Si j'étais

Si j’étais une fleur, elle serait vivace. J’aime l’éphémère quand il est beau et qu’il est ailleurs. Les annuelles s’offrent en spectacle et elles sont souvent magnifiques, mais malheureusement sans lendemain. Ma fleur, parfois moins belle, doit après l’hiver pouvoir revivre au printemps.

Si j’étais une couleur, ce serait le bleu. Clair ou profond, dans toutes ces nuances le bleu traverse mes humeurs. Par exemple, le Majorelle, superbe et tant lumineux,  est unique, et quand il me colorie un peu l’âme c’est pour traduire mon extase.

Si j’étais un fruit, ce serait le raisin que les sarments noueux de la vigne nous tendent en grappes généreuses. Pour son goût qui prend le caractère viril de la terre rocailleuse et des pentes raides desquels il secrète son jus, et pour ces grands Châteaux  qui, par leurs pouvoirs occultes, transforment sa pourriture en nectar.
 
Si j’étais un arbre,  je serais le vieux platane sur la place du même nom à Ile Rousse, en Corse. Son ombre invite à boire le petit blanc perlé, aussi sec que le son des boules que les joueurs pointent et tirent avec adresse. Ces larges feuilles frémissent du spectacle des jeunes filles et de la brise tiède qui taquine leurs robes légères. S’il est plus que centenaire, c’est que ses racines s’abreuvent de tous ces petits bonheurs.  

Si j’étais une épice, ce serait le curry. Vert, jaune ou rouge il peint les ragoûts et anime les palais. Mais méfiez-vous, le curry feinte, le coquin, car à l’inverse des feux de signalisation, le piquant du rouge est plus doux que celui du vert, qui arrache.

Si j’étais une étoile, ce serait une parmi toutes celles qui,  éteintes depuis des millions d’années, clignotent encore dans notre nuit, comme un clin d’œil de la nature qui nous joue un de ses tours, surprenant et merveilleux.

Si j’étais une émotion, j’opterais pour la sérénité. Parce qu’elle est le résultat de tout un chemin pas toujours tranquille. La sérénité se construit en sagesse progressive, elle pose son regard, plutôt qu’elle ne le darde, chaque expérience l’éveille et l’aide à ne pas s’endormir dans la compromission.

Si j’étais un mot, je choisirais pluriel. Pluriel qui ouvre à toute la diversité, des hommes et des cultures, de la nature aussi, en une polychromie qui éveille et stimule notre humanité. Pluriel qui gomme la solitude, qui nous offre les autres et tant d’opportunités de rencontres. Pluriel, comme un slogan, « je suis pluriel », qui dénonce l’extrémisme et son étroitesse imbécile.

Si j’étais un rêve, il serait érotique. Xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx !

Si j’étais la terre. Je me regarderais d’en haut. Sans complaisance, je constaterais que je reste belle mais que ces dernières décennies j’ai beaucoup vieilli. Mes belles forêts sont percées de croûtes qui apparaissent comme les taches brunes sur ma peau. Mes mers s’assombrissent, l’éclat de leur bleu s’éteint lentement, comme celui de mes yeux plus délavés qu’avant. Les coiffes blanches des cimes de mes montagnes se dégarnissent, comme moi je perds mes cheveux.

C'est très très beau virgul et bien agréable à lire
J'aime beaucoup ton dernier paragraphe.
Et je ne connaissais du curry que le rouge

J'aime bien ton mot pluriel. Mais pour la terre, quelle tristesse de penser qu'elle va surement mourir tellement on la massacre ! Bravo pour ton texte plein d'émotions.

Encore un bien beau texte.
J'aile beaucoup ton choix de la sérenité comme mots

Grace à toi j'ai découvert le bleu Majorelle que je ne connaissais pas

"le petit blanc perlé, aussi sec que le son des boules". J'ai trouvé cette image particulièrement juste et évocatrice. On touche là à l'essence de l'écriture : trois mots qui donnent à voir l'importance de l'ombre des platanes.
Aimé aussi le rêve érotique. C'est tellement juste, parce que ce n'est qu'un rêve et non une addiction.
Le raisin. Un fond de culture, bien sûr qui signe tellement le savoir vivre de notre pays. Je t'abandonne le curry, mais tous les goûts sont dans la nature.
Merci pour ce texte très réussi puisqu'il fait voyager le lecteur.

Merci pour vos commentaires. J'ai sué sur cette consigne. Les idées viennent rapidement, mais pour la mise en forme le chemin fut semé de ratures, reconstructions et inversions multiples!

J'ai lu tous les autres textes, quel bonheur et quelle diversité ! La consigne était très inspirante et les textes sont tous plus beaux les uns que les autres.

Je ne sais pas si c'est ton premier texte ici, mais c'est un coup de maître ...

J'adore l'image du raisin, parce que le raisin, c'est bon, mais le jus de la treille ... Que serions-nous sans  le vin ? D'ailleurs, les curés l'ont bien compris : ils ne prennent pas n'importe quelle bibine pour honorer le Seigneur. Mais là, excuse-moi, je m'égare ...

Décidément j'aime bien te lire ! :-)
J'aime beaucoup la partie sur l'étoile, le mot et la sérénité !

Le bleu Majorelle m'a transporté à Marrakech dans le jardin du même nom...
Et la place d'Ile Rousse... elle m'a amené à fouiller dans ma mémoire, puis à aller vérifier mes souvenirs sur Google images. Ce n'est pas mon "coin" de Corse mais je l'avais encore en tête dans un petit recoin de ma mémoire.
Un beau texte.

J'aime le mot pluriel et la terre qui se regarde d'en haut, j'aime la sérénité et l'etoile qui nous joue des tours. J'aime ton texte bravo

j'ai adoré la terre
merci

Virgul, j'arrive très en retard pour cause de vacances.
Heureusement que je viens te lire, sinon j'aurais raté un très, très bon texte. Si tu as "sué dessus", comme tu l'écris, cela en valait la peine.
Je trouve ton texte très différent des autres, plus abouti, tu vas loin dans tes choix comme celui de la fleur éphémère, et tes références à ta vie personnelle ( le crâne dégarni entre autres) m'ont fort amusé.
J'aime aussi ta sérénité et ton rêve