Comme un mélo

Tous ceux qui se souviennent de Nola diront qu'elle était une jeune fille merveilleuse. Malgré une vie difficile, elle respirait l’optimisme et c’était un bonheur de la croiser sur le quai de la gare où elle venait régulièrement, non pour prendre le train, mais pour contempler l’énorme locomotive fumante, chaque fois qu’elle passait par chez nous.
A ceux qui étaient surpris de voir une jeune fille s’y intéresser aussi assidument, Nola confiait, qu’un jour, elle aussi, monterait dans le train et que le monstre noir et luisant l’emporterait loin du village, vers la grande ville, pour une vie différente.  

Une vie différente…  
Pour cela, Nola économisait sur son maigre salaire de bonne à tout faire. Elle s’était renseignée et le prix du billet pour Paris était vraiment hors de ses moyens, mais, petit à petit, sou après sou, son petit pécule s’étoffait et son rêve prenait corps. Une lointaine cousine, qui habitait à Paris, lui avait depuis longtemps promis de l’accueillir chez elle, le temps pour Nola de trouver un travail, qui, à l’époque ne manquait pas pour une fille courageuse et vaillante.
Courageuse et vaillante, Nola l’était, au moins jusqu’au soir où, regagnant la soupente qui lui servait de chambre, elle découvrit le tiroir de sa commode, fracturé. Le tiroir où elle gardait l’argent péniblement épargné !  

A cette époque, placer ses économies à la banque, c’était pour les gens très riches. Les pauvres, eux, n'avaient pas confiance. Ils enfouissaient leur maigre trésor dans leur armoire, parmi des vêtements, ou sous une pile de draps, histoire de le garder à portée de main, au cas où….
Sauf, que ces cachettes étaient connues et que plus d’un s’étaient déjà fait « cambrioler», comme on disait alors, par un vaurien ou par un plus pauvre que lui…

Quand Nola découvrit le larcin, elle sentit son rêve se briser. En pleurs, elle courut vers la gare. Le train pour Paris allait entrer en gare dans les minutes qui suivaient. Ce train que jamais elle ne prendrait ! C’en était trop pour Nola !
Quand la locomotive, par un sifflement strident, annonça son approche, elle gagna l’extrême bord du quai… La tête lui tournait, les sanglots l’étouffaient… Plus près du bord … plus près… le ballast brillait dans l’ombre de mille petites étoiles qui l’attiraient…

Elle allait basculer en avant quand une poigne solide la saisit par le bras et la tira en arrière, alors qu’une voix jeune lui criait, à travers le fracas du train, que ce n’était pas le moment de se prendre pour Anna Karénine !
Nola ne savait pas qui était Anna Karénine, elle l’apprendrait plus tard. De la bouche de son sauveur, devant une tasse de café bien fort, prise au buffet de la gare où il l’entraîna.
Encore choquée par ce qu’elle avait failli faire, tremblante et tout en ravalant ses larmes (de soulagement celles-là), Nola raconta pêle-mêle au jeune homme, le vol, les économies, Paris, la cousine… Pierre, puisque c’était là son nom, remis calmement les éléments en ordres et présenta les choses sous un jour beaucoup moins tragique.

Lui-même venait de Paris, et allait s’installer au village comme clerc de notaire pour aider Maître Sauboua qui se faisait vieux. On avait toujours besoin d’un notaire à la campagne précisa-t-il, avec les affaires de succession, de bornage, de transactions diverses, et le coin lui plaisait.
Ils seraient donc amenés à se revoir. Il lui promit en outre de l’aider à porter plainte pour le vol, afin d’essayer de récupérer l’argent pour que, elle, Nola puisse vivre son rêve. Rêve qu’elle n’était plus aussi sûre maintenant de vouloir réaliser…