Kaléïdoplumes 3
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A - Sol Ut Ré

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Message  sprite! Sam 6 Fév - 2:46

Repartir sur les paysages, ces moments gouttes d’or qui ont aidé à avancer, qui ont remis en place ce rôle d’humain paumé parmi les étoiles, qui s’entête à ne pas voir plus haut que le caniveau dans lequel il s’embourbe.

Revenir au lien d’hier avant que la lune funambule me tire d’un sommeil d’ouate. Mais ce n’est pas la lune que j’ai vu ce jour-là. Et comme de deux choses l’une… l’autre c’est le soleil. Je m’en vais vous parler de ce jour d’hiver… je devrais retrouver l’année si je creuse un peu. 84 ? puisque j’y étais avec Pat. Ça rime sans faire exprès ! ou alors 85 ? et Pat, je viens de la revoir à Amsterdam il y a quinze jours après presque vingt ans. A 65 ans elle enseigne encore la danse et les mouvements du corps. Elle espère encore une belle histoire d’amour. Elle adore son appart mais n’aime pas les Hollandais ! pourtant elle est partie y vivre parce qu’elle se cherchait l’endroit idéal sur terre : ses racines italiennes exilées à New-York depuis son grand-père, elle pense les replanter en Europe mais l’Angleterre ne lui va pas trop bien… qu’elle pense. Ah si au moins elle avait attendue ? La petite maison qu’elle occupait quand nous allions ‘travailler notre corps’ dans notre trentaine féministe, fait maintenant partie du coin le plus recherché des artistes et des bourgeois en quête d’exotisme prolétaire qui n’est plus qu’une ombre d’autrefois.  Elle en aurait des clients aujourd’hui, si elle était restée là.

Mais les semelles la démangeait. D’Inde et du Népal elle avait ramené des gestes et mouvements inhabituels … et des sons incohérents qui résonnaient dans ses organes et se voulaient guérisseur.

Elle m’avait accompagnée à la ferme pour Noël. J’ai une photo d’elle et d’un de mes neveu tout petit sur ses genoux. Elle sourit. Elle y est jeune et belle. Je devais l’être encore aussi mais j’ai tellement plus souvent été derrière l’objectif que je ne peux pas comparer. J’ai toujours eu le même age…. à travers tous les temps. Il n’y a que mon corps qui me fait croire à la vieillesse. J’ai toujours eu quinze ans avec des savoirs millénaires sortis de je ne sais où.

Comme à l’habitude, chaque fois que je revenais avec des visiteurs, il y avait au programme la visite de la roche de Solutré. C’est avant que Miterrand la rende célèbre et que les montées se polissent sous les pas trop nombreux des visiteurs. Je l’aimais mieux avant… quand il n’y avait quasiment personne.

Par temps gris nous avons traversé la plaine de la Bresse, traversé la Saône à Fleurville et emprunté les petites routes du Mâconnais à travers ces villages aux maisons de pierre qui sentent la vigne en toutes saisons.

###

La Renault5 se retrouve soudainement dans un soleil d’hiver d’une clarté éblouissante en nous élevant, pourtant de si peu, au-dessus des brumes Bressanes. Garée au pied de la Roche, Pat décide de ne pas y grimper. Elle a peur de s’y blesser le genou. J’ai beau lui assurer qu’en prenant le long chemin, la pente n’est vraiment pas raide et qu’une fois près de l’à-pic on peut tout imaginer de ces hommes de la préhistoire qui parait-il chassaient le cheval en les guidant vers leur chute.



Pas grave, elle m’attendra dans la voiture. Je lui laisse les clefs au cas où il fasse trop froid, qu’elle puisse se réchauffer. Je ne veux pas me sentir responsable de ce genou.
Personne alentours. Grand silence. Les vignes noircies ratissent le paysage comme un jardin japonais ou une cour de poussière Africaine. L’air frais redessine mes poumons. Allègre le chemin. Plein de promesses encore l’avenir. Danse. Taï-chi. Astrologie. Thérapie. Découvertes. Elle est pas belle la vie !
Il ne faut pas très longtemps pour arriver au bord de cette falaise, incongrue comme sa voisine la Roche Vineuse, au milieu des vallons aux formes langoureuses de femmes rotondes et où s’ébattait Lamartine. Les paysans parlent encore de ses retours de fêtes à Mâcon quand il chevauchait, échevelé et bien éméché, en rêvant déjà peut-être d’une Italie qu’il pensait plus poétique.



Et là, souffle coupé. En me retournant vers l’Est. Toute la plaine de la Bresse et plus loin n’est qu’ouate nuageuse. Gommée. Effacée. Impossible d’y voir, d’y deviner même la trace de lieux familiers, les méandres de la Reyssouze, certains clochers, un ruban de route. Une blancheur moutonneuse (redondance ! redondance !...) a oblitéré la maquette miniature d’une enfance aux dimanches Traxion Citroën.

La chaîne des Alpes, impeccablement dessinée en rose avec des touches de jaunes, au loin… mais pas si loin que ça. Tout semble rétrécit dans la froideur du jour. Les sons tintent plus clair. Les couleurs aussi. Le Mont Blanc se détache au-dessus de cette gravure que jamais plus je n'oublierai.  

Ainsi voyageaient donc les hommes des temps anciens. Ils savaient tellement mieux lire les signes d’une nature dont ils faisaient encore partie. Un chef au nez percé d’un os décidait peut-être qu’au moment où les bourgeons préparent leur mue en feuilles, ils marcheraient dans cette direction, rejoindre des familles aux yeux des ancêtres. Par d’autres temps, les rivières et les lacs s’étaient gravé au fond de leur rétines et infaillibles, il savaient les reconnaître  et éviter les marécages où la maladie des moustiques les forçaient à passer par là, longtemps avant la saison des fruits. Ils graviraient un jour des pentes plus escarpées, enjamberaient des torrents plus fougueux, se reposeraient dans des replis de roches chauffés par le soleil pour des nuits fauves de hurlements et hululements d’un langage si proche de leurs peurs, de leur joie aussi.

Un jour ils reviendraient, riches d’enfants nés en route, de pierres colorées échangées pour leur silex tellement meilleurs, de poteries cuites par les gens de la plaine qui connaissaient le feu qui durcit la boue. Ils reprendraient pour quelques saisons des habitudes carnassières en rêvant au la-bas qu’on peut apercevoir parfois, les jours de pierre-fendre quand la terre se rétrécit et donne aux cartes de mémoires des reliefs insensés, coloriés d’un soleil qui renouvelle la palette du devenir au gré des heures qui coulent… inexorablement.

Ils n’ont fait que passer….


Ils n’ont fait que passer…

Ils n’ont fait que passer….

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.
Je ne sais plus à combien de Marathon j’en suis, mais j’ai voulu aborder celui-ci d’une autre manière que les autres en cherchant un fil conducteur pour mes textes. Après le long fleuve (non tranquille) qu’est la Tamise, je suis partie dans mes souvenirs, pourtant pas si nombreux que ça, de ballades en montagne. Ça fait longtemps que je voulais rendre compte de ‘ce moment lumineux’ à la Roche de Solutré, car ces moments lumineux continuent de jalonner et d’éclairer une route qui a tendance à s’insinuer dans l’ombre du devenir.
De tous mes textes du Marathon, je trouve que c’est le plus abouti, surtout la deuxième partie. Comme j’aimerais pouvoir écrire à chaque fois en fait


Dernière édition par sprite! le Sam 6 Fév - 21:41, édité 2 fois
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Message  Admin Sam 6 Fév - 10:10

Il est magnifique ce texte Sprite.
Encore une fois ( ton texte fait écho à celui d'escandelia qui parle aussi de paysages ) tu nous entraînes à la découverte de paysages et on s'y sent immédiatement bien.
Tu parles d'amitié, des racines, de cette quête qui consiste à trouver le lieu qui nous conviendrait, comme ton amie l'a fait.
Du parles du passé avec juste la nostalgie qu'il faut.
Je me souviens a ton arrivée ici, tu craignais ne pas être à la hauteur parce que toutes tes années passées à Londres et la pratique quotidienne de l'anglais t'avaient fait un peu oublier notre belle langue française. Ce n'était pas le cas, ça ne l'est toujours pas.

Pense à rajouter quelques mots sùr ton marathon Smile

Contente de te revoir poster ici clap
Admin
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Message  virgul Sam 6 Fév - 11:38

Très beau texte en effet, et une préférence pour la dernière partie, les hommes des temps anciens, qui est superbe.
Tes images sont poétiques et incisives, une poésie "tranchée" qui donne du rythme à ton texte.

virgul
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Message  Invité Sam 6 Fév - 17:32

Ah oui, en effet, je rejoins Admin pour ce qui est de tes qualités d'écriture et de ta maîtrise de la langue : aucune souci! Tu nous embarques, nous partons en balade et... nous en redemandons! Wink

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Message  sprite! Sam 6 Fév - 21:48

Merci de vos commentaires.

Voila chose faite Admin, de rajouter quelques mots sur pourquoi j'ai choisi ce texte. Depuis que le francais s'est dérouillé pendant les consignes Kalé, je ne l'ai pas reperdue, vu que je suis encore active sur les sites francophones de Haiku, une communauté qui s'en va grandissante et qui me convient plutot bien... et malheureusement comme on ne peut pas être a la fois au four et au moulin, je ne peux plus être autant présente dans d'autres lieux.
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