sort. » Tout le monde savait qu’il avait le foie et la cervelle bouffés par le tord-boyaux qu’il s’envoyait en guise de distraction au troquet du coin, mais quand même, c’était de ma faute. Pareil quand ça a été le tour de Mariette, une pauvre fille qui crachait ses poumons. Il y en eu d’autres ; à mon avis pas plus qu’avant parce que beaucoup déjà ne faisaient pas de vieux os, mais ça ils l’avaient oublié. Ça jasait dur sur mon compte. Que j’avais passé un pacte avec le diable et que mes toc toc retentissaient jusqu’au fond de l’enfer pour rameuter les sorcières et autres créatures diaboliques qui venaient tourmenter les chrétiens. On disait «regardez sa dégaine, regardez sa tête, un squelette ambulant, aussi maigre que Valentin le désossé (*) et la face plus pâle que la lune. » C ‘est sûr que ça n’était pas avec ce qu’ils me payaient que je pouvais me taper la cloche. Et se lever avant tout le monde à 4 heures du mat, forcément c'est pas ça qui donne des couleurs.
J’étais devenu « le suppôt de Satan », « la Mort qui rôde », « La camarde en maraude » et autres joyeusetés. Bientôt, plus personne n’a voulu de moi. Ils ne m’ont plus payé, mais moi, remonté comme une horloge, pas possible d’arrêter ; j’ai continué chaque matin à toquer aux fenêtres. Sans un sous pour manger, j’étais de plus en plus maigre et pâle, je ressemblais de plus en plus à la Mort. Tant mieux si je terrifiais tous ces salopards qui m’avaient mis sur la paille. Vraiment , j'étais la Mort et je ricanais comme elle. A présent on me crie de décamper, on me menace du surin ou de la baston. Ha ha, qui donc oserait tuer la mort ?
(*)Valentin le désossé : danseur de l'époque du French cancan, maigre comme un clou. Dans le film de Jean Renoir "French cancan", il était interprété par Philippe Clay.
Dernière édition par tobermory le Dim 18 Oct - 9:41, édité 2 fois
tobermory- Kaléïd'habitué
- Humeur : Changeante
Re: A. Je suis une légende… urbaine
L'obsessionnel toqueur de fenêtre qui continue, même si on ne veut plus de lui, a toquer aux fenêtres des pauvres gens! C'est assez flippant !!!
encore un texte parfaitement rédigé
encore un texte parfaitement rédigé
Admin- Admin
- Humeur : Concentrée
Re: A. Je suis une légende… urbaine
Excellent Tober. J'adore ton texte à la fois cynique et tout en humour noir.
Par contre je n'aurais pas écrit le dernier paragraphe. Il m'a "cassé" toute l'ambiance de ton texte. Ce n'est bien sûr que mon avis de lecteur.
Par contre je n'aurais pas écrit le dernier paragraphe. Il m'a "cassé" toute l'ambiance de ton texte. Ce n'est bien sûr que mon avis de lecteur.
Sherkane- Kaléïd'habitué
- Humeur : ....
Re: A. Je suis une légende… urbaine
Voilà un personnage qui prend la place que tout un quartier lui donne...
Revenir comme un mort pour enfin se faire la malle...
Je me serai bien arrêté sur la question qui invite le lecteur à imaginer la suite.
Mais le tic tac qui remplace le toc toc.... conclue également bien ton texte.
Merci pour cette agréable lecture dominicale. ^^
Revenir comme un mort pour enfin se faire la malle...
Je me serai bien arrêté sur la question qui invite le lecteur à imaginer la suite.
Mais le tic tac qui remplace le toc toc.... conclue également bien ton texte.
Merci pour cette agréable lecture dominicale. ^^
July_C- Kaléïd'habitué
- Humeur : qui vagabonde
Re: A. Je suis une légende… urbaine
Merci pour ces commentaires.
@ Sherkane : j'ai écrit ça hier soir au fil de la plume à partir d'un petit bout d'idée, le nez dans le guidon et sans aucun recul. Tu as raison, c'est mieux sans la conclusion, ça laisse davantage une ambigüité réalisme/fantastique.
@ July C. Hé oui, je m'étais fait plaisir avec le toc toc et le tic tac , mais c'est le genre de plaisir qui n'apporte rien au texte.
Edit : étourdi que je suis : j'ai oublié de préciser : j'ai modifié, j'ai supprimé le paragraphe en question.
@ Sherkane : j'ai écrit ça hier soir au fil de la plume à partir d'un petit bout d'idée, le nez dans le guidon et sans aucun recul. Tu as raison, c'est mieux sans la conclusion, ça laisse davantage une ambigüité réalisme/fantastique.
@ July C. Hé oui, je m'étais fait plaisir avec le toc toc et le tic tac , mais c'est le genre de plaisir qui n'apporte rien au texte.
Edit : étourdi que je suis : j'ai oublié de préciser : j'ai modifié, j'ai supprimé le paragraphe en question.
tobermory- Kaléïd'habitué
- Humeur : Changeante
Re: A. Je suis une légende… urbaine
La mort fait son métier - elle aussi - à l'aube paraît-il. Aussi pas étonnant en ces temps où les croyances - qu'elles soient religieuses ou profanes - hantaient les esprits que ton toqueur soit accusé de mille morts justement.
J'aime bien le "remonté comme une horloge" Et la fin ne me déplaît pas même si, comme le souligne Sherkane, elle donne finalement une mauvaise image de ton personnage. Mais après tout, il se venge.
J'aime bien le "remonté comme une horloge" Et la fin ne me déplaît pas même si, comme le souligne Sherkane, elle donne finalement une mauvaise image de ton personnage. Mais après tout, il se venge.
Invité- Invité
Re: A. Je suis une légende… urbaine
Merci Yvanne. En effet, j'ai pensé aussi à "la mort qui vient frapper à l'aube"
Pour ce qui est du dernier paragraphe évoqué par Sherkane, en fait tu ne l'a pas lu puisque je l'ai supprimé après sa remarque. (du moins si tu as lu le texte tel qu'il est actuellement)
Pour ce qui est du dernier paragraphe évoqué par Sherkane, en fait tu ne l'a pas lu puisque je l'ai supprimé après sa remarque. (du moins si tu as lu le texte tel qu'il est actuellement)
tobermory- Kaléïd'habitué
- Humeur : Changeante
Re: A. Je suis une légende… urbaine
Très bien amené. Le toqueur qui, parce qu'il dérange, fini par se faire haïr, puis se venge en prenant le visage de la mort, puisque c'est de cela dont on l'accuse. Ton écriture est toujours belle et agréable à lire.
virgul- Kaléïd'habitué
- Humeur : optimiste
Re: A. Je suis une légende… urbaine
Que de noirceur dans ton texte..... écriture évoluant comme dans un élan destructeur de la peine à l'amertume extrême. Tu le fais très bien!
Mesange- Kaléïd'habitué
- Humeur : en phase de reconcentration
Re: A. Je suis une légende… urbaine
Moi aussi j'ai bien aimé ton texte. Je trouve très bien dépeints les maux qui assaillent les pauvres gens. Le toqueur étant encore plus pauvre puisque il dépend de leur bon vouloir. Quant à la mort, qui frappe à l'aube, comme le toqueur, elle vient pour mettre fin à un rêve et fait place à une dure réalité. Le parallèle est bien vu. Encore un très bon texte.
Escandélia- Kaléïd'habitué
- Humeur : joyeuse
Re: A. Je suis une légende… urbaine
J'aime beaucoup le glissement progressif et la transformation de ton personnage, de la réalité déjà noire, vers une image angoissante encore plus funèbre, à la limite du fantastique.
Nerwen- Modératrice
- Humeur : Légère
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