A.Famille

Je suis sorti pour faire une chose incompréhensible. On va dire « quel vieux fou ! » Pourtant moi je me comprends et les fleurs aussi elles me comprennent. C’est pour elles que j’ai posé l’échelle contre le mur. Quand il fait beau et même quelquefois quand il pleut, je reste dehors assis sur le banc. Ça n’est pas drôle de rester tout seul dans la maison. Vous me direz que dans le jardin je suis seul aussi ; c’est ce que vous croyez, mais j’ai les fleurs, ça en fait du monde, les fleurs, toutes ces petites têtes roses au teint frais, vives et rigolotes comme des bambins. Plus calme quand même et moins bruyantes, heureusement. Un enfant ici, qui courrait partout en poussant des cris, je ne supporterais pas. Je sais ce que c’est, j’ai des petits-enfants. Ça fait longtemps que je ne les vois plus, leurs parents non plus ; c’est depuis que j’ai refusé d’aller à la maison de retraite. Est-ce qu’il y a des fleurs à la maison de retraite ? Pas sûr, ou alors des fleurs bien sages, comme les petits vieux de là-bas, pas le droit de sortir de leurs jardinières. Les miennes, elles sont libres, vous voyez comme elles ont l’air heureuses ? Une joyeuse petite bande, comme des moineaux qui viennent de se poser dans un arbre. D’ici, je leur parle et elles écoutent. Elles ne disent jamais que je radote, ça les intéresse toujours mes histoires, je le vois à leurs mines, je devine leurs sourires, leur air rêveur, leur tristesse quelquefois. Elles ont des petites figures si expressives, bien plus que les gens. On peut dire que je ne perds pas au change, ça non. Le soir quand on n’y voit plus rien je rentre me coucher, mais j’ai hâte d’être au matin, j’ai l’angoisse de ne pas les retrouver, qu’elles soient parties ailleurs, qu’elles se soient lassées de moi, elles sont si jeunes. Quand je vois par la fenêtre qu’il y a clair de lune, je sors pour les regarder, je marche sur la pointe des pieds pour ne pas les réveiller.

J’aimerais bien qu’elles viennent un peu plus près et elles aussi j’en suis sûr, il n’y a qu’à voir comme leurs têtes se tendent vers moi. Il y en a qui grimpent sur les autres pour mieux voir de l’autre côté du mur. Pourquoi est-ce qu’elles voudraient rester là-bas, devant une maison où il n’y a jamais personne ? J’ai mis une échelle de chaque côté du mur pour qu’elles puissent grimper et redescendre ici. Je les imagine déjà autour de moi comme une famille. Ma famille à moi ne risquera pas de les écraser, ils ne viennent jamais, même à Noël ils ne viendront pas, même à mon anniversaire, heureusement je ne me souviens plus quand c’est, alors je ne les attends pas. Ah évidemment ils viendront quand je serai mort. Et sur ma tombe ils vont mettre des fleurs en pot toutes tristes et des fleurs artificielles, toutes mortes. Ça ne va pas être drôle le temps que je vais passer là-bas !

Il est bien beau ce texte ! plein de tendresse et de douceur. On se prend à poser un regard plein d’empathie pour ce pauvre petit vieux que ces enfants indignes veulent coller en maison de retraite. J'ai bien aimé la comparaison entre les fleurs des cimetières et l'hospice et tes fleurs à toi, toutes rayonnantes dans ta maison trop grande pour toi.

Encore un texte de toi qui suscite l'émotion…
on se prend à l'aimer cet homme abandonné de tous…

et je rejoins pleinement le commentaire d'Escandélia. je n'aurais pas pu dire mieux.

Très touchée par ce beau texte !
Moi aussi je dois un peu perdre la tête déjà, car je parle aux fleurs et aux plantes et je crois qu'elles aiment cela.
Mais c'est un secret.
Je parle aussi à mon gingko biloba dont j'avais mis la photo sur Kalé, et c'est le plus bel arbre de ma rue.
Quand je m'absente, je suis comme ton vieil homme j'ai peur qu'elles ne se fanent et en effet la plupart du temps ( malgré les arrosages de ma voisine) j'en perds quelques-unes. C'est à chaque fois un petit chagrin.

J'aime beaucoup la façon dont tu parles de la famille tu appuies exactement là où ça fait mal....
J'espère que ce n'est pas ton cas !!

J'ai beaucoup aimé ton texte. Il est superbe et émouvant . J'aime aussi l'homme dont tu décris si bien son amour pour ses roses. J'aimerais bien être une de ses roses !

On a de la tendresse pour cet homme qui cajole ses fleurs, qui le lui rendent bien. Une romance botanique écrite de ta belle écriture et qui nous enchante. J'ai beaucoup aimé.

J'adore ce texte ! Cette connivence tendre entre le vieil homme et ses fleurs, comme il en parle avec amour et poésie.

Je parle aux fleurs et j'enlace les arbres. Donc ton texte tendre m'a beaucoup plu.