Sa propre lecture

On me dit bizarre, on m’appelle la vieille folle. Toujours plongée dans un livre, les yeux délavés à force de s’user sur les caractères d’imprimerie. Les livres ont colonisé la maison et débordent maintenant dans le jardin. Dans un vieux pick-up qui traine sur la pelouse, au creux des branchages du châtaignier, à même la pelouse.

Les parents ne veulent pas que leurs enfants viennent me voir. Je leur fais peur, les gens n’aiment pas ce qu’ils ne comprennent pas. Et pourtant j’aurais plaisir à offrir à leurs gamins  un de mes livres pour qu’ils découvrent eux aussi qu’on aime toujours un peu à sortir de soi, à voyager, quand on lit.

Je n’ai jamais quitté ce village qui m’a vu naitre et pourtant j’ai passé ma vie à voyager et à parcourir le monde grâce aux livres.

J’ai arpenté les chemins de Compostelle avec Jean-Christophe Ruffin. J’ai sillonné Marseille et ses bas fonds avec Jean-Claude Izzo. J’ai plongé et me suis immergée au sein de l’IRA avec Sorj Chalandon. J’ai rêvé d’espace, de violence, d’une ville tentaculaire avec Maylis de Kerangal.

J’ai tout vu, tout vécu. De la préhistoire au futur qui nous attend, de l’Antarctique à l’Afrique du Sud. Le monde n’a aucun secret pour moi.

Et puis un jour, à l’aube de ma vieillesse, j’ai vidé le vieux pick-up de sa montagne de livres. Je me suis installée au volant et me suis hasardée au dehors roulant droit devant. Je ne reconnaissais plus rien. Le monde n’était pas ce que j’en connaissais. J’étais perdue et en même temps si excitée. C’est alors que j’ai enfin décidé d’avoir ma propre lecture du monde.

Avoir sa propre lecture du monde , voilà ce à quoi on devrait s'attacher plus souvent. Dire non aux idées reçues par exemple, choisir sa vie, choisir son camp, être soi tout simplement. Ce que tu nous montres avec cette belle histoire, c'est que si l'écriture peut être libératrice, la lecture est émancipatrice. Et puis toi au moins tu nous donnes les noms d'auteurs  

@Escandelia : je t'en ai donné au moins un sinon trois de noms d'auteurs ( ceux de Kalé que tu connaissais !)

@ Sherkane : la vieille folle ne l'est pas tant que cela ! Mais elle a ses contradictions aussi puisque, quand elle décide de voir le vrai monde, elle est " perdue" mais "excitée" aussi.
Puis elle décide d'avoir sa propre vision, d'accord. J'aurais bien aimé que tu développes un peu cet aspect de "perdue" et "excitée" peut-être en relation avec des livres. Quel défi je te lance là !  

j’ai enfin décidé d’avoir ma propre lecture du monde.

"Lire" le monde avec en mémoire les descriptions qu'en ont fait les auteurs ? Pourquoi pas ?    

Je suis de ceux qui considèrent que le roman sur telle ou telle époque, pays, catégorie d'êtres humains restitue plus fidèlement  les conditions de vie qu'une analyse froide et raisonnée des historiens...

Peut-être cela permettrait-il de "raison garder" ?

J'ai adoré ton texte Sherkane. Pffffffff! J'aurais bien aimé l'écrire   
Je suis contente de te revoir parmi nous et j'espère que tout se passe au mieux avec ton nouveau compagnon à 4 pattes   

Moi aussi, j'ai beaucoup aimé ton texte et je m'identifierai volontiers avec ta "vieille folle".  

Vive les vieilles folles ! Très bonne idée, cette femme qui connaît tout sans avoir quitté son village et qui en fin de compte cherche « sa propre lecture du monde. »

Je n'ai pas lu tous les auteurs que tu cites, mais Izzo, j'adore !