A. Les rafistoleurs de rêves

Un écureuil m’a demandé mon nom ce matin. Je lui ai dit et il a eu l’air déçu :
- Alors tu n’es pas Aurélie ?
- Ben non. Je lui ressemble ?
- Sais pas. C’est juste qu’elle est très vieille.
- Merci,c’est trop fort ! J’ai 32 ans, je suis en bonne santé, je prends soin de mon corps, mais j’ai un look de « très vieille » !
- Te vexe pas ! je ne sais pas du tout à quoi elle ressemble Aurélie. Je disais « très vieille » parce qu’elle perd la tête.
- Et moi…
- Rien de spécial par rapport à toi : j’interroge toutes les femmes que je rencontre, des fois qu’elles seraient Aurélie. Maintenant qu’elle perd la tête, moi je suis à la rue. Je ne la retrouve pas sa tête. J’étais si bien dans sa tête. Je faisais des cabrioles, il y avait des arbres immenses, hauts comme des montagnes. Quelle vie de rêve !
- Excuse-moi mais je ne pige rien à ce que tu racontes.
- C’est simple pourtant : Aurélie, j’étais dans ses rêves. Elle aime la nature et les animaux, surtout les écureuils, alors c’était normal que je sois dans ses rêves. C’est facile à comprendre.
- J’ai vu qu’il y a une clinique des rêves dans le quartier, c’est là que tu devrais aller. Peut-être qu’Aurélie y est venue pour faire soigner les siens.
- La clinique des rêves, tu parles si je connais ! C’était un établissement d’utilité publique. Tous ces gens dont les rêves sont brisés et qui voudraient tant qu’on les rafistole. On en voyait des rêves estropiés sur les étagères. Rêves d’amour, rêves de paix, rêves d’une vie meilleure. Sans compter tous ceux qui vivaient avec un salaud ou une mégère et qui auraient bien voulu rencontrer une créature de rêve … au moins dans leurs rêves.
Et c’est qu’ils s’y entendaient là-bas à les remettre sur pied les rêves déglingués. Une perfusion d’optimisme, une cure de rire, une rééducation du sourire et ça repartait !
- Dis donc ça m’a l’air drôlement bien !
- Hélas c’est terminé, fini la clinique des rêves.
- Manque de clientèle ?
- Sûr que non, mais les tracasseries administratives. Nos gouvernants qui n’aiment pas la conccurrence, qui pensent qu’ils nous suffisent comme rêves, avec leurs lendemains qui chantent, leurs bouts du tunnel et leurs quinquennats requinquants comme le quinquina, qu’ils disent.
Et puis les lobbys
- Les lobbys ?
Oui, la clinique, c’était de l’artisanat, des bricoleurs inspirés, du rêve fait main. Ça faisait pas le poids avec toutes ces industries du rêve, celles qui vous en débitent du programmé, du standardisé. La télé, les jeux vidéo, les bouquins et les films formatés, usinés à la chaine.
En attendant je me demande bien  ce que je vais faire. Ecureuil de rêve, c’était un bon boulot.
- Ecoute, je te propose un truc : puisqu’Aurélie est introuvable, tu n’as qu’à venir dans mes rêves à moi, ça me plairait bien.
- Oh, génial ! A ce soir alors !
- Non, à tout de suite. Je suis fatiguée, je sens que je vais faire un petit somme…

C'est génialissime ton texte Tober, tu as réussi à tout caser, jusqu'aux quinquennats d’hécatombes. Trés abouti comme d'hab.

Si les rafistoleurs de rêves existaient réellement je crois que je n'aurais pas confiance. Je préfèrerais me débrouiller toute seule.

Tous ces gens dont les rêves sont brisés et qui voudraient tant qu’on les rafistole. On en voyait des rêves estropiés sur les étagères. Rêves d’amour, rêves de paix, rêves d’une vie meilleure.

Il en faudrait des étagères pour ranger les rêves brisés !
Sûr que écureuil de rêve, ça serait un job qui nécessiterait bien des volontés ! Mais comme parait-il pour certaines catégories d'emplois  qui, selon  les tenants des statistiques ne trouvent pas preneurs, ce métier serait d'un apprentissage difficile parce qu'aujourd'hui sait-on rêver ? Et c'est peut-être de là que vient la réussite (en terme d'espérance de parvenir aux postes électifs de haut niveau) : on manque d'utopie, on ne promet que des lendemains qui déchantent et on croit détenir la clef de l'avenir. Lamentable !!!  ... Oui, on manque d'utopie !

J'ai adoré ton sujet mené de main de maitre , maitre des rêves !

Il est magnifique ton rêve, et tellement bien écrit
Dis, crois-tu que je serais un bonn hôte pour l'écureuil? J'ai besoin de jolis rêves en ce moment

Tober
Notre La Fontaine contemporain ... !

Tout est dit....
bien écrit et riche de contenu....
et de belles allitérations !
que du bonheur !

Un texte dense, tendre et teinté d'ironie aussi.
Oui, Tober, notre nouveau La Fontaine, en effet, tu nous gâtes avec un texte pareil !

Dis un mot à l'écureuil pour moi, si jamais il avait un moment, j'aurais bien besoin de lui aussi pour rafistoler mes rêves

Dommage qu'elle ferme cette clinique, parce que du boulot il y en a un sacré paquet pour elle !

Excellent ton texte, du grand art, chapeau bas!