Joyeuse escapade

Le miroir s'est brisé, je découvre qu’un monde vit derrière. La lumière filtre délicatement  entre les  éclats de verre.
 Le soleil me réchauffe le cœur, je me faufile  à sa rencontre à travers les brèches, mon âme perle délicatement de l'autre côté, je vois les grands pins encore tachetés de neige.
 Le miroir cède complètement, je jaillis dehors telle une fontaine avide de rejoindre le ciel, j'ai envie de gambader !

Je m'insinue dans des petits chemins de sable et de cailloux. J‘effleure la mousse qui me chatouille. Quelques insectes s’avancent  à ma rencontre, encore engourdis par l'hiver. Je sautille entre les pins, je badine avec la lumière et l’ombre ; mon rire cristallin et discret ravive la forêt sur mon passage.

 Un nuage cache le soleil et exhale son averse printanière. J'aime la pluie, elle me gonfle de joie. Je virevolte, caracole, batifole et sifflote avec elle. Mes doigts frôlent les écailles argentées des poissons encanaillés par ma présence. On danse la gigue, on dévale les pentes en une joyeuse farandole. Je me laisse emporter par mon propre élan.

 Oh ! Une petite rivière ! Je regarde mon reflet qui ondule et qui ondine dans son eau si claire. On se reconnaît la rivière et moi, on s'enlace, on s'embrasse, on s'écarte, on s'entremêle à nouveau, on ne fait plus qu'un. Elle me parle de rives magnifiques, étendues à perte de vue, bercées par l'océan qui vient s'y détendre. Ah, cela donne bien envie de s'y rendre, mais avant...
Un chevreuil s’approche timidement, je me laisse caresser le visage par son museau frais puis je repars bondissante entre les rochers. Je joue avec les racines des grands chênes, ils me regardent avec bienveillance et se laissent bousculer par mon passage pétillant.  

Je me suis arrondie, je traîne mes flots de bonheur dans un courant de plus en plus fort, je tinte à l'oreille des graines encore endormies : "Il est l'heure !! Réveillez-vous!" Je m'emballe, je divague, je m'enivre de moi-même, je suis l'eau vive,  poursuivie par les éclats de rire des enfants, je les éclabousse de paillettes ensoleillées.
 
Puis, à bout de souffle, haletante, épuisée par cette si grande journée, je ralentis, je me traîne langoureusement, je soulève mollement des tourbillons de vase. La lune me sourit, je me sens bercée par le clapotis le long de la rive...

 Une secousse furieuse vient me bousculer, une main de géant m'attire irrésistiblement, je suffoque,  goût salé, je me noie dans le ressac, j'inonde le sable, je m'éloigne vers le large. Je reconnais cette force pleine de sagesse qui m’attire, je la salue :
 "- Bonjour grand océan.
 -Bienvenue joyeuse eau douce."

 Nous sommes l'Eau, source de vie.