A - Les gens sont méchants

Les vacances avaient pourtant bien commencé en cette année 2021. Le soleil était de la partie et faute de voyage estival inapproprié au regard de mes finances étriquées, je pouvais  me livrer en toute tranquillité à mon violon d'Ingres préféré. En l'occurrence, le jardinage me procurait d'intenses satisfactions aiguillonnées par la transgression de lois intangibles.  En effet, L'arsenal législatif s'était singulièrement étoffé   en quelques mois.

On avait commencé par déshabiller le   salariat pour revenir à cette notion  plus moderne : ''bosse et tais-toi''. Sur la lancée , inspirés par Molière et son Tartuffe, on  uniformisait la tenue de rigueur féminine du bain de mer. Ou plus exactement, plonger dans l'onde bienfaisante  autrement qu'en tenue légère était frappé d'interdiction.  Quant à la notion '' cachez ce sein que je ne saurais voir'' on ignore  si les législateurs s'en inspirèrent …


En revanche, les prisons surchargées émurent  le Parlement qui voulut innover.

Le retour à une pratique du siècle précédent  l'emporta sur d'autres méthodes jadis bien en cour.

Littéralement, clouer au pilori  les délinquants s'avérait cruel : depuis deux mille ans, on n'en finissait plus de gloser sur la crucifixion    d'un certain JC.

Un instant, le carcan tenait la corde. Mais  avec  la stabulation libre des bovins enfin libres de vaquer librement dans un espace restreint, il apparaissait excessivement cruel d'exposer à la vindicte publique  les humains condamnés,  attachés à un poteau de fer.

C'est alors que s'imposèrent les ''fillettes'' de Louis XI.  Le monarque controversé prenait grand soin de prisonniers enfermés dans les cages de fer  pourvues d'un confort élémentaire. A défaut de se tenir debout, l'enfermé pouvait s'asseoir ...

Au lieu et place des travaux d'intérêt général désuets, l'exposition du prévenu à travers les rues de la ville dans une cellule mobile valait les Jeux du Cirque chers aux Romains.

Souci d'économie ? En guise de prison mobile,  on  choisit le side-car. Il  tracte la cellule individuelle à raison d'une heure par jour. Grâce aux caméras urbaines, on ne peut y échapper : tout citoyen est tenu d'apporter la preuve  de sa présence au moins une fois par semaine sur le parcours du condamné.

Le jet de pierres est rigoureusement interdit. Seuls est autorisé, voire recommandé le lancement de tomates, bananes, prunes, raisins, et autres fruits ou légumes non susceptibles de blesser le condamné et à fortiori le policier patenté  pilote du side-car.

Là, se situe mon intervention. Grâce aux potager et verger prodigues en produits appropriés pour ces nouveaux jeux du cirque, j'arrondis ma modeste retraite par la vente de fruits et légumes mûrs à point.

Soucieux d'écologie, héritier d'une coutume ancestrale, je conserve ma semence d'une année sur l'autre. Mises à sécher sur du papier journal, les graines de tomates  produisent  de nouveaux fruits et tout va pour le meilleur des mondes.

Certes, les géants semenciers à qui les gouvernants ne refusent rien, interdisent cette pratique, mais la tendance contestataire fructifiant toujours en mon esprit, je transgresse.  Or, chacun le sait, les gens sont méchants !

Voilà comment, à mon tour, j'erre en cellule mobile sous les quolibets des jaloux qui ont usé de la délation devenue  jeu de société fort prisé.  Sans vergogne, ils me jettent à la figure les tomates qui, ingrates, ne reconnaissent point leur maître …

En conclusion, en guise de considération, ne suis-je pas devenu  monarque   en chaise à porteurs ? Belle fin de vacances !