A. Elle apporte des galettes

Un jour, sa mère, ayant fait des galettes, lui dit :
« Va voir comme se porte ta mère-grand, car on m’a dit qu’elle était malade, porte-lui une galette et ce petit pot de beurre. » Et la petite fille partit aussitôt pour aller chez sa mère-grand, qui habitait dans un autre village….

Mais en chemin elle se sent pas très bien : les questions existentielles graves et cruciales que se posent immanquablement les petites filles intelligentes lui serrent le ventre, lui donnant soudain une nausée insupportable

Je suis une jolie petite fille, et ma mère est folle de moi, se dit l’enfant qui frissonne en pensant qu’elle devra faire ce long chemin toute seule, traverser une profonde forêt habitée de démons aussi noirs que son manteau est rouge
Ma mère est folle de moi, répète-t-elle entre deux nausées qui la plient en deux. Oui, elle est folle assurément, car elle m’envoie dans la forêt, la traverser de part en part, pour aller loin dans un autre village et je devrai marcher vingt kilomètres au moins si pas davantage. Il fera nuit quand je prendrai le chemin du retour. Et je n’ai aux pieds que de petites sandales trouées, mon père qui est parti il y a des années, ne paie plus sa pension alimentaire depuis belle lurette. Les hommes, tous pareils se lamente ma mère quand elle parle de lui. Mais les mères, se dit l’enfant, qu’est-ce qui leur passe par la tête ? Elles savent bien pourtant que les forêts cachent un loup potentiel, un grand méchant, très méchant loup qui mange les petits enfants (et les grands mères aussi, mais ça c'est secondaire dans l'histoire, d’ailleurs c’est assez normal de mourir quand on est une grand-mère ! On finit tous par mourir un jour, particulièrement les grands-mères, c’est de leur âge après tout!

La mère de cette enfant jolie, qui l’aimait tant, avait-elle tant de choses urgentes à faire qu'elle a éprouvé le besoin d'envoyer dans ce lieu de haute insécurité, une enfant innocente, légère et court vêtue?
De plus, elle lui a dit de mettre son manteau très très rouge càd bien voyant, qui ne peut pas passer inaperçu, et qu'on ne perd plus de vue, dès lors qu'on l'a vu! Et qui fait de l'enfant une proie facile pour tous les prédateurs à l'affût des gentilles petites filles innocentes, légères et court vêtues. A se demander si cette mère n'a pas le désir inconscient de se "débarrasser" de sa fille. (Oh ! qu'ai-je dit là?)
Ou alors peut-être même a-t-elle le désir inconscient de la fourrer dans les mains d'un prédateur ? Certaines mères, faut le dire, ont les yeux dans leurs poches quand leur petite fille est "prédatée" par les loups qui habitent dans la forêt voisine...

Bon c’est trop triste tout ça… alors on va dire que cette mère est une femme très gentille, qui se préoccupe de sa propre mère, la pauvre elle est malade et seule dans une maison isolée à la lisière de la forêt. Alors n'écoutant que son bon cœur, elle pense à lui faire parvenir des petites douceurs, galettes et autres petits pots de beurre qui sont particulièrement efficaces pour guérir les vieilles mères malades, tout le monde sait ça!
Et puis elle pense peut-être que sa vieille mère préférera voir le joli minois de la fillette plutôt que sa figure à elle, plus si jolie que ça ... il y a des rides à présent sur son visage et beaucoup de sillons d’amertume.

La petite fille continue son chemin initiatique, parcourt des champs immenses, des forêts impénétrables, cueille au passage mille et un coquelicots pour incendier son courage, et après des années et des années d’errance, arrive enfin devant la maison de sa grand mère.
Elle sonne et entre, elle avait la clé dans la poche la plus profonde de son cœur. Là sur le lit l’attend un spectacle qui lui arrache aussitôt des litres de larmes: elle la découvre morte depuis longtemps, toute desséchée sur son lit, elle sourit aux étoiles, elle semble connaître déjà les secrets de l’insondable mystère.

En voilà une histoire triste et angoissante.En voilà une mère un peu folle qui aurait mieux fait d'accompagner sa fille à traverser cette effrayante forêt plein de diables malfaisants.
Pauvre petite fille.
A part çà très bon texte si bien écrit.

Encore moi! Tu as oublié l'incipit mais je ne le dirai à personne!

Oups de chez Oups, enfer et champs de coquelicots, tu as parfaitement raison!
merci de garder ça pour toi!

Ben voui naturellement et quid de l'incipit ?????

Voici une version inattendue et bien particulière du " Petit chaperon rouge"

Une petite fille très ( trop ?) intelligente qui détricote les plans de sa si gentille maman.
Très cruelle !

Je relève en passant " des coquelicots pour incendier son courage " j'ai aimé...
J'ai moins aimé " on finit par mourir quand on est une grand-mère" merci beaucoup mais le plus tard possible, humour noir, nous sommes toutes deux concernées

Au passage bien sûr des remarques incendiaires : "Mais les mères, se dit l’enfant, qu’est-ce qui leur passe par la tête ? Elles savent bien pourtant que les forêts cachent un loup " etc...

Encore un texte fort, on sent ta colère, gentiment déguisée !

Ce texte m'a intéressé dans la mesure où il exprime une position maternelle (c'est bien normal puisque l'auteure est une femme !…)
Pour ma part, en tant qu'homme, j'aurais eu une autre perception :

cette mère est admirable, elle a confiance dans son enfant, ce qui n'est pas si courant malgré les apparences , et dès lors lui propose un voyage initiatique dont elle sort triomphante de ses peurs symboliques.
La mère ne l'appelle pas sur son Smartphone toutes les cinq minutes pour savoir si ça va !… (Histoire de gérer à bon compte ses propres angoisses)

Forcément la fille triomphe dans les larmes, sinon ce n'est pas un combat de la vie.
Elle fait connaissance avec la mort et son mystère.

La voilà pleinement parée pour mener une vie de femme accomplie…

Elle n'a plus qu'à s'exclamer : merci maman ! Tu m'as aidée à devenir femme !

(Commentaire très sérieux, si toutefois c'était nécessaire de le préciser)

Au départ, on aurait tendance à penser : quelle pauvre petite fille que sa maman lâche dans une forêt dangereuse, est-elle inconsciente ou méchante ?

Et puis, en lisant le commentaire d'Alain, cette histoire prend un tout autre sens, un sens que j'aime !

Joliment bien écrit, Coumarine. Bravo !

@ Alain
Ton commentaire apporte une tout autre lecture à mon texte... cela m'a fait un petit choc en te lisant
Il faut dire que j'ai écrit ce texte en pensant à (hélas!) ma propre mère, qui ne m'a pas ménagée
Mais oui! imaginer que cette mère tente de rendre sa fille plus autonome en l'incitant à des actions de "grande", qui vont la rendre fière d'avoir réussi l'épreuve.... cela me plait bien
Merci beaucoup pour ce commentaire!

J'avoue que j'ai eu beaucoup de mal à faire le rapprochement avec la consigne, non pas à cause de l'absence de l'incipit, mais parce que j'ai des difficultés parfois avec le secod degré. ..
A part ça , il s' agit là d'un texte agréable à lire.

Whoua ! Ton texte me laisse perplexe... Tu sembles d'abord tourner en dérision le célèbre conte. Puis s'impose une réflexion sur l'attitude de cette mère... Fait-elle bien d'envoyer sa fille dans la forêt où rôde le loup ? Est-ce pour l'aguerrir ou bien pour la jeter dans la gueule du prédateur ? Est-elle inconsciente ou bien jalouse de sa fille ? Parce qu'elle commence à avoir des rides et que sa fille est encore fraiche ? Toutes ses questions me sont venues. Et cette allusion à la mort.. Il y a beaucoup de choses ! Je ne sais pas trop comment le prendre. Visiblement le commentaire d'Alain t'a aidé à y voir plus clair d'après ce que je lis. Parfois les commentaires nous aident

Original rapprochement entre le coquelicot et lechaperon rouge!
Voilà un texte très fort, posant plein d'interrogations à la fois gentilles et cruelles, savamment mélangées d'ailleurs. J'ai pris plaisir à le lire, j'ai perçu des colères, des dépits, des doutes... J'aime beaucoup comment tu exprimes toute une palette d'émotions à travers ce conte revisité. Et la version d'AlainX y apporte encore un autre éclairage! A chacun d'y trouver ce qui le concerne, l'encourage ou le touche. Pour ma part, je trouve qu'il y a là matière à réflexion car dans la vie, parfois, tant de choses se mêlent....

merci Myrte, merci Mésange pour vos commentaires qui reposent plein de questions...
Ils viennent à point!

Les contes de notre enfance cachent tous des histoires terriblement glauques, pas de raison que le Petit Chaperon Rouge passe au travers. D'ailleurs les contes étaient, il me semble, une manière de mettre en garde les populations contre certains dangers, de faire passer des informations, l'explication d'Alain me parait aller un peu dans ce sens.

Tout à fait ! par ex. un conte bien détourné de Daudet " la chèvre de Monsieur Seguin" Si vous saviez ...