A - La guillotine
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Myrte
Tadig
catsoniou
7 participants
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A - La guillotine
Mai 68 … Non ? Déjà 50 ans !
En ce temps-là, j’étais jeune marié, déjà père de famille et orphelin de père depuis deux mois. Et j’étais ouvrier, plus exactement OS . De surcroît, le plus sale boulot de la boite m’était dévolu : la guillotine !
Oui, ma bécane, une Boutillon n’était pas l’exécuteur des hautes œuvres ; elle se contentait de trancher les tôles aux dimensions soigneusement mentionnées par les compagnons sur des « débits », petits papiers parsemés de formes géométriques , voire accompagnés de gabarits en tôle fine à dupliquer un certain nombre de fois. A terme, bout à bout, soudés, boulonnés, ils formeraient des pièces de chaudronnerie. Des pièces qui pouvaient avoir fort belle allure et dont s’enorgueillissaient les compagnons, fiers de leur savoir-faire.
La galère, cette guillotine à tous points de vue : pénible au delà de l’imaginable, salissant, abîmant les mains (bavures de tôles), dans un bruit infernal, et de surcroît 54 heures de travail hebdomadaires. A la fin du mois, l’enveloppe de la paye – contenant des espèces - , point besoin de valise pour ramener les sous à la maison. Payé 2,40 F de l’heure, avec les heures supp., il y avait juste de quoi survivre.
Alors quand un des compagnons, à l’issue du casse-croûte de 9 heures du mat, a passé le mot :
« on ne reprend pas le boulot », avec quel intense plaisir, j’ai arrêté ma ‘’batteuse ‘’ !
On ne savait pas encore qu’on partait pour quinze jours de grève. Quinze jours de manifs à écouter les discours enflammés des leaders syndicaux, quinze jours à croire aux lendemains qui chantent. Et dans cette ville de province, dite « Riant Portail du Midi », il n’y eut pas la moindre violence dans les rues parcourues par les manifestants. Et tiens, c’est bizarre, je ne garde aucun souvenir des forces de police !
Un syndicat s’est crée dans la boite. A vrai dire, ça n’a pas changé grand – chose pour le serveur de la guillotine … Le salaire horaire, de 2,40 F atteignait maintenant 3,00 Francs mais pas d’augmentation de salaire, ceci parce que le patron avait fait passer l’horaire hebdomadaire de 54 à 48 heures, ce qui faisait perdre les heures majorées de 50 % …
Six mois plus tard, j’ai quitté cette galère quand ma sollicitation pour une augmentation de salaire s’est concrétisée par une aumône + 5 centimes de l’heures.
Et j’ai galéré encore dans trois boites différentes : quincaillerie, brasserie, papier-carton, ceci jusqu’à mon entrée aux PTT. A 25 ans, il était temps d’en finir de cette vie de crève-la-faim !
Curieusement, malgré ces avatars, c’est à cette époque que s’est renforcé le sentiment qu’il y avait des injustices, notamment la non-reconnaissance du travail accompli, fut-ce celui du serveur de la guillotine …
Oui, ma bécane, une Boutillon n’était pas l’exécuteur des hautes œuvres ; elle se contentait de trancher les tôles aux dimensions soigneusement mentionnées par les compagnons sur des « débits », petits papiers parsemés de formes géométriques , voire accompagnés de gabarits en tôle fine à dupliquer un certain nombre de fois. A terme, bout à bout, soudés, boulonnés, ils formeraient des pièces de chaudronnerie. Des pièces qui pouvaient avoir fort belle allure et dont s’enorgueillissaient les compagnons, fiers de leur savoir-faire.
La galère, cette guillotine à tous points de vue : pénible au delà de l’imaginable, salissant, abîmant les mains (bavures de tôles), dans un bruit infernal, et de surcroît 54 heures de travail hebdomadaires. A la fin du mois, l’enveloppe de la paye – contenant des espèces - , point besoin de valise pour ramener les sous à la maison. Payé 2,40 F de l’heure, avec les heures supp., il y avait juste de quoi survivre.
Alors quand un des compagnons, à l’issue du casse-croûte de 9 heures du mat, a passé le mot :
« on ne reprend pas le boulot », avec quel intense plaisir, j’ai arrêté ma ‘’batteuse ‘’ !
On ne savait pas encore qu’on partait pour quinze jours de grève. Quinze jours de manifs à écouter les discours enflammés des leaders syndicaux, quinze jours à croire aux lendemains qui chantent. Et dans cette ville de province, dite « Riant Portail du Midi », il n’y eut pas la moindre violence dans les rues parcourues par les manifestants. Et tiens, c’est bizarre, je ne garde aucun souvenir des forces de police !
Un syndicat s’est crée dans la boite. A vrai dire, ça n’a pas changé grand – chose pour le serveur de la guillotine … Le salaire horaire, de 2,40 F atteignait maintenant 3,00 Francs mais pas d’augmentation de salaire, ceci parce que le patron avait fait passer l’horaire hebdomadaire de 54 à 48 heures, ce qui faisait perdre les heures majorées de 50 % …
Six mois plus tard, j’ai quitté cette galère quand ma sollicitation pour une augmentation de salaire s’est concrétisée par une aumône + 5 centimes de l’heures.
Et j’ai galéré encore dans trois boites différentes : quincaillerie, brasserie, papier-carton, ceci jusqu’à mon entrée aux PTT. A 25 ans, il était temps d’en finir de cette vie de crève-la-faim !
Curieusement, malgré ces avatars, c’est à cette époque que s’est renforcé le sentiment qu’il y avait des injustices, notamment la non-reconnaissance du travail accompli, fut-ce celui du serveur de la guillotine …
catsoniou- Kaléïd'habitué
- Humeur : couci - couça
Que c'est bien dit
Je m'y retrouve sacrément dans ton récit : la dure réalité sociale de notre jeunesse, les conditions de travail (sacrée guillotine !), la hiérarchie, les luttes syndicales essentielles et parfois pour pas grand'chose... Il y avait heureusement la solidarité ouvrière, les camarades.... Il m'arrive (rarement quand même) d'être nostalgique de ce temps là.
Et puis ton texte des jeux de main évoquant la transmission est superbe.
Merci.
PS. Je n'oublie pas ton livre que j'ai seulement parcouru et que je lirai bientôt avec soin. Nous en reparlerons.
Et puis ton texte des jeux de main évoquant la transmission est superbe.
Merci.
PS. Je n'oublie pas ton livre que j'ai seulement parcouru et que je lirai bientôt avec soin. Nous en reparlerons.
Tadig- Kaléïd'habitué
- Humeur : Bonne
Re: A - La guillotine
Très touchée par ton texte, Catsoniou, témoin d'une époque, d'un travail difficile. L'ouvrier fait corps avec sa machine, cette guillotine qui le blesse et le domine.
Myrte- Kaléïd'habitué
- Humeur : Curieuse
Re: A - La guillotine
Serveur de guillotine : je ne connaissais pas.
Tu décris bien l'ambiance morose qui règne parfois dans les usines et j'aime aussi cette évocation du franc!
Tu décris bien l'ambiance morose qui règne parfois dans les usines et j'aime aussi cette évocation du franc!
Zéphyrine- Modératrice écriture libre
- Humeur : Méditerranéenne
Re: A - La guillotine
Ton texte décrit de belle façon les conditions de travail difficiles de la métallurgie à l'époque. Dans l'usine où je travaillais, le secteur des presses n'était pas - doux euphémisme - le plus recherché ! Bruits, sols glissants, pièces coupantes en dépit des gants, chaleur des ateliers en été, tout cela rendait la vie des ouvriers plutôt difficile. Sans parler des rythmes du travail en équipe. Sentiment d'injustice, sans aucun doute.
Pour ma part, j'en veux bien davantage au monde politique de n'avoir pas su réduire le coût du travail. Résultat, les emplois industriels ont fondu comme neige au soleil. Comme disait Coluche dans un sketch mordant. "on n'était pas payé très cher, mais y'avait du boulot." Aujourd'hui, il n'y a plus de boulot.
Bon, je pars sur une discussion politique difficile. Ce n'est pas le lieu.
Cela dit, la Poste, économiquement, c'est un bel échec. Quand j'ai commencé, 95 % du courrier était traité par la poste, quand je suis parti en retraite, tout le courrier et les colis étaient traités par les Fedex, UPS et consorts.
Damned ! Je fais encore une discussion politique ! Bon, j'arrête !
Pour ma part, j'en veux bien davantage au monde politique de n'avoir pas su réduire le coût du travail. Résultat, les emplois industriels ont fondu comme neige au soleil. Comme disait Coluche dans un sketch mordant. "on n'était pas payé très cher, mais y'avait du boulot." Aujourd'hui, il n'y a plus de boulot.
Bon, je pars sur une discussion politique difficile. Ce n'est pas le lieu.
Cela dit, la Poste, économiquement, c'est un bel échec. Quand j'ai commencé, 95 % du courrier était traité par la poste, quand je suis parti en retraite, tout le courrier et les colis étaient traités par les Fedex, UPS et consorts.
Damned ! Je fais encore une discussion politique ! Bon, j'arrête !
Kz- Kaléïd'habitué
- Humeur : bonne
Re: A - La guillotine
Le genre de texte dans lequel tu excelles : ancré dans notre histoire commune, à la fois documentaire et plein d'humanité.
Nerwen- Modératrice
- Humeur : Légère
Re: A - La guillotine
Kz écrit :
Effectivement : tu te prenais par la main, tu faisais le tour des "boites" et que tu sois qualifié ou non, il y avait toujours quelque part où se caser.
Idem dans la Fonction Publique : le 16 mai 1971, je passais le concours de Préposé des PTT, le 29 juillet de la même année, j'atterrissais sur la tournée n° 1 à Louveciennes.
Si la Poste est aujourd'hui un échec, je crois que cela a été sciemment organisé par le dépeçage, la séparation des télécommunications et du courrier. Sur la voie où s'est engagée La Poste, la question du courrier est très secondaire. Bientôt, le facteur ne va-t-il pas avoir compétence dans la prise de tension ou température, le rangement des médicaments dans le pilulier et ?
Voyez-vous, j'ai une idée que vu ma modeste qualité de retraité postier, je n'ose soumettre aux grands chefs de Dame La Poste : dans les campagnes, il n'y a quasiment plus de curés pour dire les messes et officier pour les enterrements. Alors, il n'y a plus personne pour recueillir les confessions . N'y a t -il pas là une lacune qui pourrait être comblée par le facteur qui serait fort à l'aise dans le confessionnal ?
Comme disait Coluche dans un sketch mordant. "on n'était pas payé très cher, mais y'avait du boulot." Aujourd'hui, il n'y a plus de boulot.
Effectivement : tu te prenais par la main, tu faisais le tour des "boites" et que tu sois qualifié ou non, il y avait toujours quelque part où se caser.
Idem dans la Fonction Publique : le 16 mai 1971, je passais le concours de Préposé des PTT, le 29 juillet de la même année, j'atterrissais sur la tournée n° 1 à Louveciennes.
Si la Poste est aujourd'hui un échec, je crois que cela a été sciemment organisé par le dépeçage, la séparation des télécommunications et du courrier. Sur la voie où s'est engagée La Poste, la question du courrier est très secondaire. Bientôt, le facteur ne va-t-il pas avoir compétence dans la prise de tension ou température, le rangement des médicaments dans le pilulier et ?
Voyez-vous, j'ai une idée que vu ma modeste qualité de retraité postier, je n'ose soumettre aux grands chefs de Dame La Poste : dans les campagnes, il n'y a quasiment plus de curés pour dire les messes et officier pour les enterrements. Alors, il n'y a plus personne pour recueillir les confessions . N'y a t -il pas là une lacune qui pourrait être comblée par le facteur qui serait fort à l'aise dans le confessionnal ?
catsoniou- Kaléïd'habitué
- Humeur : couci - couça
Re: A - La guillotine
Cette consigne est vraiment super, elle permet de découvrir le ressenti des enfants, des étudiants, des salariés et de nos amis les belges sur ces évènements. Ceci dit intéressant à mettre sur un CV le métier de "guillotineur"
Martine27- Kaléïd'habitué
- Humeur : Carpe diem
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