A. Naissance au clair de lune

J’ai mis l’eau à chauffer. La lune m’observe à travers le carreau. Sa plénitude me remplit de joie ; elle répond à la rondeur de mon ventre. J’écoute les bruits de la maisonnée : la respiration de mon homme est lente et régulière, celles de mes deux filles légères et plus rapides. Les douleurs ont commencé, la vie lovée en moi se prépare à s’ouvrir au monde.

L’eau bout. Une pile de linges propres attend sur la table. J’attends aussi, patiente, confiante. J’harmonise ma respiration avec les contractions qui sont régulières et constantes. Je me revois debout devant l’océan, écoutant le bruit des vagues, le sac et le ressac rythmant mes rêves de jeune fille. Et puis le jour de son arrivée au port, un simple sac sur la tête, attiré par le climat âpre de l’île, impatient de travailler la terre. Je me souviens de son enthousiasme, de son profond respect pour la nature, de son regard franc, de son corps musclé.

La poche des eaux a craqué. Les contractions s’accélèrent. La tempête s’est levée. Mon corps lutte vaillamment. J’halète, je fais face aux assauts, j’y crois, je tiens bon. Deux bras vigoureux maintenant me soutiennent. Une dernière vague accompagnée d’un long soupir. Quatre mains accueillent le bébé ruisselant. Il respire. La lune émue poursuit son chemin.