Tous schizophrènes

Depuis 1948, 691706 morts sur les routes de France. Tout le monde s’en fout.

Une femme morte de froid en 1954, et toute la France est bouleversée.

Chaque année, 70 000 morts prématurées liées au tabac. Tout le monde s’en fout.

La moitié des lits des hôpitaux sont occupés par des personnes ayant des pathologies liées à l’alcool. Ce pourcentage monte à 80 % dans les hôpitaux psychiatriques. Tout le monde s’en fout !

L’abbé Pierre, c’est très bien. Son œuvre est immense, elle est d’utilité publique, c’est certain.  Elle nous invite à nous décentrer de nous-mêmes et à nous tourner vers les plus défavorisés, sans doute. Mais, à mes yeux son plus grand mérite aura été de rendre à des milliers de gens une dignité ou un début de dignité par le travail. Et peut-être d’avoir constitué avant l’heure une entreprise de récupération éminemment rentable et légitime tant et si bien qu’elle est maintenant concurrencée, notamment dans la récupération des vêtements.

Nous pleurons sur les sans abris et dans le même mouvement demandons aux compagnies d’assurances et aux banques d’optimiser leurs profits sur les biens immobiliers qu’ils gèrent avec notre épargne.

Nous nous régalons du chocolat de Côte d’Ivoire pour partie récolté par des enfants enlevés dans le pays voisin. Nous aimons les vêtements de marques fabriqués par des femmes bengalies, éthiopiennes ou chinoises payées au lance-pierre. Nous ne pouvons nous passer de nos Ipad, Iphones et autres Imachin fabriqués par des hordes de paysans chinois déplacés dans des usines dortoirs loin de chez eux.

Alors, oui, l’abbé Pierre, c’est très beau ! Un bel alibi pour émouvoir les belles âmes et laisser dans une ombre confortable le gâchis que nous entretenons par un genre de vie fondamentalement entropique.

Le plus étonnant dans ce monde schizophrène, c’est que notre richesse diminue doucement tant et si bien que nous exploitons encore davantage les pauvres qui nous nourrissent. Les nécessiteux que nous ne voulons pas devenir se lancent dans une course effrénée au « low cost ». Compagnies aériennes « low cost », séjours à l’étranger « low cost », vêtements dégriffés, coiffeurs « low cost », achats dématérialisés sur internet, j’en passe et des meilleures.

Pendant ce temps là, la vie continue. Merci abbé Pierre de nous fournir notre dose périodique de bonne ou mauvaise conscience – c’est selon - et de nous permettre de continuer à vivre comme si de rien était.

Il ne me reste plus qu’à aller faire un don à la Fondation Abbé Pierre dont 75 % seront pris en charge par le gouvernement qui préfère de beaucoup subventionner indirectement ce genre d’association plutôt que de s’atteler à mettre en œuvre des politiques de logement social parfaitement onéreuses et électoralement peu payantes ; au même titre qu’il vaut mieux laisser les quartiers défavorisés vivre du trafic de drogue plutôt que de faire face à des situations insurrectionnelles liées à la pauvreté grandissante de notre pays.

Nous sommes là dans un mouvement profondément évangélique : « Car on donnera à celui qui a; mais à celui qui n'a pas on ôtera même ce qu'il a. » (Mc 4,25)

« Circulez ! Y’a rien à voir. » comme dirait Coluche, qui lui aussi, a parfaitement eu raison de lancer les Restos du cœur qui calment l’appétit du pauvre et remplissent d’aise les bénévoles dévoués. Et pendant ce temps là, la gabegie continue ! Car ne nous y trompons pas les 20 % de riches qui aspiront 80 % de la richesse du monde, c'est nous les pays occidentaux, et pour ma part, je ne suis pas fondamentalement prêt à ce que cela change drastiquement. Believe it or not !