La terre promise

La montée aux estives, parole de mouton, c’est l’Evènement sportif ovin de l’année. C’est la troisième fois que je participe. L’an dernier j’ai été classé 337ème. Comment ça, pas brillant ? Sur un peloton de plus de 800, c’est quand même pas mal. La transhumance, c’est notre Tour de France à nous et je trouve que notre troupeau, c’est quand même autre chose que les 200 maxi du Tour cycliste sur lequel on fait tant de battage. Surtout que nous, c’est cent pour cent nature, on ne se juche pas sur une machine ridicule, on pédale directement sur le sol de nos quatre gambettes. Je voudrais les y voir les Contador et consorts, pieds nus sur les pavés des villages que nous traversons et qui valent bien ceux de « L’enfer du Nord ».  Et encore, les pavés, c’est du velours  quand   on a tâté des cailloux pointus des drailles !

A nos côtés, Yvon, notre berger, habillé décontracté, vu qu’il fait beau ce matin. A la main, son bâton, son sceptre de Directeur et promoteur de la course.  Au fond de la poche, l'ustensile indispensable : le couteau suisse multi usages. Yvon aussi, il est multi usages : outre comme je l’ai dit, directeur et promoteur, il cumule les fonctions  d’entraineur, soigneur, reporter. Et il fait aussi la caravane publicitaire avec son T-shirt Coca Cola, sa casquette Crédit agricole et son sac de sport Adidas.

Pour l’instant, on est en vitesse de croisière, avec encore dans la panse le petit déjeuner en  pleine rumination. Quand même, celui qui est juste devant moi, il traîne un peu trop. Change donc un peu de braquet mon biquet ! De temps en temps il y en a  un qui tente une échappée, mais ce sont des nouveaux qui n’ont rien pigé au principe de la course : ils filent sur la droite ou sur la gauche ou même ils reviennent en arrière. Les idiots, s’ils s’imaginent que c’est comme ça qu’ils vont gagner ! Heureusement que Flic et Floc, les deux chiens du service d’ordre sont là pour les ramener dans le droit chemin.

Hier, il y a eu un incident sérieux. Bââl, un mérinos australien, une star qui a déjà gagné plusieurs années de suite, est parti tout d’un coup en avant, distançant le peloton d’une bonne centaine de mètres. Flic a trouvé son comportement bizarre ; il l’a rattrapé, l’a reniflé et lui a aboyé le règlement. Autrement dit, le champion aurait brouté des herbes interdites. Il a du dopage dans l’air. A l’étape, sûr qu’il va devoir pisser au bassinet, le mérinos.

En fin de matinée, on a traversé un village. Tout le monde était aux fenêtres et sur le trottoir, agitant des petits drapeaux. Alors on s’est fendus d’un vigoureux trot de sprint. Les spectateurs ovationnaient les ovins, chacun criait des encouragements à son chouchou : « va-z-y Mêêêrks !, va-z-y Bobêêê ! »  Vous pensez si j’étais fier, vu que Bobêêê, c’est moi.

Ces derniers jours, la piste grimpait sérieusement et aujourd’hui, on arrive au bout. Yvon nous a prévenu : «  C’est la dernière ligne droite, les gars, je compte sur vous pour ne pas mollir ! » Moi, j’avais un mental d’acier, j’ai foncé, j’ai donné du collier, de l’épaule, des côtelettes, du  gigot et j’ai franchi 35ème la ligne d’arrivée. L’an prochain, sûr, je serai dans les favoris.

Mais une fois arrivés, c’était tellement beau cette étendue verte piquetée de fleurs, ce panorama à nos pied, et ce ruisseau d’eau fraîche, que j’’en ai oublié la compétition. Yvon n’était plus le Directeur de la course, c’était Moïse et l’alpage la terre promise. Et puis là haut, j’ai fait   la connaissance de Bêêêaba, la plus sexy des brebis, l’idéal comme repos du bélier.  De jolies parties de saute-mouton en perspective !

Alors là ! Chapeau ! Tu as les applaudissements nourris de JM et les miens !       Pas de doute, c'est toi le champion toute catégorie. Quelle rigolade ! Heureusement que tu as pris le Tour de France cycliste pour évoquer la transhumance de tes moutons et non l'équipe à D.D. Ça aurait pu vu que les moutons portent très souvent des marques rouges et bleues sur leur toison blanche. Mais c'est pas le moment hein !

Ah ! Tober, tu n'en finis pas de nous régaler !!      j'attendais ton texte avec une impatience non dissimulée mais cela valait le coup. Toutes les analogies qui jalonnent ton texte sont saveurs inégalables. Tout y est, ou presque, il ne manque que la froome d'Ambert et celle du Cantal !
Merci pour ce texte,   et schotches tout le monde sur place.   
Yvanne,    DD,  avec lui c'est plutôt la débandade que la montade !

MDR    

Et la fin est prometteuse : il y  a du gigot dans l'air   

Tober  

Après le texte d'Yvanne, vu côté chien, je m'étais dit qu'il serait sympa de lire l'opinion des troupeaux.
C'est chose faite, et bien faite   

J'ai vraiment adoré ton texte, son humour lié aux références au tour de France, le mouton qui se dope, le berger qui fait caravane publicitaire à lui tout seul, sans oublier la chute, imagée à souhait   

Je ne sais que dire d'autre, à part    

Quelle superbe idée de traiter la consigne de façon humoristique et du point de vue des moutons   
Référence au tour de France, oh! je n'y avais pas pensé du tout, mais quand je verrais les coureurs monter les cols près de chez moi, je ne les verrai plus de la même façon