A. Reprise en main

Reprise en main

Métro, boulot, dodo, désormais c'est terminé. J'ai eu tort d'écouter mon père. Il m'avait fait miroiter qu'en étant un élève appliqué, un jeune homme sérieux, un adulte travailleur, je trouverais un job intéressant. Il m'avait certifié que je ne tarderai pas à grimper jusqu'en haut de l'échelle sociale. Dans la marée humaine des travailleurs ordinaires je serai au-dessus de l'écume des autres. Le clapot des ragots ne m'atteindrait pas. Les compromis brumeux, les marées noires déversées par la concurrence pour essayer de nous couler, les criailleries des mouettes du bureau d'à côté, tout cela devait soi-disant m'être épargné.  Et puis avec les relations haut-placées que mon père entretenait, en cas de difficulté, je n'aurais qu'à ouvrir le parapluie de celles-ci et tout s'arrangerait.

En réalité toute cette perspective, cet horizon dégagé, c'était pour mieux me mener en bateau. Je me suis fait avoir par le chant des sirènes imbéciles. Certes, j'ai trouvé un travail dans une multinationale que tout le monde appelait « le Paquebot », mais je n'ai jamais obtenu un poste à responsabilité, je suis resté au pied de l'escabeau, noyé sous un océan de dossiers, plus d'une fois j'ai bu la tasse salée des reproches qui m’étaient faits. Ah ! Je n'ai pas connu la mer d’huile que d'aucuns m'avaient promise, Au contraire mon chef direct était tout le temps une vraie tempête. Il postillonnait, pire qu'un crachin breton ! Quant au Grand Patron il passait comme une tornade, vitupérant ses collaborateurs dont il démontait les raisonnements et les laissait tels des épaves.

Non, il fallait que ça cesse.
Je me suis enfui et j'ai embarqué sur le Transatlantique de l'imaginaire. Depuis mon poste d'observation, au sommet de l'échelle de mes rêves, je vois à présent la vie passer avec la désinvolture d'un Philippe Noiret. J'ai refilé un coup de torchon à mon existence.
Désormais j'ai pris la mer et j'ai laissé l'amer.