A. Bizarres

Les grandes personnes sont décidément bien bizarres :  courir  tout  azimut comme des fourmis, ça n'a pas de sens !

Il y  a celui-ci sur son tracteur et sa bétaillère, spécialiste du transport en commun de bovins en quête improbable  d'herbe verte en cette période d'hibernation  des  pâturages.

Et cet autre sur son scooter qui tient tout un discours  aussi vain que décousu et dont les piafs de la haie de la voisine font des gorges chaudes.  

Et celui-là  qui erre comme une âme en peine :
Z'avez pas vu ma femme ? Elle est partie, partie je ne sais où, emmenant ses filles, un peu les miennes. Dites, dites-moi qu'elle va revenir ? Dites-lui aussi que mes colères, c'était pas pour elles. Non, je les aime, mes femmes. Mais il y  a ce grain de folie qui se lève en moi comme un orage imprévu. Je vais l'arracher ce chiendent qui pourrit ma vie …

Et encore le Sergio, celui de la maison d'en haut qui passe et repasse devant ma fenêtre.  Le croit-il vraiment ? Croit-il que c'est ainsi qu'il va trouver la perle rare qui, tel un rayon de soleil à la morte saison, va illuminer sa vie ?  Non, Sergio, arrête ! Ici, les fées du logis n'ont pas droit de cité. Où alors, elles ont trouvé chaussure à leur pied, ou peut-être parties sous d'autres cieux, vivre leur vie. Une autre vie  avec des lendemains qui chantent … A défaut du Chasseur Français, inscris-toi sur Meetic. Grâce au chat, tu pourras causer. Causer, et plus si affinités !

Sait-on jamais ? Mais, il le sait, Sergio : au cas où il trouverait l'âme sœur, l'abbé Pauty ne le mariera point ; la semaine dernière, il s'en est allé là bas en cet endroit mystérieux d'où  on ne revient pas. Au ciel, une place lui est réservée : c'était un brave homme !

Tiens ? Encore un voyage du besogneux ? Avec son gros ventre et sa longue queue, il  charrie son blé. Enfin celui des poules impécunieuses mêmes pas foutues de surveiller leur pitance. Mais le cats veille : dans une bouteille bricolée, il place un sachet non millésimé qui pourrait bien mettre fin aux pérégrinations  du rongeur.

Et le matou ?  Il s'en fout  du gros rat voleur de grain !  Il vient de passer une nuit sans rêve, bien  caché au beau milieu des boules de foin qui sentent bon le thym et le serpolet. Sûr de son bon droit, il file droit à sa gamelle de croquettes, saluant son maître d'un miaulement courroucé. Dame, avec l'estomac au fond des pattes, le Gribouille n'a que faire des caresses inappropriés : chaque chose en son temps …

Et puis, il y  a les tourtereaux, ce couple récemment formé,   tout   émerveillé de leur amour tout neuf, eux qui n'y croyaient pas, qui n'y croyaient plus.  Ils  n'ont plus  vingt ans depuis longtemps mais quand l'amour frappe à la porte, l'âge n'a plus aucune importance. Avec le chanteur, je dis « Quand on aime, on  a toujours vingt ans ».

Et moi, derrière ma fenêtre, je suis comme l'enfant, la tête pleine d'illusions et un coeur gros comme ça …

Ils sont bizarres les gens que je vois passer et repasser en ce dernier jour de novembre, mais je les aime bien !