A. La mouche et le selfie

Cédant à la mode, Sergio, juché sur son charroi, recherche l'angle propice à donner de lui un selfie avantageux. Sur un lit de foin en vrac, pense-t-il, l'image sera, on ne peut plus, bucolique. D'autant que devrait figurer sur la photographie l'attelage des deux vaches salers qui va donner  un aspect de sérénité à l'ensemble.

Dame ! On n'attrape pas les mouches avec du vinaigre. L'éventuelle fiancée surfant sur Facebook sera curieuse de découvrir  ce nostalgique du passé. De l'époque où on prenait le temps de vivre en osmose avec les animaux. Tout en manipulant sa perche à selfie, Sergio rêve de cette vie simple qu'il aimerait tant partager.    Négligeant  sa prudence    habituelle  de paysan averti, il oublie que sa stabilité est toute aléatoire.

A la merci de l'insecte aventureux qui vaque à ses occupations habituelles.  

Bzzzz, Bzzzz,  la mouche agace subrepticement la vache de gauche pendant que celle de droite tente de garder sa sérénité. L'une et l'autre respectent la consigne : tout mouvement impromptu risque de verser le maître perché sur son tas de foin.

Sans doute en vue de faciliter la placidité proverbiale des bovins, le Créateur a pourvu les vaches d'un appendice caudal apte à chasser les importunes.  En guise d'accessoires, il a doté  celles-ci d'une langue susceptible de débusquer les aventureuses se risquant dans les trous de nez. Quant aux oreilles, les agiter en tous sens ne suffit pas à stopper l'intrusion d'insectes risque-tout. En liberté dans le pré, la patte arrière  pourrait s'avérer auxiliaire précieuse. Sous le joug partagé avec une congénère,  ce mouvement est  quasi interdit.

Sous la torture,  la vache de gauche,  importunée,  malgré la réticence de sa compagne de droite,  brave l'interdiction. D'un mouvement saccadé, de bas en haut, la tête du bovin secouée parvient à chasser  du creux de l'oreille la mouche gêneuse.

Ce mouvement impromptu  génère comme un tremblement de terre pour l'amateur de selfie.  Tanguant au cœur de la tempête, agitant les bras comme un sémaphore, l'auto portraitiste se crispe sur sa perche selfie. L' APN décrit  une courbe majestueuse avant d'échouer sur une pierre malencontreuse et le postérieur de Sergio entre en contact brutal avec le sol durci par la sécheresse.

D'un regard navré,  la vache de  gauche contemple le gâchis.  L'appareil photo, gisant au sol en morceaux, est naze.  La perche selfie  est tordue de douleur.  Le Sergio se relève en boitillant et l'insecte, cause des dégâts, tel la mouche du coche, réclame sans vergogne qu'on le paie de sa peine !