A. Ce qui n'a pas été écrit

C’était un homme de lettres, un écrivain à ses heures. Convaincu du pouvoir des mots. Quand la maladie l’a pris dans ses filets il a décidé de témoigner. Il a écrit ses peurs, ses angoisses, sa rage de vivre, les avancées thérapeutiques. Convaincu que ce qui était écrit serait plus fort que le crabe qui lui rongeait la cervelle.

Les mailles du filet se sont resserrées. Les revues scientifiques restèrent dans leur emballage. Il fut placé dans une institution spécialisée. Il a continué d’écrire jour après jour. Il détaillait ses menus faits et gestes. Chaque matin il relisait ce qu’il avait fait la veille, l’avant-veille, l’avant avant-veille. Heureux de tout se rappeler.

Le moment vint où il lui sembla lire la vie d’un  étranger, la redécouvrant chaque jour. Un peu plus tard, les mots qu’il lisait flottèrent dans le vide. Il relisait les phrases les oubliant au fur et à mesure. Leur signification lui échappait. Il arrêta de relire et il cessa de tourner les feuilles de son calendrier mural.

Néanmoins, envers et contre tout, il persista à écrire encore et encore. Fiévreux, compulsif, tel un drogué, il noircissait de signes cabalistiques des pages et des cahiers qui s’entassaient dans le tiroir.

La nasse finit par se refermer complétement. Il arrêta d’écrire. Crayons et cahiers cessèrent de s’accumuler.

Je suis extrêmement touchée par ce texte qui fait remonter en moi ... Bref, c,est un texte émouvant

Texte poignant, Sherkane, qui réveille en moi aussi le souvenir d'un homme de lettres belge, décédé suite à la maladie d'ALzheimer.
Ce pourrait être son histoire !

C'est poignant cette histoire et c'est douloureux. Merci pour ton texte très émouvant.

Oui, cette histoire est émouvante.
Modeste "écrivant",  j'imagine le désarroi de l'auteur qui sent ses capacités s'émousser avant de disparaitre.
Les signes cabalistiques avaient-ils une signification pour lui ?
Nul ne le saura jamais ...  

Ne plus être capable de se reconnaître dans ses propres écrits est tout simplement terrifiant

Tu nous fais toucher avec le cœur l'avancée de la maladie et la déchéance qui s'installe progressivement. J'aime beaucoup la reprise finale d'une variante de la phrase d'introduction.

J’ai d’abord cru que c’était un texte sur les pouvoirs de l’écriture, mais finalement non, cet homme tente de s’accrocher à l’écriture mis finit par capituler. Et l’homme reste fermé sur son mystère. Tu maltraites le lecteur, Sherkane, tu lui fais mal. C’est là la réussite de ton texte.