A.Sous le magnolia
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Charlotte
Cassy
tobermory
7 participants
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A.Sous le magnolia
Sous le magnolia
Caissière de supermarché, pas brillant comme boulot, direz-vous. Pourtant j’aime ça. Tous ces gens qui défilent devant vous, visage fermé ou souriant, vraiment ou faussement indifférent, effronté ou timide. Et qui étalent sur le tapis un peu d’eux-mêmes, de leurs désirs et de leurs rêves. A partir de ces bribes, de ces pointillés de vie, mon imagination s’élance, bâtit des aventures sans doute bien plus riches que la réalité. Je ne vois pas le temps passer.
Depuis quelques semaines un étrange client a fait son apparition. Un homme âgé, grand, sec, élégant, qui a dû être bel homme et qui en a encore de beaux restes. C’est toujours à ma caisse qu’il passe, m^me si elle est plus encombrée. D’ailleurs il irait beaucoup plus vite à celle « moins de 10 articles ». D’article, il n’en a jamais qu’un seul, une boite de thé, marque anglaise, Earl grey.
Mes collègues se moquent, elles disent que c’est mon amoureux, et plus sérieusement me mettent en garde «fais gaffe, le thé, c’est juste un prétexte. C’est un pépère pervers, il faut voir ses yeux comme ils te déshabillent ! »
C’est vrai qu’il me regarde longuement chaque fois qu’il passe, mais je suis sûre que ce n’est pas mon corps qui l’intéresse, qu’il voit plus loin, jusqu’aux tréfonds de mon esprit, de mon âme. Comme il règle toujours en liquide, j’ignore son nom, mais silhouette, distinction et thé aidant je l’ai baptisé Lord Edward.
De plus en plus, j’ai l’impression de le connaitre, de l’avoir déjà rencontré. Tout en passant les codes-barres, vérifiant les règlements et débitant à la chaine des Bonjour, Merci, Au revoir, je titille ma mémoire, explore des recoins en friche depuis longtemps, tente de retenir des flashs fugitifs. Et d’un coup le souvenir revient, avec ses couleurs et ses émotions, entrainant mon cœur dans une chamade de joie et de nostalgie.
20 ans auparavant, j’étais ado en vacances chez ma tante Angèle, une femme gentille et rêveuse – je dois tenir d’elle – et qui lisait force romans sentimentaux genre Harlequin. Elle m’avait communiqué sa passion et je passais de longues heures d’été assise sous le magnolia de son jardin, à lire des volumes de sa bibliothèque. Des moments enchantés qui me faisaient vivre de chair et d’esprit les émois de ces héroïnes en quête d’aventures romantiques et de prince charmant.
Lord… pas Edward, « Lord Edwin », c’était le titre d’un de ces romans, un homme d’âge mûr, raffiné et séduisant, dont, comme l’héroïne, j’étais amoureuse. Et Lord Edwin, je me le représentais alors exactement comme le client aux boites de thé, avec simplement 20 ans de moins.
Cette découverte faite, j’avais hâte de revoir mon Edward/Edwin. Mais les semaines passèrent sans qu’il revienne au supermarché. Chaque fois qu’une boite d’Earl grey avançait sur le tapis, je repensais au vieil homme. Surtout cette fois où la cliente me fit discrètement passer un message avec le billet de son règlement. D’autant que – tour de mon imagination ? – je lui trouvais une ressemblance avec Edwin. Elle me priait de la rejoindre après mon travail dans le petit square qui se trouvait non loin du supermarché, qu’elle avait un objet à me remettre.
Je me rendis au square cœur battant et mains tremblantes. J’appris que le vieil homme était son père, mort récemment après quelques semaines de maladie. Elle déchira l’emballage du grand paquet rectangulaire quelle avait apporté : un tableau : une jeune fille assise dans un jardin, un livre à la main. Mon portrait, mais qui en disait plus sur moi qu’aucun miroir. On y lisait mes rêves, mes pensées secrètes, mon âme…
« Il était peintre », dit la femme «ses dernières forces sont passées dans cette toile. C’est sa plus belle œuvre.»
Mais qui d’autre que moi comprendrait ce détail du tableau : le magnolia dont l’ombre et la lumière enveloppaient la jeune femme au livre ?
Caissière de supermarché, pas brillant comme boulot, direz-vous. Pourtant j’aime ça. Tous ces gens qui défilent devant vous, visage fermé ou souriant, vraiment ou faussement indifférent, effronté ou timide. Et qui étalent sur le tapis un peu d’eux-mêmes, de leurs désirs et de leurs rêves. A partir de ces bribes, de ces pointillés de vie, mon imagination s’élance, bâtit des aventures sans doute bien plus riches que la réalité. Je ne vois pas le temps passer.
Depuis quelques semaines un étrange client a fait son apparition. Un homme âgé, grand, sec, élégant, qui a dû être bel homme et qui en a encore de beaux restes. C’est toujours à ma caisse qu’il passe, m^me si elle est plus encombrée. D’ailleurs il irait beaucoup plus vite à celle « moins de 10 articles ». D’article, il n’en a jamais qu’un seul, une boite de thé, marque anglaise, Earl grey.
Mes collègues se moquent, elles disent que c’est mon amoureux, et plus sérieusement me mettent en garde «fais gaffe, le thé, c’est juste un prétexte. C’est un pépère pervers, il faut voir ses yeux comme ils te déshabillent ! »
C’est vrai qu’il me regarde longuement chaque fois qu’il passe, mais je suis sûre que ce n’est pas mon corps qui l’intéresse, qu’il voit plus loin, jusqu’aux tréfonds de mon esprit, de mon âme. Comme il règle toujours en liquide, j’ignore son nom, mais silhouette, distinction et thé aidant je l’ai baptisé Lord Edward.
De plus en plus, j’ai l’impression de le connaitre, de l’avoir déjà rencontré. Tout en passant les codes-barres, vérifiant les règlements et débitant à la chaine des Bonjour, Merci, Au revoir, je titille ma mémoire, explore des recoins en friche depuis longtemps, tente de retenir des flashs fugitifs. Et d’un coup le souvenir revient, avec ses couleurs et ses émotions, entrainant mon cœur dans une chamade de joie et de nostalgie.
20 ans auparavant, j’étais ado en vacances chez ma tante Angèle, une femme gentille et rêveuse – je dois tenir d’elle – et qui lisait force romans sentimentaux genre Harlequin. Elle m’avait communiqué sa passion et je passais de longues heures d’été assise sous le magnolia de son jardin, à lire des volumes de sa bibliothèque. Des moments enchantés qui me faisaient vivre de chair et d’esprit les émois de ces héroïnes en quête d’aventures romantiques et de prince charmant.
Lord… pas Edward, « Lord Edwin », c’était le titre d’un de ces romans, un homme d’âge mûr, raffiné et séduisant, dont, comme l’héroïne, j’étais amoureuse. Et Lord Edwin, je me le représentais alors exactement comme le client aux boites de thé, avec simplement 20 ans de moins.
Cette découverte faite, j’avais hâte de revoir mon Edward/Edwin. Mais les semaines passèrent sans qu’il revienne au supermarché. Chaque fois qu’une boite d’Earl grey avançait sur le tapis, je repensais au vieil homme. Surtout cette fois où la cliente me fit discrètement passer un message avec le billet de son règlement. D’autant que – tour de mon imagination ? – je lui trouvais une ressemblance avec Edwin. Elle me priait de la rejoindre après mon travail dans le petit square qui se trouvait non loin du supermarché, qu’elle avait un objet à me remettre.
Je me rendis au square cœur battant et mains tremblantes. J’appris que le vieil homme était son père, mort récemment après quelques semaines de maladie. Elle déchira l’emballage du grand paquet rectangulaire quelle avait apporté : un tableau : une jeune fille assise dans un jardin, un livre à la main. Mon portrait, mais qui en disait plus sur moi qu’aucun miroir. On y lisait mes rêves, mes pensées secrètes, mon âme…
« Il était peintre », dit la femme «ses dernières forces sont passées dans cette toile. C’est sa plus belle œuvre.»
Mais qui d’autre que moi comprendrait ce détail du tableau : le magnolia dont l’ombre et la lumière enveloppaient la jeune femme au livre ?
Dernière édition par tobermory le Dim 21 Mai - 23:45, édité 4 fois
tobermory- Kaléïd'habitué
- Humeur : Changeante
Re: A.Sous le magnolia
Waouh!!!!!! Quelle magnifique histoire !!! J'ai plongé dedans et comme ton personnage j'ai imaginé tout le long de ton texte qui etait ce vieil homme. Mais la fin.... je ne l'ai pas imaginé. Tu m'as scotchée. Et en plus elle est belle cette fin, et en plus il est est super bien ecrit ton texte
Cassy- Admin
- Humeur : Déterminée
Re: A.Sous le magnolia
Quelle et tendre histoire et si bien racontée. Bravo
Charlotte- Kaléïd'habitué
- Humeur : joyeuse
Re: A.Sous le magnolia
A te lire, on se prend à aimer la peinture ... et regretter de ne savoir rendre sur la toile les belles images...
On imagine cet homme qui, sans se lasser, scrute les moindres détails et expressions de ce visage
On imagine aussi le message laissé à sa fille afin qu'elle accomplisse sa mission après la mort du peintre.
à l' auteur de ce texte au peintre ... et à la caissière rêveuse.
Bel hommage aux caissières de supermarché !
On imagine cet homme qui, sans se lasser, scrute les moindres détails et expressions de ce visage
On imagine aussi le message laissé à sa fille afin qu'elle accomplisse sa mission après la mort du peintre.
à l' auteur de ce texte au peintre ... et à la caissière rêveuse.
Bel hommage aux caissières de supermarché !
catsoniou- Kaléïd'habitué
- Humeur : couci - couça
Re: A.Sous le magnolia
Très, très belle histoire, délicieusement romantique et nostalgique
Martine27- Kaléïd'habitué
- Humeur : Carpe diem
Re: A.Sous le magnolia
C'est très émouvant cette histoire !
J'admire ton imagination...
J'admire ton imagination...
Amanda.- Modératrice
- Humeur : résolument drôle
Re: A.Sous le magnolia
Une histoire qui commence par une situation somme toute banale et qui nous entraîne irrésistiblement vers une conclusion à la fois romantique et étrange. J'aime beaucoup .
Nerwen- Modératrice
- Humeur : Légère
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