A - Deuxième vie

J’ai décidé de faire le vide  … Où ça ? Pas dans ma tête, parce que l’imbroglio y est tel que la tâche est insurmontable. Non, commençons par le garage et son appentis où en matière d’inutilités, l’embarras du choix est patent.

Enfin, cela, c’était avant l’ incroyable péripétie que je vais vous conter.

Ils étaient là, pêle-mêle, emballages vides, bouts de ficelles, tiges filetées au pas de vis  martelé, manche de marteau orphelin, câble Ethernet en lambeaux, télécommande amnésique, poêles et casseroles rétamées, etc...  Ils attendaient le bon vouloir du corbillard, pardon la remorque, qui devait les conduire au cimetière où s’entassent provisoirement   leurs congénères.  

Au retour de ma demeure, muni des papiers d’identité   nécessaires à  la mission funeste qui allait nous conduire sans tambour ni trompette à la déchetterie, je crus entendre des voix. D’un regard circulaire, je n’aperçus pas la moindre présence humaine. Le doute n’était pas permis : un véritable discours émanait des objets en déshérence.

Un bidon de pétrole  soulevant son bouchon de fermeture réclama le silence :
-  Ô toi, pillarot d’occasion, ne franchis pas le pas nous conduisant en ces lieux où l’on nous ferait subir un éventuel recyclage  vers une forme qui ne nous agréerait pas forcément.

-  Oui, réfléchis bien, renchérirent bruyamment les autres objets ! Écoute le bidon. Son adaptation à l’environnement sera d’actualité  à brève échéance. Et si tu le permets, chacun à notre tour, nous t’exposerons nos projets.

Je saisis la balle au bond quoique le ballon crevé ne se soit pas encore manifesté :
-  Mais c’est une véritable conjuration des laissés pour compte ! Vous avez fait votre temps …

Le Bidon reprit la parole :
- Sans outrecuidance, dois-je te rappeler que tu as aussi ton avenir derrière toi. Mais là, n’est pas l’objet du débat. Coupe-moi donc en deux parties égales, et tu auras deux pots de fleurs dans lesquels tu enfouiras les noyaux de pêches, et l’an prochain, le pêcher, tu planteras.

D’une voie filandreuse, un bout de ficelle se fit prophète :
- Les tomates vont pousser et sans lien pour leur faire adopter une attitude convenable, ce sera l’anarchie. Unissant nos efforts, mis bout à bout, nous, bouts de ficelle, formerons le fil d’Ariane fort utile pour soutenir  ces échevelés que sont les petits pois.

- Et moi, tige filetée au pas de vis escagassé, je me verrais bien en tuteur de dame Tulipe …

- Mais toi, le manche  sans ton marteau, quel est ton avenir ?

- Je peux encore être fort utile, ne serait-ce qu’en qualité d’objet à lancer pour ton chien !

- Ah ! Parlons-en de ton chien …

- Qui se permet de critiquer mon compagnon de jeux ? Ne serait-ce pas le câble Ethernet ?

- Oui,  tu te souviens ? Cet abruti m’a sectionné  et les plombs ont sauté …

- Non ! Toi, le summum du progrès, tu parles d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître ? Mais, il faut en convenir, tu es HS !

- A la limite, je peux encore servir de collier à ton clebs.

- Et moi, télécommande, je ne me souviens plus à qui je commandais, mais j’en suis persuadée, place -moi donc soigneusement et un jour, à n’en pas douter, je serais objet de curiosité.

- Quant à nous, poêles et casseroles au revêtement en voie de disparition, nous considérons que, disposées anarchiquement dans le parc, nous serons d’excellents points de ravitaillement pour la volaille. Éventuellement, lors d’une prochaine manifestation, frappées l’une contre l’autre, nous rythmerons les pas des marcheurs.

- Et nous, et nous, on a aussi des projets …

- Qui ça, nous ?

Nous sommes les etc... qui dans notre grande diversité et inutilité apparente, nous nous voyons très bien en objet d’art, sculpture au style indéfini  qu’envieront tes voisins et visiteurs.

Conclusion, rien n’est à jeter, tout objet  est susceptible de vivre une deuxième vie.