A. Carmen
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catsoniou
Ataraxie
Amanda.
Zéphyrine
Pati
Myrte
10 participants
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A. Carmen
Peindre d'abord une petite maison blanche
pleine de rires et d'enfants.
Peindre ensuite quelque chose de joli
une nappe brodée,
quelque chose de simple
un drap de lin ajouré,
quelque chose de beau
une mantille en dentelle de Calais,
quelque chose d'utile
du fil satiné, un dé, des ciseaux dorés,
pour la couturière.
Placer ensuite la toile sur la table de bois,
au milieu des miettes de pain blond,
près du miel et de la confiture
qui bourdonnent d' abeilles.
Dans la cuisine,
dans la chambre,
dans le jardin.
Se cacher derrière les persiennes
et t'attendre à l'ombre du figuier.
A travers les jalousies,
te regarder ranger ton ouvrage.
De tes petites mains blanches,
étendre le linge parfumé de lavande.
Te pencher sur ton miroir
et coiffer tes longs cheveux noirs.
Te surprendre au détour d'une allée
à enfouir ton minuscule nez
dans les pétales d'une rose fanée.
Suivre la courbe sombre de tes sourcils.
Recueillir une larme dans la braise de ton regard.
Caresser ta joue pâle,
esquisser l'ourlet de tes lèvres fines.
Laisser les enfants se blottir sur ton sein,
s'endormir dans ton odeur,
mélange de cannelle et de fleur.
Arrêter le temps à cet instant.
Du bout du pinceau, le fixer à jamais.
Carmen assise au jardin
et les enfants autour.
Suspendre ce tableau.
Ne jamais admettre que ta peau d'argile blanche
brutalement rougisse en perles de sang,
que tes longs cheveux noirs s'étalent
en vagues sombres sur la terre séchée,
que la brûlure du chergui éparpille les fleurs
et laisse les enfants hébétés.
Peindre Carmen dans le parfum des roses,
dans l'odeur de la lessive
et des piments grillés.
Dans les dentelles, les broderies.
Peindre Carmen dans la petite maison blanche.
Peindre Carmen dans le cœur de ma mère.
Carmen, Carmencita,
petite grand-mère inconnue.
Abuelita mia,
Passagère trop vite disparue,
en secret, pour la première fois,
je te peins.
J’avais envie de partager avec vous ce texte que j’ai écrit il y a 7 ou 8 ans.
C’était dans le cadre d’un autre atelier d’écriture (Ailleurs-atelier).
Le thème était le portrait, à traiter comme nous le souhaitions, sous la forme de notre choix : dialogue, lettre, petite annonce, état des lieux, nouvelle, procès-verbal, carte postale, etc…
L’idée d’une lettre me plaisait mais je ne savais pas encore à qui je l’adresserai.
Peu à peu, au fil des jours, j’ai pensé à l’écrire à un être cher disparu.
Et puis, brusquement, comme une révélation, un besoin impérieux s’est imposée à moi : la nécessité de parler de Carmen.
J’ai déjà fait allusion à Carmen dans un commentaire sur un texte qu’Alain a écrit dans la consigne 449 dont le titre est Carmen. Sa lecture m’avait troublée car son histoire, même si elle est différente, m’avait évoqué la mienne.
Carmen était ma grand-mère maternelle. Lorsque j’étais enfant, ma mère nous parlait beaucoup de cette femme, violemment et trop tôt disparue, à l’âge de 33 ans, assassinée sous les yeux de ses quatre enfants alors qu’elle étendait du linge pendant que des poivrons grillaient sur un brasero.
J’ai écrit mon texte sur le modèle de « Pour faire le portrait d’un oiseau » de Jacques Prévert.
J’ai d’abord lu cette poésie et, au fur et à mesure, j’écrivais les mots que j’avais entendus sur Carmen. Ils étaient enfouis dans ma mémoire mais sont sortis facilement.
Il y avait des mots et des photos jaunies.
Pour la première fois de ma vie, je m’adressais vraiment à cette femme que je n’ai pas connue.
J’ai ressenti alors quelque chose de nouveau, à la fois libérateur et éprouvant. Toutes les larmes de mon corps ont coulé.
Je pleurais pour ma mère, pour cette aïeule partie si tôt, pour cette grand-mère que je n’ai jamais eue…
Pour cette grand-mère fantôme dont le secret a pesé sur toute une famille.
Pour la brutalité de la vie parfois… Pour sa fragilité…
J’ai longtemps hésité à envoyer mon texte à l’atelier car je le trouvais trop personnel. J’avais l’impression de m’être mise à nue…
Quand j’ai appuyé sur la touche Envoi, c’était comme tomber dans l’eau glacée…
Aujourd’hui j’arrive mieux à en parler.
Je sais que les mots ont un pouvoir mais je ne mesurais pas à quel point avant d’écrire ce texte.
pleine de rires et d'enfants.
Peindre ensuite quelque chose de joli
une nappe brodée,
quelque chose de simple
un drap de lin ajouré,
quelque chose de beau
une mantille en dentelle de Calais,
quelque chose d'utile
du fil satiné, un dé, des ciseaux dorés,
pour la couturière.
Placer ensuite la toile sur la table de bois,
au milieu des miettes de pain blond,
près du miel et de la confiture
qui bourdonnent d' abeilles.
Dans la cuisine,
dans la chambre,
dans le jardin.
Se cacher derrière les persiennes
et t'attendre à l'ombre du figuier.
A travers les jalousies,
te regarder ranger ton ouvrage.
De tes petites mains blanches,
étendre le linge parfumé de lavande.
Te pencher sur ton miroir
et coiffer tes longs cheveux noirs.
Te surprendre au détour d'une allée
à enfouir ton minuscule nez
dans les pétales d'une rose fanée.
Suivre la courbe sombre de tes sourcils.
Recueillir une larme dans la braise de ton regard.
Caresser ta joue pâle,
esquisser l'ourlet de tes lèvres fines.
Laisser les enfants se blottir sur ton sein,
s'endormir dans ton odeur,
mélange de cannelle et de fleur.
Arrêter le temps à cet instant.
Du bout du pinceau, le fixer à jamais.
Carmen assise au jardin
et les enfants autour.
Suspendre ce tableau.
Ne jamais admettre que ta peau d'argile blanche
brutalement rougisse en perles de sang,
que tes longs cheveux noirs s'étalent
en vagues sombres sur la terre séchée,
que la brûlure du chergui éparpille les fleurs
et laisse les enfants hébétés.
Peindre Carmen dans le parfum des roses,
dans l'odeur de la lessive
et des piments grillés.
Dans les dentelles, les broderies.
Peindre Carmen dans la petite maison blanche.
Peindre Carmen dans le cœur de ma mère.
Carmen, Carmencita,
petite grand-mère inconnue.
Abuelita mia,
Passagère trop vite disparue,
en secret, pour la première fois,
je te peins.
J’avais envie de partager avec vous ce texte que j’ai écrit il y a 7 ou 8 ans.
C’était dans le cadre d’un autre atelier d’écriture (Ailleurs-atelier).
Le thème était le portrait, à traiter comme nous le souhaitions, sous la forme de notre choix : dialogue, lettre, petite annonce, état des lieux, nouvelle, procès-verbal, carte postale, etc…
L’idée d’une lettre me plaisait mais je ne savais pas encore à qui je l’adresserai.
Peu à peu, au fil des jours, j’ai pensé à l’écrire à un être cher disparu.
Et puis, brusquement, comme une révélation, un besoin impérieux s’est imposée à moi : la nécessité de parler de Carmen.
J’ai déjà fait allusion à Carmen dans un commentaire sur un texte qu’Alain a écrit dans la consigne 449 dont le titre est Carmen. Sa lecture m’avait troublée car son histoire, même si elle est différente, m’avait évoqué la mienne.
Carmen était ma grand-mère maternelle. Lorsque j’étais enfant, ma mère nous parlait beaucoup de cette femme, violemment et trop tôt disparue, à l’âge de 33 ans, assassinée sous les yeux de ses quatre enfants alors qu’elle étendait du linge pendant que des poivrons grillaient sur un brasero.
J’ai écrit mon texte sur le modèle de « Pour faire le portrait d’un oiseau » de Jacques Prévert.
J’ai d’abord lu cette poésie et, au fur et à mesure, j’écrivais les mots que j’avais entendus sur Carmen. Ils étaient enfouis dans ma mémoire mais sont sortis facilement.
Il y avait des mots et des photos jaunies.
Pour la première fois de ma vie, je m’adressais vraiment à cette femme que je n’ai pas connue.
J’ai ressenti alors quelque chose de nouveau, à la fois libérateur et éprouvant. Toutes les larmes de mon corps ont coulé.
Je pleurais pour ma mère, pour cette aïeule partie si tôt, pour cette grand-mère que je n’ai jamais eue…
Pour cette grand-mère fantôme dont le secret a pesé sur toute une famille.
Pour la brutalité de la vie parfois… Pour sa fragilité…
J’ai longtemps hésité à envoyer mon texte à l’atelier car je le trouvais trop personnel. J’avais l’impression de m’être mise à nue…
Quand j’ai appuyé sur la touche Envoi, c’était comme tomber dans l’eau glacée…
Aujourd’hui j’arrive mieux à en parler.
Je sais que les mots ont un pouvoir mais je ne mesurais pas à quel point avant d’écrire ce texte.
Myrte- Kaléïd'habitué
- Humeur : Curieuse
Re: A. Carmen
tont texte est très touchant, myrte... pour deux raisons.
- pour ce qu'il raconte, et pour la façon dont tu l'as écrit. on sent en effet, que tu portais ces mots au plus profond de toi, et c'est toujours un cadeau précieux pour nous lecteurs, ce genre de texte
- et parce que ce texte me rappelle celui qu'a écrit sur kalé un de mes fils. il parlait lui aussi d'une grand-mère qu'il n'avait pas connu.
et pour celà, merci à toi
Pati- Kaléïd'habitué
- Humeur : mouvante
Re: A. Carmen
Merci Pati. Je serais heureuse de lire le texte que ton fils a écrit.
Myrte- Kaléïd'habitué
- Humeur : Curieuse
Re: A. Carmen
C'est beau, c'est simple, une vraie peinture comme je les aime.
Zéphyrine- Modératrice écriture libre
- Humeur : Méditerranéenne
Re: A. Carmen
Ce portrait est magistralement réussi ! Et ton commentaire nous en dit davantage ! Quelle sensibilité !
Amanda.- Modératrice
- Humeur : résolument drôle
Re: A. Carmen
C'est une dentelle de mots que l'on aurait attachés par de la soie noire
Ataraxie- Kaléïd'habitué
- Humeur : changeante
Re: A. Carmen
Merci Pati. Je serais heureuse de lire le texte que ton fils a écrit.
je te l'ai envoyé dans ta boite à mp, myrte
Pati- Kaléïd'habitué
- Humeur : mouvante
Re: A. Carmen
Texte sublime qui vous marque d'autant plus profondément que tu situes le contexte dramatique ...
catsoniou- Kaléïd'habitué
- Humeur : couci - couça
Re: A. Carmen
Après avoir admiré le portrait si bien écrit, j'ai été très émue par ton commentaire.
Nerwen- Modératrice
- Humeur : Légère
Re: A. Carmen
Un texte très touchant, tout en douceur et en finesse.
madeleinedeproust- Kaléïd'habitué
- Humeur : littéraire
Re: A. Carmen
Ce texte est magnifique Myrte et l'explication que tu en donnes est particulièrement émouvante. Quel traumatisme pour ses enfants. Quelle terrible fin.
Est ce que je peux me permettre de te demander quel âge avait ta maman et si vous avez pu en parler ensemble ?
Comment on se relève d'un tel traumatisme?
Est ce que je peux me permettre de te demander quel âge avait ta maman et si vous avez pu en parler ensemble ?
Comment on se relève d'un tel traumatisme?
Cassy- Admin
- Humeur : Déterminée
Re: A. Carmen
Ma mère avait 12 ans, son frère 14 et ses soeurs 10 et 8 ans.
Elle a du quitter l'école pour s'occuper de ses soeurs ce qui l'a rendue très amère.
A l'époque, on ne se préoccupait pas de ce que pouvaient ressentir les enfants.
On ne leur expliquait rien.
Ma mère est restée très fragile.
Elle a du quitter l'école pour s'occuper de ses soeurs ce qui l'a rendue très amère.
A l'époque, on ne se préoccupait pas de ce que pouvaient ressentir les enfants.
On ne leur expliquait rien.
Ma mère est restée très fragile.
Myrte- Kaléïd'habitué
- Humeur : Curieuse
Re: A. Carmen
En décrivant si joliment par touches tendres et successives, tout ce qui aurait pu, tu donnes toute sa dimension à son absence. Ton texte est beau et très émouvant.
virgul- Kaléïd'habitué
- Humeur : optimiste
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