J'ai voulu traverser !
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J'ai voulu traverser !
Le miroir s'est brisé. Il y a d'abord eu un lointain cri diffus et cristallin comme celui d'une voix enfantine. Un autre lui a répondu quelques instants plus tard, puis deux, puis trois, puis une meute entière s'est mise à l'unisson.
Soudain, le cri a changé de tenue et de dimension. Un craquement comparable à la déflagration d'une arme, au fracas du tonnerre suivi de son roulement qui se perd dans le fond d'une vallée. J'ai arrêté mes pas, ne sachant plus trop si je devais continuer à avancer, une goutte à filer le long de mon flan, froide et laissant sur ma peau son sillon glacial. J'ai regardé paniqué autour de moi, la lisière des bois sur ma gauche, sombre et inquiétante. L'étendue légèrement bleutée, se perdait devant et à ma droite dans une purée de pois blanche et incertaine. Je n'ai même pas eu envie de me retourner, l'angoisse de découvrir la chose horrible à mes trousses.
La première idée, réflexe ou instinct reptilien perdu au fin fond de mon cerveau, a été de m'accroupir, comme un enfant se met en position au fond de son lit pendant une peur nocturne, ou comme l'animal pris en chasse et épuisé se tapit dans la première niche venue. J'ai attendu ainsi quelques secondes certainement, une éternité. Ne voyant rien venir, je me suis convaincu de retrouver mes esprits, de respirer aussi, j'ai fini par mettre un genou à terre afin de détendre tout mon corps et de laisser le temps à mon cœur de retrouver un rythme de croisière. J'étais trempé.
"Putain, mais Jerem t'es un sacré boulet quand même!" Me suis-je dit en esquissant un sourire soulagé, mais encore un peu cul-serré, je dois avouer. J'ai posé mon deuxième genou, m'asseyant sur mes talons, j'ai relâché mes épaules, remis en place les bretelles de mon sac à dos dans leurs creux, introduit mes pouces sous ma ceinture afin de bien rentrer mon épaisse chemise à sa place, glissé le dos d'une main en bas de mon dos justement, pour finir. J'avais le cul mouillé, une vraie fiotte aurait dit le paternel. J'ai pensé à lui, mon visage a changé d'expression.
Les mains sur les cuisses, je me suis relevé, j'ai tourné la tête pour cette fois regarder serein derrière moi, j'ai relâché un air qui me semblait vicié depuis bien trop longtemps, la buée est allée se perdre elle aussi dans le brouillard un peu plus loin. J'ai repris mon chemin, jetant ci et là un œil inquisiteur, rien d'anormal à première vue. Si je dis qu'à tout moment, je m'attendais à voir surgir des frondaisons n'importe quel animal sanguinaire ou tout autre danger de cet acabit, vous aurez une idée plus claire de la quiétude qui m'habitait à ce moment là. J'avais grande hâte de me sortir de là.
C'était ça ou passer par les bois, et j'avoue que tant qu'à choisir, je préférais avoir une vision périphérique un peu plus élargie, au moins j'aurai le temps de voir venir. Et s'il le fallait, je pourrais piquer un sprint quitte à abandonner temporairement mon barda pour le premier refuge venu, un arbre sur ma gauche ou la brume environnante, suivant d'où ça allait sortir.
"Hééé, mais t'es con ou quoi, t'arrêtes un peu avec tes conneries, rien ne va te tomber sur le coin de la gueule ou venir te prendre en chasse... Oh, mais t'es pas bien toi hein !"
Je rigolais tout seul, et j'avais honte un peu, mais comme on dit un homme averti en vaut deux, mieux vaut parer à toute éventualité.
J'ai continué, regardant sous chacun de mes pas pendant quelques minutes, mais je ne perdais pas non-plus du coin de l'œil l'orée tant redoutée et pas si lointaine que ça. J'estimais environ à une centaine de mètres ma sécurité toute relative. Au bout d'environ 25 minutes, à un rythme qui se voulait conquérant et sur de soi, ça s'est éclairci. Le soleil a commencé à percer, je devinais les pins épars, signe que j'approchais de la fin de mon calvaire. Juste de quoi me redonner du baume au cœur et me conforter dans mon choix finalement.
Dans une heure, j'aurai rejoint la cabane, ça faisait bien une quinzaine d'année que je n'y avais pas mis les pieds. Avant, j'y passais quelques semaines avec mon père, la saison allait commencer, c'était à mon tour désormais de perpétuer la tradition familiale. Poser les pièges, réparer les lignes, graisser aussi certainement le vieux fusil qui devait désormais être piqué par la rouille, remettre aussi l'endroit en état. J'allais y séjourner pendant quelques mois, c'était un choix. J'en avais besoin, pour moi, me prouver déjà que j'en étais capable, me recentrer aussi sur les priorités de ma vie, savoir ce que j'en attendais désormais.
Ce matin en préparant les derniers détails et en faisant mon ultime inventaire, je m'étais assuré auprès du réceptionniste, après avoir quitté ma chambre, que la météo était bien celle prévue. Il faisait toujours aussi froid, le thermomètre sur le perron de l'hôtel indiquait -17°, normal et de saison, vous pouvez-y aller tranquille m'avait-il dit.
Son père à lui, avait connu le mien, il avait dû aussi me voir tout petit être chaque année du voyage à partir de mes 10 ans. C'était le genre de petit hôtel pour clients de passage, qui voyait quant à lui passer les générations et restait entre les mains familiales.
Je l'ai maudit cet enfoiré. Il m'avait bien dit que je pouvais y aller tranquille hein.
Le cri est revenu, toujours aussi strident, découpant l'air et le monde entier comme la faux couche les hautes herbes sous le geste précis du vieux paysan. Un craquement trop proche pour ne pas être décisif m'a mis en miettes, m'a broyé le corps et le reste aussi. Mais pas longtemps, ça non, j'ai eu la sensation glacée de l'eau qui est venue violer le relatif confort chaleureux de mes grosses godiots d'hiver, puis les cuisses, puis l'étau autours de ma tête, violent et insupportable. Instinctivement, j'ai lancé les bras en arrière, laissé mon barda s'enfoncer dans les profondeurs, et poussé de toutes mes forces vers le haut.
Au milieu des mâchoires de glace qui venaient de m'engloutir, j'ai vu une dernière fois mes pins libérateurs, signe que la berge était toute proche, le soleil dissipait les ultimes brumes qui recouvraient le lac où était postée non loin la cabane de mon père.
Soudain, le cri a changé de tenue et de dimension. Un craquement comparable à la déflagration d'une arme, au fracas du tonnerre suivi de son roulement qui se perd dans le fond d'une vallée. J'ai arrêté mes pas, ne sachant plus trop si je devais continuer à avancer, une goutte à filer le long de mon flan, froide et laissant sur ma peau son sillon glacial. J'ai regardé paniqué autour de moi, la lisière des bois sur ma gauche, sombre et inquiétante. L'étendue légèrement bleutée, se perdait devant et à ma droite dans une purée de pois blanche et incertaine. Je n'ai même pas eu envie de me retourner, l'angoisse de découvrir la chose horrible à mes trousses.
La première idée, réflexe ou instinct reptilien perdu au fin fond de mon cerveau, a été de m'accroupir, comme un enfant se met en position au fond de son lit pendant une peur nocturne, ou comme l'animal pris en chasse et épuisé se tapit dans la première niche venue. J'ai attendu ainsi quelques secondes certainement, une éternité. Ne voyant rien venir, je me suis convaincu de retrouver mes esprits, de respirer aussi, j'ai fini par mettre un genou à terre afin de détendre tout mon corps et de laisser le temps à mon cœur de retrouver un rythme de croisière. J'étais trempé.
"Putain, mais Jerem t'es un sacré boulet quand même!" Me suis-je dit en esquissant un sourire soulagé, mais encore un peu cul-serré, je dois avouer. J'ai posé mon deuxième genou, m'asseyant sur mes talons, j'ai relâché mes épaules, remis en place les bretelles de mon sac à dos dans leurs creux, introduit mes pouces sous ma ceinture afin de bien rentrer mon épaisse chemise à sa place, glissé le dos d'une main en bas de mon dos justement, pour finir. J'avais le cul mouillé, une vraie fiotte aurait dit le paternel. J'ai pensé à lui, mon visage a changé d'expression.
Les mains sur les cuisses, je me suis relevé, j'ai tourné la tête pour cette fois regarder serein derrière moi, j'ai relâché un air qui me semblait vicié depuis bien trop longtemps, la buée est allée se perdre elle aussi dans le brouillard un peu plus loin. J'ai repris mon chemin, jetant ci et là un œil inquisiteur, rien d'anormal à première vue. Si je dis qu'à tout moment, je m'attendais à voir surgir des frondaisons n'importe quel animal sanguinaire ou tout autre danger de cet acabit, vous aurez une idée plus claire de la quiétude qui m'habitait à ce moment là. J'avais grande hâte de me sortir de là.
C'était ça ou passer par les bois, et j'avoue que tant qu'à choisir, je préférais avoir une vision périphérique un peu plus élargie, au moins j'aurai le temps de voir venir. Et s'il le fallait, je pourrais piquer un sprint quitte à abandonner temporairement mon barda pour le premier refuge venu, un arbre sur ma gauche ou la brume environnante, suivant d'où ça allait sortir.
"Hééé, mais t'es con ou quoi, t'arrêtes un peu avec tes conneries, rien ne va te tomber sur le coin de la gueule ou venir te prendre en chasse... Oh, mais t'es pas bien toi hein !"
Je rigolais tout seul, et j'avais honte un peu, mais comme on dit un homme averti en vaut deux, mieux vaut parer à toute éventualité.
J'ai continué, regardant sous chacun de mes pas pendant quelques minutes, mais je ne perdais pas non-plus du coin de l'œil l'orée tant redoutée et pas si lointaine que ça. J'estimais environ à une centaine de mètres ma sécurité toute relative. Au bout d'environ 25 minutes, à un rythme qui se voulait conquérant et sur de soi, ça s'est éclairci. Le soleil a commencé à percer, je devinais les pins épars, signe que j'approchais de la fin de mon calvaire. Juste de quoi me redonner du baume au cœur et me conforter dans mon choix finalement.
Dans une heure, j'aurai rejoint la cabane, ça faisait bien une quinzaine d'année que je n'y avais pas mis les pieds. Avant, j'y passais quelques semaines avec mon père, la saison allait commencer, c'était à mon tour désormais de perpétuer la tradition familiale. Poser les pièges, réparer les lignes, graisser aussi certainement le vieux fusil qui devait désormais être piqué par la rouille, remettre aussi l'endroit en état. J'allais y séjourner pendant quelques mois, c'était un choix. J'en avais besoin, pour moi, me prouver déjà que j'en étais capable, me recentrer aussi sur les priorités de ma vie, savoir ce que j'en attendais désormais.
Ce matin en préparant les derniers détails et en faisant mon ultime inventaire, je m'étais assuré auprès du réceptionniste, après avoir quitté ma chambre, que la météo était bien celle prévue. Il faisait toujours aussi froid, le thermomètre sur le perron de l'hôtel indiquait -17°, normal et de saison, vous pouvez-y aller tranquille m'avait-il dit.
Son père à lui, avait connu le mien, il avait dû aussi me voir tout petit être chaque année du voyage à partir de mes 10 ans. C'était le genre de petit hôtel pour clients de passage, qui voyait quant à lui passer les générations et restait entre les mains familiales.
Je l'ai maudit cet enfoiré. Il m'avait bien dit que je pouvais y aller tranquille hein.
Le cri est revenu, toujours aussi strident, découpant l'air et le monde entier comme la faux couche les hautes herbes sous le geste précis du vieux paysan. Un craquement trop proche pour ne pas être décisif m'a mis en miettes, m'a broyé le corps et le reste aussi. Mais pas longtemps, ça non, j'ai eu la sensation glacée de l'eau qui est venue violer le relatif confort chaleureux de mes grosses godiots d'hiver, puis les cuisses, puis l'étau autours de ma tête, violent et insupportable. Instinctivement, j'ai lancé les bras en arrière, laissé mon barda s'enfoncer dans les profondeurs, et poussé de toutes mes forces vers le haut.
Au milieu des mâchoires de glace qui venaient de m'engloutir, j'ai vu une dernière fois mes pins libérateurs, signe que la berge était toute proche, le soleil dissipait les ultimes brumes qui recouvraient le lac où était postée non loin la cabane de mon père.
Aldaron De Molégers- Occupe le terrain
- Humeur : Alternance de teintes du sombre au clair-obscur.
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