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Enfer

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Message  Escandélia Mar 24 Fév - 10:08

Mon frère,

Je viens aujourd’hui prendre de tes nouvelles. Ici sur la terre, le monde va à sa manière. Chacun allant  les uns à la guerre, les autres aux champs. Comme naguère. Dans la tourmente de ce siècle il y a plus de misères que de contentements.

Je t’imagine sur ton ile, perdu au bord de l’océan.  Les vagues envahissant la plate-forme du phare de la Jument, te glacent le sang et te font un manteau blanc.
Tu dois avoir peur parfois par les nuits de gros temps. Quand un navire au large fait retentir sa corne de brume et que le capitaine attend le  signal  du géant. La  difficile passe du Fromveur étale son écume, Le  Conquet est encore loin.
Avant de s’engager dans la rade du port noyé sous la pluie fine et le brouillard épais, il verra par trois fois ta lanterne allumée. Nuit et jour, tu vas guider sa route parsemée d’écueils et de récifs,  au vent mauvais.
La tempête calmée, aux portes de l’enfer, tu surgiras étonné d’être encore sur tes jambes tellement elles ont tremblées. Ton cœur a chaviré. Tu  crieras en voyant  l’horizon.  Le soleil se lèvera enfin sur l’Iroise.

Me revient en mémoire cette lettre reçue  de toi au lendemain de ce naufrage qui vit tes premières larmes sur le phare au large de Ouessant. Toute la nuit tu avais lutté, pour tenir la lumière sous les   flots déchainés. Le rocher résistait sous la houle. C’était une nuit sans lune sur une mer sans fond. Quand le jour enfin s’est levé, il ne restait plus de la veille que quelques flaques d’eau, là-haut sur la coupole.  La mer rayonnait de ses reflets changeants. Pour te prouver que tu étais vivant, tu as chanté de ta voix pure. Un autre jour venait de commencer.

Pour que l'événement le plus banal devienne une aventure, il faut et il suffit qu'on se mette à le raconter.

Tu m’as écrit alors, cette longue nuit d’attente et de frayeur qui n’en finissait pas. Tu m’as décrit ta peur à chaque approche d’un navire risquant le moindre faux pas.  
Maman a beaucoup pleuré en lisant ta lettre.
Papa n’était plus là. Depuis votre querelle qui provoqua ta terrible décision, il n’était plus le même. Quittant la vie des champs, il se perdit un jour sur des mauvais chemins. L’alcool et les filles devinrent son penchant. Sa dérive a provoqué sa chute. Il n’est plus à présent. Tu lui choisis la mer  pour oublier et fuir ce père qui était ton tyran.  
C’était une nuit claire, le ciel constellé d’étoiles appelait à la rêverie. Le vent dans les rochers murmurait sa prière. Et toi le cœur battant tu partais pour l’enfer. Tu en pris pour sept ans.
A chacun son enfer. Le nôtre est bien vivant.
Ensemble, avec maman,  on a prié. A la chapelle, nous sommes allées allumer une chandelle.  Pour ton retour, dans la maison des bois.

Ton petit chat est mort. Sais-tu que depuis ton départ, tous les soirs, il miaulait à ta porte ? Le jour il dormait dans quelques coins, pour oublier. Pour t’oublier.
Un jour, il n’est plus revenu. Ensemble avec maman, on l’a cherché. Il nous parlait sans arrêt de toi. Lui disparu, c’était te dire adieu une nouvelle fois. Quand on a retrouvé son petit corps plié, on vit qu’il eut les reins brisés.
Nous avons versé tant de larmes sur sa souffrance et sur la tienne, qu’aujourd’hui, nos yeux secs ne peuvent plus qu’observer. Notre cœur ressemble à une pierre, aride, plus rien n’y peut pousser.

Nous avons enterré le petit chat dans la clairière. Sur lui poussent mousses et fougères. Il n’a pas froid l’hiver.

Il n’y a plus de toit à la maison des grands parents. Le hibou a remplacé l’hirondelle qui nichait sous le auvent. Les ronces ont envahi la cheminée. Le vieux lit alcôve où tu dormais parfois est devenu nichoir à monsieur le rat noir qui a rongé son bois. Le banc coffre ne contient plus de sel. Il a pourri sous les gravats.   Quand vient l’été, les tourterelles viennent y chanter leur ritournelle. Les perles de rosée mêlent leur éclat aux toiles d’araignée. Les fleurs sauvages ouvrent leur corolle. Elles offrent leur parfum aux visiteurs des lieux : les chèvres cabrioles et les renards frivoles. Parfois un couple amoureux vient y cacher ses ébats.  Cela donne à ces ruines  un air de gaité, sous le soleil. Mais quand tu reviendras, c'est sûr, tu pleureras.
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Message  AlainX Mar 24 Fév - 12:41

Un beau texte émouvant qui fait mémoire.
Les deux premiers paragraphes sonnent comme un poème rimé. C'est étonnant.

Suite à ton commentaire chez moi, je vois que tu as eu de la difficulté à placer la phrase. Elle apparaît comme plaquée. Tu aurais pu cependant l'intégrer, de cette manière par exemple :

Il parait que pour que l'événement le plus banal devienne une aventure, il faut et il suffit qu'on se mette à le raconter. Tu m’as écrit alors, cette longue nuit d’attente et de frayeur qui n’en finissait pas. Mais était-ce si banal que ça. etc....

Reste que c'est un texte que j'ai beaucoup apprécié… Il véhicule une forte émotion par la manière dont tu mets cela en scène.
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Message  Escandélia Mar 24 Fév - 15:29

Merci Alainx, pour tes conseils. Tu vois, cela me parait assez évident comme rédaction, quand je le lis, mais de moi même, je n'y ai pas pensé. En tout cas, c'est aussi cela que j'attends de ce forum : une aide pertinente.
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Message  Amanda. Mar 24 Fév - 16:38

Un très beau texte. Déjà le premier paragraphe interpelle chacun.

Ensuite un portrait de famille est dressé. Pas terrible, cette famille, avec le père, brr

Puis le texte devient touchant avec le petit chat qui est mort.Très bien raconté !

Et enfin une finale en douceur, en gaieté.

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Message  July_C Mar 24 Fév - 17:51

Escandélia,
Tes mots sont vraiment éloquents. Ils m'ont emportée avec eux. Comme si tout à coup, je me suis retrouvée-là, au milieu de tes personnages à vivre ces souvenirs... avec beaucoup d'émotions....
Tes mots donnent vie et surtout une histoire poignante à tes personnages. J'ai vraiment aimé !

Pour la phrase, c'est vrai que j'ai eu un peu l'impression qu'elle est arrivée un peu comme un cheveux dans la soupe... Mais la soupe a été bonne quand même Razz Razz

J'aime bien te lire dans ce registre en tout cas !

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Message  Escandélia Mar 24 Fév - 18:17

Merci July, c'est vrai que j'ai été gênée par la phase à placer, Réfléchis j'ai pas su faire la transition.  Connerie J'aurais du suivre les conseils d'Alainx avant d'écrire mon texte.  La sortie
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Message  Escandélia Mar 24 Fév - 18:57

Pour tenir compte des conseils d'Alainx, j'ai réècrit le passage avec la phrase de transition, voici ce que cela donne :

Mon frère,

Je viens aujourd’hui prendre de tes nouvelles. Ici sur la terre, le monde va à sa manière. Chacun allant  les uns à la guerre, les autres aux champs. Comme naguère. Dans la tourmente de ce siècle il y a plus de misères que de contentements.

Je t’imagine sur ton ile, perdu au bord de l’océan.  Les vagues envahissant la plate-forme du phare de la Jument, te glacent le sang et te font un manteau blanc.
Tu dois avoir peur parfois par les nuits de gros temps. Quand un navire au large fait retentir sa corne de brume et que le capitaine attend le  signal  du géant. La  difficile passe du Fromveur étale son écume, Le  Conquet est encore loin.
Avant de s’engager dans la rade du port noyé sous la pluie fine et le brouillard épais, il verra par trois fois ta lanterne allumée. Nuit et jour, tu vas guider sa route parsemée d’écueils et de récifs,  au vent mauvais.
La tempête calmée, aux portes de l’enfer, tu surgiras étonné d’être encore sur tes jambes tellement elles ont tremblées. Ton cœur a chaviré. Tu  crieras en voyant  l’horizon.  Le soleil se lèvera enfin sur l’Iroise.

Me revient en mémoire cette lettre reçue  de toi au lendemain de ce naufrage qui vit tes premières larmes sur le phare au large de Ouessant. Toute la nuit tu avais lutté, pour tenir la lumière sous les   flots déchainés. Le rocher résistait sous la houle. C’était une nuit sans lune sur une mer sans fond. Quand le jour enfin s’est levé, il ne restait plus de la veille que quelques flaques d’eau, là-haut sur la coupole.  La mer rayonnait de ses reflets changeants. Pour te prouver que tu étais vivant, tu as chanté de ta voix pure. Un autre jour venait de commencer.

On dit toujours que pour que l'événement le plus banal devienne une aventure, il faut et il suffit qu'on se mette à le raconter. Toi, tu l’as fait cents fois, à chacune de tes missives, décrivant cette longue nuit d’attente et de frayeur qui n’en finissait pas. Racontant ta peur et tes angoisses à chaque approche d’un navire risquant le moindre faux pas.  
Maman a beaucoup pleuré en lisant tes lettres.
Papa n’était plus là. Depuis votre querelle qui provoqua ta terrible décision, il n’était plus le même. Quittant la vie des champs, il se perdit un jour sur des mauvais chemins. L’alcool et les filles devinrent son penchant. Sa dérive a provoqué sa chute. Il n’est plus à présent. Tu lui choisis la mer  pour oublier et fuir ce père qui était ton tyran.  
C’était une nuit claire, le ciel constellé d’étoiles appelait à la rêverie. Le vent dans les rochers murmurait sa prière. Et toi le cœur battant tu partais pour l’enfer. Tu en pris pour sept ans.
A chacun son enfer. Le nôtre est bien vivant.
Ensemble, avec maman,  on a prié. A la chapelle, nous sommes allées allumer une chandelle.  Pour ton retour, dans la maison des bois.

Ton petit chat est mort. Sais-tu que depuis ton départ, tous les soirs, il miaulait à ta porte ? Le jour il dormait dans quelques coins, pour oublier. Pour t’oublier.
Puis, il n’est plus revenu. Ensemble avec maman, on l’a cherché. Il nous parlait sans arrêt de toi. Lui disparu, c’était te dire adieu une nouvelle fois. Quand on a retrouvé son petit corps plié, on vit qu’il eut les reins brisés.
Nous avons versé tant de larmes sur sa souffrance et sur la tienne, qu’aujourd’hui, nos yeux secs ne peuvent plus qu’observer. Notre cœur ressemble à une pierre, aride, plus rien n’y peut pousser.

Nous avons enterré le petit chat dans la clairière. Sur lui poussent mousses et fougères. Il n’a pas froid l’hiver.

Il n’y a plus de toit à la maison des grands parents. Le hibou a remplacé l’hirondelle qui nichait sous le auvent. Les ronces ont envahi la cheminée. Le vieux lit alcôve où tu dormais parfois est devenu nichoir à monsieur le rat noir qui a rongé son bois. Le banc coffre ne contient plus de sel. Il a pourri sous les gravats.   Quand vient l’été, les tourterelles viennent y chanter leur ritournelle. Les perles de rosée mêlent leur éclat aux toiles d’araignée. Les fleurs sauvages ouvrent leur corolle. Elles offrent leur parfum aux visiteurs des lieux : les chèvres cabrioles et les renards frivoles. Parfois un couple amoureux vient y cacher ses ébats.  Cela donne à ces ruines  un air de gaité, sous le soleil. Mais quand tu reviendras, c'est sûr, tu pleureras.
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Message  catsoniou Mer 25 Fév - 6:42

Effectivement, la deuxième version intègre la contrainte fixée par la consigne avec harmonie. Cette histoire se rapproche sans doute d'aventures vécues par ces gardiens emmurés dans leur solitude ... Prosterne
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Message  Admin Mer 25 Fév - 20:46

Je n'ai lu que la seconde version, et... Comment dire????? J'adoreeeeeeeeeeee. C'est beau, c'est humble, c'est nostalgique, c'est plein de tendresse et c'est judicieusement écrit à travers une lettre.

Merci pour ce très beau moment de lecture Prosterne Prosterne Prosterne
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Message  Invité Jeu 26 Fév - 13:53

Un sœur écrit à son frère qui a préféré la mer à la terre. Peu courant par chez nous où nous sommes tellement enracinés à nos collines et chemins ! Mais les gardiens de phare choisissaient-ils vraiment de s'isoler.
Ta lettre, triste et émouvante, relate bien les difficultés, tragédies, malheurs, rancunes qui ne manquent pas de tomber sur nous, humains qu'ils soient sur la terre ferme ou en mer.
Mais dis-moi Escandélia ? Crois tu que la lettre de la sœurette soit d'un grand réconfort pour son malheureux frère ?  Wink

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Message  Nerwen Dim 1 Mar - 11:24

Beaucoup d'émotion et une atmosphère prenante très bien évoquée. Ton texte est beau et j'ai eu plaisir à le lire. Comme AlainX, j'ai été sensible au rythme des deux premiers paragraphes qui "sonnent" comme une poésie. Prosterne
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Message  tobermory Lun 2 Mar - 14:15

Tu t’es très bien glissée dans la peau de cette femme et tu réussis à nous faire vivre ses émotions d’un bout à l’autre de ce texte plein de tristesse et de douleur. Je ne sais pas si c’est volontaire, mais à certaines tournures et au ton général, j’ai eu l’impression d’un distance dans le temps, d’une lettre écrite il y a plusieurs dizaines d’années.
A part ça, seule remarque : j’ai un peu buté sur cette phrase : Tu lui choisis la mer pour oublier et fuir ce père qui était ton tyran
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Message  Escandélia Ven 6 Mar - 10:40

Merci de vos coms.
Tober : comment exprimer cette douleur qui peut tirailler un fils qui n'est pas parfait, en tout cas encore moins pour un père qui l'aurait souhaité différent ? Le vieux l'aurait voulu son prolongement. Il n'était que lui même.
Peut être une phrase de transition supplémentaire pour exprimer cela aurait rendu plus fluide la formulation.
" Au travail de la terre, tu choisis la mer, pour pouvoir exister et fuir ce père qui était ton tyran."
Mais grâce à ton regard, et merci de le poser sur mes textes,  cela m'oblige à repenser mes formulations et à retravailler derrière. Que du positif !
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Message  tobermory Dim 8 Mar - 10:56

Ce sur quoi je butais, c’était avant tout l’utilisation de choisir, comme tu aurais dit Préférer.
Tu lui préfères la mer ou Au travail de la terre tu préfères la mer c’est correct, par contre avec choisir, ça ne l’est pas : on choisit une chose (ou une personne), on choisit entre deux choses, on choisit une chose de préférence à une autre, mais on ne choisit pas une chose à une autre.
En dehors de ce problème, Dans ta version initiale Tu lui choisis la mer = tu préfères être marin plutôt que paysan comme ton père
Dans ta dernière proposition, Au travail de la terre, tu choisis la mer = même signification. Je préfère cette formulation.
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