A- Méprise
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Zéphyrine
Kz
virgul
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A- Méprise
Isabelle, notre plus jeune sœur, était aussi la plus jolie, la plus sportive, la plus gaie, et surtout la mieux mariée des quatre soeurs.
Le jeune Marquis de Bourdeilles, très riche et séduisant, fut en effet fort épris de notre cadette dès leur première rencontre. Ce ne fut pas le cas d’Isabelle, qui impressionnée par la différence de rang et de fortune du Marquis, peinait à distinguer la nature des sentiments qu’elle éprouvait pour lui. Était-ce la personnalité de son soupirant qui provoquait le ravissement qu’elle ressentait, ou le cadre merveilleux dans lequel leur rencontre la plongeait ? Isabelle prit donc le temps de se convaincre tant de la sincérité des sentiments de son amoureux, que des siens.
Je me souviens qu’à l’époque, mes sœurs et moi en débattions et trouvions ce temps fort long. Arnaud était charmant et plein d’attentions, quelle mouche piquait donc Isabelle de le faire lanterner aussi longtemps ? A sa place, chacune de nous trois aurait déjà très volontiers donné son assentiment à un si beau mariage. Et je dois le reconnaître, mues par la jalousie et disculpées par ce que nous qualifiions « la froideur» de notre sœur, nous tentions chacune de nous positionner auprès d’Arnaud lorsque ce dernier nous consultait à propos des hésitations d’Isabelle.
Après de longs mois, Isabelle et Arnaud se marièrent.
Puis ce fut notre tour à moi et Mathilde. J’épousai Laurent, journaliste sportif dans un grand quotidien et Mathilde épousa René, boulanger- pâtissier. Valentine, l’ainée, se destinait à de longues études de médecine et si elle affichait quelques aventures, aucune relation stable n’en ressortait.
Avec ma sœur Mathilde, nous partagions le même style de vie et restions très proches. Harassées par le rythme du boulot (nous étions toutes deux enseignantes) et de l’éducation de nos enfants, deux chez moi et trois chez Mathilde, nous ne roulions pas sur l’or et devions surveiller strictement nos dépenses. La similitude de notre quotidien nous avait éloignées d’Isabelle.
Malgré de nombreuses tentatives Isabelle n’avait pas d’enfant. Et dans le milieu d’Arnaud il était inimaginable d’en adopter un.
Isabelle tenta alors de reporter son affection sur ses neveux et nièces en les invitant au château. Mais Mathilde et moi convinrent qu’après chaque visite, nos enfants, d’avoir été trop gâtés et éblouis par tant de faste, nous revenaient insupportables. C’est quand mon aîné, lors d’une remontrance après un séjour au château, nous traita de nuls et de minables, que nous décidâmes de ne plus accepter les invitations d’Isabelle.
La vie continua son cours, et nos contacts avec Isabelle se raréfièrent. C’était toujours elle qui par téléphone en prenait l’initiative, nous questionnant sur notre vie, nos projets, les enfants. Et lorsque nous l’interrogions, elle évoquait plus qu’elle ne racontait sa vie, ponctuée de voyages et de réceptions. Elle en parlait sans passion, comme de simples faits, sans s’étendre sur le sujet. Nos rencontres se limitaient aux fêtes de famille organisées par nos parents et aux anniversaires de nos enfants auxquels nous l’invitions systématiquement avec Arnaud.
Parfois lorsqu’avec Mathilde nous évoquions Isabelle, nous nous prenions à rêver être à sa place, le château et les domestiques, les belles toilettes et les cocktails, les plongeons dans la piscine après une promenade à cheval. Mais très vite les contraintes de la préparation du dîner et de la mise en route d’une lessive nous ramenaient à la réalité.
Puis un jour, Isabelle avait alors 42 ans, ma mère me contacta pour m’annoncer qu’Isabelle venait d’être hospitalisée. On diagnostiqua une tumeur au cerveau et malgré toutes les tentatives des meilleurs médecins spécialistes, en quelques semaines la maladie emporta Isabelle.
Peu de temps après l’enterrement d’Isabelle, Arnaud nous convia moi et Mathilde au château, il nous amena dans la chambre d’Isabelle et en nous montrant un grand coffre ancien il nous dit d’un ton neutre : « je pense que son contenu vous concerne », puis il quitta la pièce.
Le coffre contenait des notes écrites par Isabelle qui reprenaient nos conversations téléphoniques, qui résumaient son avis sur nos enfants, qui les encourageaient ou qui les mettaient en garde. Un ticket d’entrée pour l’exposition de ma fille Amandine à laquelle j’ignorais qu’Isabelle s’était rendue, les articles de presse des résultats sportifs de l’équipe de mon fils Julien, des extraits imprimés de Facebook des enfants de Mathilde et des miens. C’est toutes nos vies qui défilaient dans ces archives et lorsque Mathilde découvrit, grâce aux factures, que les nombreuses commandes de pâtisseries du traiteur Armand à son mari étaient en fait toutes destinées au château, elle s’effondra en larmes. Ce fut mon tour, lorsque dans un calepin, en première page je pu lire : « j’ai été effacée de vos mémoires comme on déchire une page d’un livre d’histoire ». Isabelle, si tu savais comme je regrette !
Le jeune Marquis de Bourdeilles, très riche et séduisant, fut en effet fort épris de notre cadette dès leur première rencontre. Ce ne fut pas le cas d’Isabelle, qui impressionnée par la différence de rang et de fortune du Marquis, peinait à distinguer la nature des sentiments qu’elle éprouvait pour lui. Était-ce la personnalité de son soupirant qui provoquait le ravissement qu’elle ressentait, ou le cadre merveilleux dans lequel leur rencontre la plongeait ? Isabelle prit donc le temps de se convaincre tant de la sincérité des sentiments de son amoureux, que des siens.
Je me souviens qu’à l’époque, mes sœurs et moi en débattions et trouvions ce temps fort long. Arnaud était charmant et plein d’attentions, quelle mouche piquait donc Isabelle de le faire lanterner aussi longtemps ? A sa place, chacune de nous trois aurait déjà très volontiers donné son assentiment à un si beau mariage. Et je dois le reconnaître, mues par la jalousie et disculpées par ce que nous qualifiions « la froideur» de notre sœur, nous tentions chacune de nous positionner auprès d’Arnaud lorsque ce dernier nous consultait à propos des hésitations d’Isabelle.
Après de longs mois, Isabelle et Arnaud se marièrent.
Puis ce fut notre tour à moi et Mathilde. J’épousai Laurent, journaliste sportif dans un grand quotidien et Mathilde épousa René, boulanger- pâtissier. Valentine, l’ainée, se destinait à de longues études de médecine et si elle affichait quelques aventures, aucune relation stable n’en ressortait.
Avec ma sœur Mathilde, nous partagions le même style de vie et restions très proches. Harassées par le rythme du boulot (nous étions toutes deux enseignantes) et de l’éducation de nos enfants, deux chez moi et trois chez Mathilde, nous ne roulions pas sur l’or et devions surveiller strictement nos dépenses. La similitude de notre quotidien nous avait éloignées d’Isabelle.
Malgré de nombreuses tentatives Isabelle n’avait pas d’enfant. Et dans le milieu d’Arnaud il était inimaginable d’en adopter un.
Isabelle tenta alors de reporter son affection sur ses neveux et nièces en les invitant au château. Mais Mathilde et moi convinrent qu’après chaque visite, nos enfants, d’avoir été trop gâtés et éblouis par tant de faste, nous revenaient insupportables. C’est quand mon aîné, lors d’une remontrance après un séjour au château, nous traita de nuls et de minables, que nous décidâmes de ne plus accepter les invitations d’Isabelle.
La vie continua son cours, et nos contacts avec Isabelle se raréfièrent. C’était toujours elle qui par téléphone en prenait l’initiative, nous questionnant sur notre vie, nos projets, les enfants. Et lorsque nous l’interrogions, elle évoquait plus qu’elle ne racontait sa vie, ponctuée de voyages et de réceptions. Elle en parlait sans passion, comme de simples faits, sans s’étendre sur le sujet. Nos rencontres se limitaient aux fêtes de famille organisées par nos parents et aux anniversaires de nos enfants auxquels nous l’invitions systématiquement avec Arnaud.
Parfois lorsqu’avec Mathilde nous évoquions Isabelle, nous nous prenions à rêver être à sa place, le château et les domestiques, les belles toilettes et les cocktails, les plongeons dans la piscine après une promenade à cheval. Mais très vite les contraintes de la préparation du dîner et de la mise en route d’une lessive nous ramenaient à la réalité.
Puis un jour, Isabelle avait alors 42 ans, ma mère me contacta pour m’annoncer qu’Isabelle venait d’être hospitalisée. On diagnostiqua une tumeur au cerveau et malgré toutes les tentatives des meilleurs médecins spécialistes, en quelques semaines la maladie emporta Isabelle.
Peu de temps après l’enterrement d’Isabelle, Arnaud nous convia moi et Mathilde au château, il nous amena dans la chambre d’Isabelle et en nous montrant un grand coffre ancien il nous dit d’un ton neutre : « je pense que son contenu vous concerne », puis il quitta la pièce.
Le coffre contenait des notes écrites par Isabelle qui reprenaient nos conversations téléphoniques, qui résumaient son avis sur nos enfants, qui les encourageaient ou qui les mettaient en garde. Un ticket d’entrée pour l’exposition de ma fille Amandine à laquelle j’ignorais qu’Isabelle s’était rendue, les articles de presse des résultats sportifs de l’équipe de mon fils Julien, des extraits imprimés de Facebook des enfants de Mathilde et des miens. C’est toutes nos vies qui défilaient dans ces archives et lorsque Mathilde découvrit, grâce aux factures, que les nombreuses commandes de pâtisseries du traiteur Armand à son mari étaient en fait toutes destinées au château, elle s’effondra en larmes. Ce fut mon tour, lorsque dans un calepin, en première page je pu lire : « j’ai été effacée de vos mémoires comme on déchire une page d’un livre d’histoire ». Isabelle, si tu savais comme je regrette !
virgul- Kaléïd'habitué
- Humeur : optimiste
Isabelle
Un beau texte, une écriture agréable. Du bon français. J'aime.
Le mot "boulot" dans la phrase "harassée par le boulot" sonne un peu "populaire". Une légère fausse note dans une histoire qui se lit avec plaisir. Bravo !
Le mot "boulot" dans la phrase "harassée par le boulot" sonne un peu "populaire". Une légère fausse note dans une histoire qui se lit avec plaisir. Bravo !
Kz- Kaléïd'habitué
- Humeur : bonne
Re: A- Méprise
Le genre d'histoire qui déchire bien des familles...
Vraiment bien écrit et donc agréable à lire!
Vraiment bien écrit et donc agréable à lire!
Zéphyrine- Modératrice écriture libre
- Humeur : Méditerranéenne
Re: A- Méprise
Décidément cette famille de Bourdeilles est très nombreuse.
Ton marquis aurait-il des liens avec la Jacquette d'Ataraxie ?
Cela aurait pu être amusant.
La saga familiale est très bien racontée, mais pour moi justement il manque un peu de "piment" un rien de " surprenant" pour que je la trouve passionnante.
Cependant pour l'écriture impeccable.
Ton marquis aurait-il des liens avec la Jacquette d'Ataraxie ?
Cela aurait pu être amusant.
La saga familiale est très bien racontée, mais pour moi justement il manque un peu de "piment" un rien de " surprenant" pour que je la trouve passionnante.
Cependant pour l'écriture impeccable.
Amanda.- Modératrice
- Humeur : résolument drôle
Re: A- Méprise
Une écriture plaisante pour un texte qui sonne juste.
plumentete- Kaléïd'habitué
- Humeur : heureuse attentive
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