A. Ne pas bouger...

Les grandes personnes sont décidément bien bizarres.
Regarde par exemple, mon père, peintre du dimanche qui a décidé de me tirer le portrait. Oui ! Regardez-le, il est là, derrière moi, on l’aperçoit dans le miroir ! Ça l’enchante pas je vous dis, regardez sa tronche ! En fait c’est ma mère qui l’a obligé à me peindre. Lui n’avait pas envie du tout, je le sais bien ! Il préfère aller peindre la femme du boulanger. Il recommence dix fois sa peinture, jamais content, toujours un truc qui va pas, une couleur pas belle, un trait pas droit, à corriger il dit. Et quand ma mère lui demande c’est quand que tu auras fini, il répond je veux un travail parfait, PAR-FAIT… tu entends ? Alors ma mère se tait, elle crie jamais sur mon père, elle a peur de lui, je crois, elle crie que sur moi !
Mais elle a eu une bonne idée : lui proposer de me peindre, moi. Me peindre moi, ça va le faire rester à la maison, et même dans ma chambre. Oui, ça lui plait à elle, mais pas à moi, j’aime pas qu’on soit toujours après moi, à me surveiller, à regarder ce que je fais. Et puis, je peux pas bouger ! Surtout pas ma tête. Reste comme tu es, il me dit sans cesse. Pas bouger… tu veux que je finisse vite ? Alors reste comme ça, ne respire plus !
Il en a de bonnes lui, ne plus respirer, il veut un fils mort ? C’est maman qui serait pas contente ! Allez papa, vite, un dernier coup de pinceau… aie!  qu’as-tu fait ? Ta belle chemise blanche de peintre est pleine de peinture. Mais papa, tu sais bien que maman va pas être contente !
Ouf il dit qu’il a presque fini et qu’il va vite continuer à peindre la femme du boulanger. Il y est allé hier et avant-hier et il a loin d’avoir terminé.
Je crois que c’est parce que cette dame n’arrête pas de bouger, et il doit recommencer ! Me demande s'il aura fini un jour... enfin ! Si c’est ça qu’il aime… !