A.Coeur de pierre

Tu peux jeter la pierre. Moi, je ne sentirai rien.

Plus rien.

Je t’ai mangé dans la main, docile et attentive à tes moindres humeurs.

Surtout ne pas te décevoir, anticiper et prévenir, deviner tes moindres désirs.

Me dépasser, être la meilleure, ne me faire remarquer que sur des podiums.
Pour qu’à l’école et au sport, les trophées et les médailles te hurlent les mots que tu ne prononçais jamais.

Mettre mes plus belles robes et me parer de sourires pour décrocher le moindre regard,
Un soupçon d’attention, une étincelle d’approbation ?

Ne pas pleurer, jamais devant toi, dégonfler mon cœur, contenir le flot de mes espoirs et de ma tristesse,

Tant de larmes retenues, toutes ces minuscules victoires sur la pitié, que j’aurais exécré t’inspirer.

Grandir, éclore et devenir belle, rester fière et combattante, malgré les blessures.

Quitter la maison, ta foutue maison.

Tituber dans ma vie, accrocher mes pas aux regards des autres, qui semblaient mieux me connaître.

Partager avec des amis, donner mais aussi oser recevoir. Oser un peu d’abord, puis de plus en plus.

Rire, enfin, me perdre dans l’insouciance, me confier comme eux à l’innocence de notre jeunesse.

Me laisser apprivoiser par l’un d’eux, coquette mais farouche, le laisser m’approcher, me deviner, me révéler. Nous découvrir mutuellement, nous émerveiller l’un l’autre, nous murmurer ces mots pour nous seuls inventés.

Il est le père de notre fille. Lui son héros, elle sa merveille. Ils débordent d’amour et dégoulinent de bonheur.

Une complicité si forte qu’il peine à la gronder, c’est à moi qu’il confie la tâche ingrate de sévir parfois. Mais vois-tu, j’excuse sa lâcheté tellement insignifiante par rapport à ta froideur et ton indifférence.

Aujourd’hui tu es seul, tu es séparé de maman, mais tu n’as jamais quitté personne, nous n’existions pas.

Seul et malade, tu te plains de ne voir personne. L’infirmière m’a appelée ce matin s’étonnant d’apprendre que tu avais une fille.

Elle n’a pas compris quand je lui ai répondu que je ne sentirai plus rien, parce que papa est un mot que je n’ai pas vécu.

J'aime bien la manière dont tu déroules l'histoire de vie de cette enfant/jeunes fille/femme de manière acérée, presque brutale, et qui, à mes yeux, suggère une vie adulte difficile, avec une sorte de rédemption, qui semble toutefois précaire, puisqu'assez fortement dans les dépendances d'un autre, des autres. Toutefois la vie n'est pas terminée pour elle… et la suite peut-être dans une maturité assumée.

C'est peut-être pour cette raison que tu as adoptée des paragraphes particulièrement courts ?
Personnellement, cela me gêne quelque peu parce que c'est très haché, par d'incessants retours à la ligne, et, à mon sens, cela dessert quelque peu la force du texte.
C'est un peu dommage, car l'ensemble du texte est très bon, avec des verbes actifs qui marquent la progression de la personne.

Merci pour ton retour Alainx.
J'ai en effet adopté cette forme qui permet à mon personnage d'aller à l'essentiel, sans fioritures. Pas entièrement cicatrisée, elle manque encore de recul pour aborder les choses avec plus de sérénité. Une forme hachée, sans doute, qui traduit une certaine brutalité, comme celle qu'elle a subie et qu'elle rend à son père.

" donner mais aussi oser recevoir " j'aime cette phrase, elle est très vraie!

Un parcours de vie bien difficile pour cette fille avec un père pareil mais qui pourtant se rend à son chevet sur son lit d’hôpital. Le meilleur pourra peut-être faire sa petite place un jour à sa table.J'espère pour elle.

Cher Virgul, je n'avais aucunement l'intention de lire les autres textes avant de finir d'écrire le mien, et d'ailleurs je n'en ai lu aucun puisque je n'avais pas encore tout à fait terminé le mien. et puis je ne sais pas pourquoi, j'ai cliqué sur ton texte, comme ça, pour lire en diagonale, c'était un texte au hasard.

Et finalement quand j'ai lu de quoi cela traitait, j'ai lu plus attentivement et là je suis assez scotchée car non seulement ton texte rejoignait le mien, mais tes premières phrase étaient quasi identiques, ainsi que la dernière.

Je ne pense pas de fait poster mon texte qui paraîtrait être un copié collé, à moins que j'ai le temps de le transformer.
Je ne pense pas le poster car ce que j'avais au fond des tripes, tu l'as écrit mille fois mieux que moi.

C'est drôle comme les pierres peuvent amener loin  

ce texte est super beau et très fort

(quant à moi, j'aime tes phrases courtes et hachées... elles correspondent au contenu que tu développes)

Moi aussi j'aime ton style qui frappe fort pour un texte absolument magnifique malgré la dureté du sujet traité !

C'est brutal mais très beau ! Une maxime dit que les liens du coeur sont plus forts que ceux du sang, c'est très bien démontré ici !

Encore un texte percutant .... décidément cette consigne a donné lieu à de très belles productions, pleines d'émotions.

Et bien, cela fait du bien de te relire !

Je connais surtout autour de moi des grands enfants, qui "rejetés" par leur parents, se sont voués à eux vers leur fin de vie, comme pour tenter une dernière fois de lire de l'amour et de la reconnaissance dans le regard de ce parent si froid... Et jusque la fin, ce sont les frères/sœurs absent.e.s qui sont les "plus aimés".

En tout cas, c'est drôle comme cette consigne amène comme inspiration émouvante...