A. Le mythe

Depuis tout petit, Julien était d’une grande beauté. Toutes les mamans lui souriaient et se le disputaient pour le prendre dans leurs bras.

A la crèche, puis en maternelle, les demoiselles tombaient sous son charme et ne pouvaient s’empêcher d’avoir une légère préférence. Lorsque sa maman l’emmenait en grande surface pour faire des courses, les caissières ne manquaient pas de s’esclaffer et de lui donner un bonbon ou une image. La bouchère lui tendait, à chaque visite, une tranche de saucisson, en échange de son sourire.

A l’école primaire, c’étaient les filles qui voulaient porter son cartable, qui avaient toujours un biscuit à partager, qui négligeaient la marelle et la corde à danser pour rester à ses côtés. Julien était systématiquement invité à tous leurs anniversaires. Les mamans étaient bien curieuses de rencontrer ce phénomène qui revenait toujours dans les récits de leurs petites protégées.

Julien habitué à toutes ces faveurs, les traversait avec indifférence, presque avec distraction.

Plus tard, il fit des ravages. Si certaines adolescentes le trouvaient trop beau, lui préférant des garçons plus sportifs et surtout plus entreprenants, Sophie, Léa, Martine et tant d’autres, se désespéraient que Julien ne se prononce pas. Malgré toute leur gentillesse et leurs efforts de séduction, Julien n’élisait aucune d’entre elles.

Au cinéma, au théâtre ou dans un établissement, c’était à qui s’assoirait à côté de lui, espérant lui prendre la main. Toujours, Julien s’esquivait.

Dépitées de leur transparence, les fans de Julien, solidaires du rejet de ce dernier, convinrent qu’il fallait réagir et que cela suffisait. Constatant que toutes avaient échoué, elles devaient cesser de se désespérer et prendre leur revanche !

A défaut d’initiative de la part de Julien, ce seraient elles qui la prendraient.

Armées de leurs perches, et par surprise,  elles se mirent chacune à « capturer » Julien dans leur smartphone. Toutes, exhibèrent fièrement leurs tableaux de chasse à Julien. Joue contre joue pour Léa, un baiser sur la joue de Julien pour Sophie, la tête sur l’épaule pour Martine …

Et là, le trouble ! A chaque selfie qui lui était montré, Julien, hypnotisé par son image, ressentait comme des picotements.

Désirant retrouver cette étrange sensation, Julien fit l’acquisition d’une perche et se mit à se photographier. A chaque apparition sur l’écran, les picotements resurgirent, de plus en plus fort. Julien pris des poses, appuya et appuya encore, des poses de plus en plus lascives, jusqu’au ridicule. Julien ne pouvait plus s’arrêter, en sueur, frénétiquement il déclencha images sur images, et tremblant il les fit défiler. Dans sa fébrilité, Julien actionna le bouton « envoyer ».

Le lendemain, son profil facebook fut noyé de 2587 messages « je n’aime pas ».

Voilà le revers de la médaille si on peut dire ainsi, notre Julien pris au piège de sa propre séduction. Je ne peux m'empêcher de me dire quel dommage et quel gâchis ! un si bel homme, n'aimer que lui même !

Ce Julien n'aurait-il pas Narcisse comme 2ème prénom ?

Mais si j'en crois le fonctionnement de Facebook , il avait de drôles d'amis ce Julien !

Ouille! La chute est rude pour ce pauvre Julien

Voici un conte très moderne.

Le mythe de Narcisse revisité, c'est excellent !

Revers douloureux, très bien conté.
Bravo