A. J'ai posé

J’ai posé sur le comptoir d’embarquement ma valise pleine d’enfance, d’insouciance, de soif d’aventure pour des départs impromptus, partout et ailleurs.
Rouler sur les pistes de Goulimine, voguer sur la barge de Mamoudzou à Dzaoudzi, boire du lait de chèvre à Matmata, écouter des guitares électriques dans des caveaux londoniens et nous retrouver intacts et scellés.


J’ai posé dans le tiroir mes pinceaux, ma plume, mes crayons, ma fantaisie. Plus le temps de bailler aux corneilles. Bébé, biberons, couches, turbulettes, areuh et fatigue, remplissent mes journées.


J’ai posé sur le guéridon les clés de la voiture. Il fait déjà nuit. Je mets l’eau des pâtes à chauffer. Les garçons n’ont pas fait leur devoirs. Les chats réclament leurs croquettes.


J’ai posé sur ta table de chevet les disques, les livres et les kleenex que tu m’avais demandés. Ton casque de moto est cabossé, ton bassin disjoint, ta tête à l’envers, mon coeur chaviré. Je cours de la crèche à ta chambre, de ta chambre au collège, du collège au Mac Do, du Mac Do à la maison. Je repasse tes caleçons. Je t’achète Eau Sauvage. Demain, le kiné va te lever.


J’ai posé sur l’étagère du salon une hutte en terre cuite que Damien avait façonnée à la maternelle et j’ai glissé sous verre « Tu es belle ma mère » de Maurice Carême qu’Yvan m’avait écrit pour la fête des mères.


J’ai posé sur la table nos bols, le thé, le miel, les fruits, le pain, le fromage.
Nous déjeunons dans la cuisine, devant la fenêtre pour regarder les saisons.
Les hirondelles tourbillonnantes, les mouettes gourmandes, les tourterelles bavardes, les corbeaux criards.
Le jour qui se lève doucement, les lumières qui s’éteignent peu à peu.
Le chien qui tire sur sa laisse.
Les enfants cartable au dos.