A. Tombés de haut

Nous avions gardé un souvenir émerveillé de cette époque où nous vivions, tout jeune couple, dans ce qu’on peut appeler un petit paradis. Le propriétaire, un vieil homme généreux, avait mis ce domaine à notre disposition gratis alors que nous étions démunis.

L’endroit était des plus tranquilles, aucun voisin à proximité. Du bon air, pas de pollution, des ruisseaux d’eau pure. Un climat tellement doux que nous dormions le plus souvent à la belle étoile. Avec la variété de la faune et de la flore, il suffisait de tendre la main pour se nourrir. Une profusion digne des meilleurs sites du Club Med, version naturiste car, oui, nous vivions nus. Après tout, il n’y avait personne pour nous voir. A part notre bienfaiteur évidemment, mais lui ça ne comptait pas, du moins le pensions-nous. On ne le voyait jamais, mais parfois on l’entendait. Comme toutes les personnes âgées, il avait tendance à donner des conseils, à rabâcher. Nous, on écoutait à peine. On faisait comme s’il n’existait pas. Nous aimer, admirer la nature, étaient nos principales occupations. Une vie de rêve.

Mais un beau jour, au lieu de ses habituels conseils anodins, il dit d’une grosse voix qu’il serait temps qu’on fasse des enfants et que plus on en aurait, mieux ce serait. Nous en sommes restés pantois. De quoi se mêlait-il ? De quel droit venait-il s’immiscer dans notre vie de couple ? Il ne nous avait rien dit de lui, et nous regrettions à présent notre absence de curiosité.

Nous avons commencé à perdre notre sérénité. Etait-ce une bonne idée de s’installer ici, malgré tous ces avantages ? De plus en plus on avait l’impression d’être surveillés, comme par un œil épiant du haut du ciel. Illusion provoquée par les nuages ? Etions-nous en train de devenir fous ?
Et puis il y eut l’incident de la pomme que j’avais chapardée.

- Mais qu’est-ce qui t’a pris, bon sang ? a crié Adam. Il avait dit qu’on ne devait pas toucher au pommier ! Il semblait déjà assez en rogne comme ça, non ?

- Pardon, croquer une pomme, ce n’est quand même pas un crime. Est-ce que tu deviendrais aussi timbré que lui ?

Alors que nous nous chamaillions ainsi, la voix du vieux a retenti plus puissante que jamais et pleine de rage. Tout bonnement expulsés du domaine, nous avons été refoulés sur une autre de ses propriétés, bien moins agréable. Il nous a promis un avenir difficile, où il faudrait travailler dur. Il en avait surtout contre moi. Je devrais obéir à mon mari et j’accoucherais dans la douleur.

J’ai enfanté. Dans la souffrance chaque fois. Quand je suggérais des moyens d’éviter les grossesses, Adam s’insurgeait :
- Pas question, IL ne veut pas en entendre parler.

Quant à quitter cette terre ingrate, impossible car il nous gardait prisonniers. Peu à peu Adam s’était mis à le vénérer malgré la vie qu’il nous faisait mener. Le syndrome de Stockholm sans doute. Selon lui, il fallait faire tout ce que disait le vieux. Sur notre mode de vie, sur nos relations de couple etc. Et le remercier quotidiennement pour cette existence misérable et même pour les nourritures gagnées à la sueur de notre front.

Puis il a manipulé nos fils dont il a obtenu des offrandes : l’un, des légumes bios et l’autre, de la viande bien grasse.
- Puisse-t-il faire une crise de cholestérol… a un jour murmuré Abel.
- Blasphème ! a hurlé Caïn

Et hier, l’un a tué l’autre. Traqué par la police pour radicalisation, Caïn est en cavale on ne sait où.

Damnation ! Si seulement on s’était mieux renseignés sur LUI au commencement.


Texte écrit récemment dans  le cadre du jeu d'écriture d'un forum.  Particularité, il a été écrit en binôme avec un autre (une) membre du forum tiré au sort, comme le voulait la es règles de ce jeu. Contrainte d'écriture : insérer dans le texte la phrase suivante:

Il ne nous avait rien dit de lui, et nous regrettions à présent notre absence de curiosité.

Expérience très agréable et très enrichissante.

Excellent, j'adore ces revisites insolentes

Adam et Eve réactualisés et une façon très originale de traiter la consigne, un texte très agréable à lire.

Je me suis régalée à lire cette histoire ! Il y a matière à écrire un roman !

Excellente revisite d'un mythe fondateur. J'adore !

Pas mieux que Nerwen. De plus, tu dis que vous avez écrit le texte à deux, et la plume est fluide, on a l'impression que c'est la même personne qui a écrit