A. Mon petit doigt m'a dit...

Comme d'habitude, elle m'accueille chaleureusement dans son confortable appartement.
Tante Jeanne, ma grand-tante me paraît soucieuse. Elle a 90 ans, Je suis sa nièce préférée.

- Entre et assieds-toi.
Ce sont toujours ses premiers mots quand je lui rends visite.

Malgré son âge, cette célibataire se tient toujours droite. Sa coiffure impeccable, sa tenue classique de couleur sombre et le délicieux parfum de violettes qui flotte dans l'air me ramènent des années en arrière quand petite fille j'admirais déjà son allure.

Ce jour-là, j'en étais sûre, elle me réservait une surprise.


- Bien, me dit-elle. Le jour est venu pour moi de te léguer ce que je te  réserve depuis longtemps.

Elle m'emmena dans une chambre où trônait un coffre de bois : imposant, ouvragé, muni d'une grosse serrure, que j'avais toujours connu chez elle.
Me le désignant, elle déclara :

- Je te le donne, il est à toi à une condition : que tu le prennes avec tout ce qu'il contient. Avant cela, nous allons en faire l'inventaire.
Elle l'ouvrit au moyen d'une énorme clé et c'est ainsi que je découvris l'imprévisible contenu de ce meuble dont elle n'avait plus soulevé le couvercle, me dit-elle, depuis plus d'un demi siècle!

- J'avais vingt ans quand j'ai remisé dans cette malle une page de ma vie à oublier.

Elle me montra d'abord une robe de bal en taffetas de teinte rose pâle :
- Voici la robe que je portais quand je l'ai rencontré lors du bal que mes parents ont donné pour mes dix huit ans.Eh oui, je vois que ça t'étonne...Ici, les escarpins assortis à la robe qui m'ont permis de danser toute la soirée avec lui. Regarde, mon carnet de bal.Tu peux constater que la plupart des danses lui étaient réservées ce soir-là.
Attachées par un joli ruban bleu, ce sont les lettres d'amour qu'il m'a envoyées pendant plusieurs semaines.
Une robe encore, celle de nos fiançailles, la bague qu'il m'a offerte et puis le menu du repas de ce grand jour!
Et voici la robe de mariée brodée de perles, le voile blanc hélas jamais portés...

- Tante Jeanne, je suis bouleversée, je ne comprends pas, je ne t'ai jamais connu d'amoureux, tu ne m'as jamais dit...

- Dix jours avant la date de notre mariage, il m'a annoncé qu'il préférait ma meilleure amie.Elle était, c'est vrai, plus jolie, plus enjouée que moi avec mon air sérieux, trop vertueux sans doute.
Pour terminer je te laisse lire la copie de la lettre que je lui ai envoyée après notre rupture. Une seule phrase : " Je t'ai effacé de ma mémoire comme on déchire une page d'histoire"

Maintenant, laisse moi te parler de mon plus beau trophée. Le coffre possède un double fond, je ne te montrerai pas aujourd'hui ce que j'y ai rangé.
Si un jour tu en as l'envie, observe le bocal qui s'y trouve.Il contient l'annulaire de ce lâche qui grâce à mon coup de sécateur, net et précis, n'aura jamais pu porter d'alliance à la main gauche!
Ce coffre est à toi, je ne te dirai pas le nom de cet homme car je l'ai effacé à jamais de mes souvenirs.
Ces révélations, dit-elle encore, m'ont fait un bien fou. Je me sens à présent plus légère.


Je n'ai jamais pu me décider à vider ce meuble.Il contient une page de l'histoire de ma pauvre Tante et les raisons de son célibat à propos duquel je ne m'étais jamais questionnée.
Et ce fameux bocal? Je suis persuadée qu'il n'a jamais existé car ne dit-on pas : " Il n'y a pas de plus grande vengeance que l'oubli!"

...Mon Dieu!  Edouard, l'oncle de mon mari, n'avait pas d'annulaire à la main gauche!

Surprise, surprise!

Heureusement que dans le bocal il n'y avait rien d'autre que ce bout de doigt, elle aurait pu faire pire !

Un texte gentiment désuet avec le carnet de bal et tout le reste qui vire d'un coup sec vers la vengeance....

Quelle imagination ! Ou alors c'est du vécu ? Dans ce cas, je ne fréquenterai pas ta famille....Déjà l'autre avec son pigeon Baudouin, un peu loufdingue...

Tes enfants vont devoir porter une lourde hérédité ! Demande à Alf de faire des recherches plus approfondies

Ouf ! Je vais pouvoir réviser l'opinion que j'avais de toi. Tu vas enfin entrer dans le club des femmes dangereuses. Je t'attends bras ouverts ... et mains complètes !

A part ça, histoire très bien menée.

Encore une histoire de femme trompée ... C'est très bon. Le coup de l'annulaire coupé est bien trouvé.

Mince alors, un de mes oncles n'avait pas non plus d'annulaire à la main gauche…


Pourvu que je ne fasse pas un malaise cardiaque en découvrant cette vérité sur cet homme décédé il y a longtemps…

J'adore le petit côté "mafia" de la vengeance, elle avait la dent dure la tantine !

aaah, j'ai bien ri en lisant ton texte, j'aime bien ces personnages un peu surannés, on s'imagine toujours les vieilles dames très sages mais attention

Je découvre souvent dans tes textes comme "une atrocité malicieuse" .... dont je me délecte. Elle donne beaucoup de caractère à tes personnages dont on est toujours prêt à excuser les méfaits.