A. Aller-retour
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Escandélia
Admin
Myrte
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A. Aller-retour
Dans les courants d'air glacés de la gare, deux silhouettes sur un banc sont soudées l'une à l'autre, pour résister au souffle puissant des lignes qui se croisent, en rugissant telles des fauves, comme pour masquer la détresse des adieux et des peines rentrées.
Les portières s'ouvrent avec fracas, aspirent les corps et les valises, les arrachent du quai, puis se referment sans pitié.
Il est seul, à présent. Son pas résonne sur le pavé, dans les ruelles sombres, entre les façades aux fenêtres closes, endormies.
Un croissant de lune, au-dessus des toits, fait son quart, bienveillant.
Son amour est parti.
Le parc, si riant le jour, est devenu une sombre et inquiétante forêt où règnent des sortilèges. Les arbres décharnés dessinent des ombres à l'affût.
La nuit, la ville sans étoiles, la ville insomniaque se met au ralenti. Désertée, elle se pare de mystère. Elle clignote, s'illumine, s'habille de strass, aguiche, invite à l'aventure. Doucement, elle modifie les certitudes.
Ils ne s'étaient rien promis.
Dans les vitrines éclairées, les mannequins figés gardent la pose.
Il entre dans un bistrot, refuge des âmes solitaires. Accoudé au bar, il sirote un whisky. Dans le fond de la salle, quelques égarés chuchotent des vérités.
La porte s'ouvre, laissant entrer l'air glacé et un brin de femme emmitouflée. Elle déroule son cache-nez et commande un café. Ses yeux noirs pétillent. Elle lui adresse un sourire et trempe ses lèvres dans le breuvage brûlant, la tasse blanche entre ses doigts rougis par le froid. Perchée sur un tabouret haut, elle a la grâce de ces femmes chez qui l'enfance s'attarde.
Elle demande un sandwich, mais, à cette heure, il n'y a plus de pain. Alors, il sort de sa poche un "choco" emballé, elle l'accepte volontiers.
- Il y a si longtemps que je n'en ai pas mangé !
Elle le grignote avec gourmandise. Il ne la quitte pas des yeux.
Mais, elle fronce les sourcils en jetant un coup d'œil à la pendule.
- Il ne faut pas que je rate mon train!
Déjà, elle se rhabille et, se dirigeant vers la sortie, pose simplement sa main sur son bras.
- Au revoir, et merci pour le biscuit !
Elle sort et, sans réfléchir, il la suit.
Elle traîne une valise à roulettes. Il marche à ses côtés.
- J'espère que mon train ne sera pas en retard!
Elle a une voix cassée qui l'émeut. Il l'accompagne jusqu'au quai. Son train est à l'heure. Elle grimpe les quelques marches du wagon. Il l'aide à soulever sa valise. Elle lui adresse son joli sourire.
- Merci!
Ils se regardent en silence. Le train va partir dans un instant.
Alors, elle sort de sa poche un vieux ticket et y griffonne des mots. Il a juste le temps de l'attraper au vol, qu'un strident coup de sifflet retentit. Les portières se ferment automatiquement. Le sourire disparait dans la nuit.
Seul sur le quai, appuyé à un réverbère, il lit :
- Retour dimanche même heure
J’ai écrit ce texte dans le cadre d’un atelier d’écriture. La consigne consistait à raconter ce qu’on voulait avec la ville en toile de fond. Ce soir-là, j’ai raccompagné un ami à la gare de Valence. Il était tard, il faisait nuit, c’était entre Noël et le jour de l’an. A la gare, j’ai pris des photos. Mon appareil n’est pas assez performant pour faire des photos de nuit mais j’aime bien le résultat, un peu étrange dans les couleurs et dans le flou. Sur une des photos, on voit un train arrêté avec des visages derrières les vitres. J’aime ces instants fugaces, volés au temps. Sur le quai, on voit un banc avec des amoureux enlacés, très serrés. Ce sont eux qui ont inspiré le début de mon texte. Puis j’ai quitté la gare et j’ai marché dans les rues pour rejoindre ma voiture. J’aime beaucoup les villes la nuit, surtout lorsqu’il y a les décorations de Noël, guirlandes lumineuses et clignotantes, vitrines sur leur trente et un. J’ai imaginé que ce couple sur le banc se séparait. Qu’elle prenait le train et que lui repartait de la gare l’âme en peine. J’ai écrit ce texte comme imprégnée de toutes les sensations que la ville m’avait laissées. J’adore écrire des choses tristes, émouvantes, mais comme on était en période de fête, j’ai eu envie que ma fin soit heureuse, qu’il reste une part d’espoir.
Myrte
Les portières s'ouvrent avec fracas, aspirent les corps et les valises, les arrachent du quai, puis se referment sans pitié.
Il est seul, à présent. Son pas résonne sur le pavé, dans les ruelles sombres, entre les façades aux fenêtres closes, endormies.
Un croissant de lune, au-dessus des toits, fait son quart, bienveillant.
Son amour est parti.
Le parc, si riant le jour, est devenu une sombre et inquiétante forêt où règnent des sortilèges. Les arbres décharnés dessinent des ombres à l'affût.
La nuit, la ville sans étoiles, la ville insomniaque se met au ralenti. Désertée, elle se pare de mystère. Elle clignote, s'illumine, s'habille de strass, aguiche, invite à l'aventure. Doucement, elle modifie les certitudes.
Ils ne s'étaient rien promis.
Dans les vitrines éclairées, les mannequins figés gardent la pose.
Il entre dans un bistrot, refuge des âmes solitaires. Accoudé au bar, il sirote un whisky. Dans le fond de la salle, quelques égarés chuchotent des vérités.
La porte s'ouvre, laissant entrer l'air glacé et un brin de femme emmitouflée. Elle déroule son cache-nez et commande un café. Ses yeux noirs pétillent. Elle lui adresse un sourire et trempe ses lèvres dans le breuvage brûlant, la tasse blanche entre ses doigts rougis par le froid. Perchée sur un tabouret haut, elle a la grâce de ces femmes chez qui l'enfance s'attarde.
Elle demande un sandwich, mais, à cette heure, il n'y a plus de pain. Alors, il sort de sa poche un "choco" emballé, elle l'accepte volontiers.
- Il y a si longtemps que je n'en ai pas mangé !
Elle le grignote avec gourmandise. Il ne la quitte pas des yeux.
Mais, elle fronce les sourcils en jetant un coup d'œil à la pendule.
- Il ne faut pas que je rate mon train!
Déjà, elle se rhabille et, se dirigeant vers la sortie, pose simplement sa main sur son bras.
- Au revoir, et merci pour le biscuit !
Elle sort et, sans réfléchir, il la suit.
Elle traîne une valise à roulettes. Il marche à ses côtés.
- J'espère que mon train ne sera pas en retard!
Elle a une voix cassée qui l'émeut. Il l'accompagne jusqu'au quai. Son train est à l'heure. Elle grimpe les quelques marches du wagon. Il l'aide à soulever sa valise. Elle lui adresse son joli sourire.
- Merci!
Ils se regardent en silence. Le train va partir dans un instant.
Alors, elle sort de sa poche un vieux ticket et y griffonne des mots. Il a juste le temps de l'attraper au vol, qu'un strident coup de sifflet retentit. Les portières se ferment automatiquement. Le sourire disparait dans la nuit.
Seul sur le quai, appuyé à un réverbère, il lit :
- Retour dimanche même heure
J’ai écrit ce texte dans le cadre d’un atelier d’écriture. La consigne consistait à raconter ce qu’on voulait avec la ville en toile de fond. Ce soir-là, j’ai raccompagné un ami à la gare de Valence. Il était tard, il faisait nuit, c’était entre Noël et le jour de l’an. A la gare, j’ai pris des photos. Mon appareil n’est pas assez performant pour faire des photos de nuit mais j’aime bien le résultat, un peu étrange dans les couleurs et dans le flou. Sur une des photos, on voit un train arrêté avec des visages derrières les vitres. J’aime ces instants fugaces, volés au temps. Sur le quai, on voit un banc avec des amoureux enlacés, très serrés. Ce sont eux qui ont inspiré le début de mon texte. Puis j’ai quitté la gare et j’ai marché dans les rues pour rejoindre ma voiture. J’aime beaucoup les villes la nuit, surtout lorsqu’il y a les décorations de Noël, guirlandes lumineuses et clignotantes, vitrines sur leur trente et un. J’ai imaginé que ce couple sur le banc se séparait. Qu’elle prenait le train et que lui repartait de la gare l’âme en peine. J’ai écrit ce texte comme imprégnée de toutes les sensations que la ville m’avait laissées. J’adore écrire des choses tristes, émouvantes, mais comme on était en période de fête, j’ai eu envie que ma fin soit heureuse, qu’il reste une part d’espoir.
Myrte
Myrte- Kaléïd'habitué
- Humeur : Curieuse
Re: A. Aller-retour
Ton texte est tres imagé. On a aucun mal à visualiser la scène . Il est aussi très bien écrit, tant sur le fond que sùr la forme.
M'est venue une réflexion à la fin de ma lecture : il est vite consolé le bonhomme
Tu peux mettre le nom de l'atelier d'écriture pour lequel tu as écrit ce texte si tu le souhaites .
Et tu peux aussi poster la photo dont tu parles, cela nous mettra dans l'ambiance
M'est venue une réflexion à la fin de ma lecture : il est vite consolé le bonhomme
Tu peux mettre le nom de l'atelier d'écriture pour lequel tu as écrit ce texte si tu le souhaites .
Et tu peux aussi poster la photo dont tu parles, cela nous mettra dans l'ambiance
Admin- Admin
- Humeur : Concentrée
Re: A. Aller-retour
Heureusement, il y a un retour ! On retrouve bien ces sensation éprouvées lors d'un départ, d'instantqui se termine et de vide qui s'installe. j'aime bien ton texte.
Escandélia- Kaléïd'habitué
- Humeur : joyeuse
Photo du texte "Aller-retour"
Voici la photo. L'atelier s'appelle "Ailleurs-atelier", il existe toujours mais est devenu payant.
Myrte- Kaléïd'habitué
- Humeur : Curieuse
Re: A. Aller-retour
j'aime bien la photo aussi, qui est très parlante également.
Escandélia- Kaléïd'habitué
- Humeur : joyeuse
Re: A. Aller-retour
L'atmosphère de la ville, la nuit, est superbement rendu par tes mots et par le rythme de ton texte. Bravo !
Belle photo aussi, mystérieuse à souhait.
Belle photo aussi, mystérieuse à souhait.
Nerwen- Modératrice
- Humeur : Légère
Re: A. Aller-retour
Tout à fait d'accord avec Nerwen,les belles images et le rythme de ton texte décrivent très bien l'atmosphère que tu voulais rendre. Tes phrases courtes et poétiques nous promènent dans le décor de ta ville. Super.
virgul- Kaléïd'habitué
- Humeur : optimiste
Re: A. Aller-retour
Il n'était pas possible que personne ne demande la photo... car en lisant la fin de ton texte... j'avais envie de voir la photo.
En tout cas ! Texte bien écrit je trouve. Tu as bien rendue à la nuit son atmosphère... Et surtout, la petite partie sur le parc de jour/de nuit !
Ce texte pourrait s'arrêter là car la fin est bien amenée je trouve.... et en même temps ça donne envie d'en connaître la suite... Lui qui vient de quitter sa belle... en rencontre une autre.... ça donne envie de connaître un peu plus le personnage :-)
En tout cas ! Texte bien écrit je trouve. Tu as bien rendue à la nuit son atmosphère... Et surtout, la petite partie sur le parc de jour/de nuit !
Ce texte pourrait s'arrêter là car la fin est bien amenée je trouve.... et en même temps ça donne envie d'en connaître la suite... Lui qui vient de quitter sa belle... en rencontre une autre.... ça donne envie de connaître un peu plus le personnage :-)
July_C- Kaléïd'habitué
- Humeur : qui vagabonde
Re: A. Aller-retour
Avant de savoir ce qui est écrit, on s'imagine tellement de choses qui auraient pu être mises.
Mais cette promesse de retour est une belle preuve d'attention pour l'autre.
Mais cette promesse de retour est une belle preuve d'attention pour l'autre.
Cara1234- Kaléïd'habitué
- Humeur : Badine
Re: A. Aller-retour
Est-ce qu'il y aura une suite? J'ai aimé, on est vite emporté dans l'histoire, c'est vraiment bien rythmé!
Invité- Invité
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