A. C'était son jour fragile

Je ne publierai pas ici un texte de mon marathon
Mais j'ai décidé de participer le plus possible aux consignes de K
Je vous partage un texte écrit il y a quelques temps déjà, sur un fait divers qui m'avait fort frappée!

Isabelle, défigurée par les morsures de son chien, a reçu en novembre 2005 une greffe du triangle menton-nez- lèvres, grâce à des tissus prélevés sur une donneuse décédée.
J’ai simplement « imaginé » le ressenti d’une jeune femme qui « perd » ainsi son visage
C’est donc un récit de fiction, au départ d’un fait divers.


Elle a le choix…
Ce matin le soleil tremble fort sur la route. Elle a le choix.
Le soleil tremble sur la route parce que c’est l’été, ça paraît banal dit comme ça, mais comme c’est l’été, il fait très chaud, trop chaud.  La chaleur s’est accrochée jusqu’au bout des branches, qui peinent lourdement. Ça sent l’orage.
Elle a encore le choix.  Elle tourne en rond. Lui là haut s’obstine derrière son écran. Il est loin. Au bout du monde. Au bout de leur solitude. Il fait si chaud.
Le chien aboie. Il n’a plus d’eau. La rivière est stérile. Le sol est fendu de partout, a cessé de transpirer, va cesser de respirer…
Elle  verse un peu d’eau dans la gamelle du chien. Et se penche sur lui, elle n’a que lui à qui parler.
Soudain une armée de nuages  cavale dans le ciel qui s’assombrit, l’air suffoque et cherche sa respiration.
Et le chien traversé d’orage, lui a sauté au visage, l’a déchiré, déchiqueté, lacéré, tailladé, arraché, écorché.
Les éclairs là dans le ciel, les éclairs là dans sa tête. Bruit d’enfer. Claquements de colère. Elle hurle ses tripes. Une détonation. Le chien mort à ses pieds. Lui, debout devant elle, tremblant, interdit, médusé.  Fin du monde. Fin d’un monde..
Son visage est en miettes. Quelques miettes de nez, quelques miettes de lèvres,  par terre, éparpillés comme des bouts de laine rouge. Dans  la gueule du chien mort, quelques bouts de joues. Présent ensanglanté, amputé d’avenir.

Elle n’est pas morte. Elle aurait pu, elle aurait dû.
Elle se le dit tous les matins et puis tous les soirs, et puis toutes les nuits, abritée derrière un foulard opaque et noir.
Le noir colore désormais sa vie.
Est-ce qu’on se promène dans la rue avec un visage de squelette, mangé un jour d’orage par un chien fou ? Est-ce qu’on embrasse son amoureux ou son enfant quand on n’a plus de lèvres, avec une bouche où il n’y a plus que des dents ?
Ne pas parler du chien. Ne pas parler du visage. Cacher tous les miroirs. Se blottir dans un foulard. Noir. Elle n’a plus le choix.  

Le grand chien noir la regardait. De ses yeux perçants et comme fous. C’était son jour fragile, comme c’est drôle…. Elle ne s’est pas méfiée.
Assise sur l’escalier de pierre bleue qui descend vers le jardin, elle s’efforce de lire. Elle a bien besoin de se changer les idées. A défaut de visage.
Mais sa pensée s’échappe: elle vagabonde au rythme des parfums de ces buissons fleuris qui irritent sa gorge. Trop de buissons, trop de fleurs, trop de couleurs,  trop de vie…
Est-ce qu’on peut respirer de la vie derrière un foulard opaque et noir ?

Les jours sont toujours fragiles quand ils sont solitaires, quand ils sont sans visage, quand ils sont sans …lui…

Où est-il ? Que fait-il ? Bien sûr il est parti, il n’a pas supporté. Sur sa table de nuit la lettre. Il a écrit les paroles qu’il n’a pas eu le cran de lui dire. Il a écrit qu’il était vraiment désolé, mais que dans ces circonstances, il espérait qu’elle comprendrait que…et que…d’ailleurs sa mère lui a dit que……et son père trouve plus prudent que…mais qu’elle soit assurée qu’il ne l’oublierait jamais et qu’il lui souhaitait tout le bonheur du monde.
Non mais ça va pas la tête ? Tout le bonheur du monde… Un  chien noir traversé d’orage dans ses jours fragiles. Elle n’est pas morte, elle aurait dû.
Sa pensée s’échappe du livre, erre dans le secret des buissons oppressés.
Trop de buissons, trop d’arbres dans ce jardin. Trop de visages, trop de sourires mielleux, hypocritement rassurants. Trop de chiens noirs.
Elle déteste les chiens noirs…
Elle déteste les facteurs qui n’apportent plus de lettres de celui qui est désolé, qui a écrit qu’il ne l’oublierait jamais. Bien sûr. Il faisait si chaud ce jour-là…mourant de chaleur.
Ses jours fragiles sont mourants : comme un chien noir qui soudain vous engueule et vous bouffe le visage. Son beau visage en éclats de chair rouge, piétinés par un chien fou.
Elle porte toujours une jupe noire…
Et aussi un voile noir. Une vivante morte.

Tout d'abord, je me réjouis de ta décision de venir plus souvent nous donner l'occasion de lire tes beaux textes…
nous méritons bien de ne pas nous priver de Coumarine !

Sur le texte que tu ajoutes, est-ce que tu ne l'avais pas publié à l'époque sur un site ?
Du coup j'ai actionné GlouGlou…
on le trouve sur « la cause des causeuses » en 2006.

C'est vraiment un texte… au scalpel… avec des phrases très courtes…
impressionnant !

ah oouiiiiiiiii Alain!!
je savais plus que j'avais publié ce texte sur la Cause des Causeuses!

Le chirurgien qui avait opéré cette dame, je l'ai rencontré à l'époque
Il faisait partie d'une petite équipe
Il m'avait impressionné par son calme

C'est un terrible fait divers Il n'y a pas si longtemps, une jeune femme qui promenait ses 2 chiens a été retrouvée morte dans les bois, à moitié mangée par les chiens qui étaient restés près du corps.
Dans le cas que tu évoques, la jeune femme s'en sort mais à quel prix?
Ton texte est glaçant. Quelle terrible déception, l'homme qui partage sa vie et qui l'a sauvée en tuant le chien ne peut supporter ce qu'elle est devenue et s'en va. Impossible de juger cet homme. Que ferait-on à sa place? Mais quelle souffrance supplémentaire pour cette femme!
J'espère que tes yeux et ton moral te permettront de venir ici plus souvent

Quelle écriture ! Quel style ! Je suis profondément remuée par ton texte, Coumarine !

Je cherchais depuis un moment les mots pour commenter ton texte. Myrte me les a soufflés...
Tout d'abord le style d'écriture m'a séduit, ensuite cette histoire extra-ordinaire, poignante, m'a émue
On ne peut rester indifférent en lisant ce récit. Pour ma part, j'y ai pensé encore longtemps après la lecture.

Encore une chose : J'aime beaucoup le titre.

Moi aussi, d'ailleurs j'aime tout de ce texte écrit aussi avec tes tripes comme tu dis !
Un fait divers terrible qui rappelle le drame d'une autre femme que son ex avait vitriolée au visage, un peu la même histoire, aussi terrible.
Comme je suis heureuse de te revoir parmi nous...
On s'était dit l'autre dimanche auprès de l'étang, à bientôt ici ou sur Kalé...Tu te rappelles ?
Il pleut donc je te retrouve ici avec plaisir !

On reste comme suspendu après la lecture de ton texte, plongé dans la détresse terrifiante de cette femme. Un texte très fort.