A-D’outre-tombe.

Je suis venu te dire que je m’en vais. J’ai laissé là ma barque sur le sable. De votre enfance à toi et à tes sœurs et frère, la lande a recouvert les traits. Le temps a défié les vagues qui ont porté l’écume blanche de votre insouciance avec tant d’insolence jusqu’aux tréfonds des eaux. Déjà sur l'horizon lointain les nuages enveloppent le soleil de tout ce que nous avons fait jadis. Je pars vers cet inconnu d’où pas un seul ne revient. Je te laisse à toi, ma grande, le soin de porter l’espérance que je n’ai plus la force de cultiver depuis déjà longtemps.

Tu braveras les vents avec les camarades et tu diras pensant à moi, voilà le chemin que je dois prendre. C‘est ce sentier tout droit qui mène jusqu’au port pour prendre les bateaux qui sont resté en rade. Il y en a trois du nom de liberté, d’égalité et de fraternité. Je te fais confiance et à tous les autres de tes frères pour venir les remorquer. Vous les porterez ensemble sur les flots profitant de la marée pour que tous les hommes soient égaux. De solidarité vous croiserez le vaisseau. Vous cheminerez de concert et ce sera un beau cortège que vous conduirez jusqu’aux rivages en agitant vos drapeaux.
Mes enfants et toi ma femme allez d’un pas tranquille. Même si sans moi la route est difficile, demain sera un jour nouveau.

Et je vous dis de par-delà ma tombe, il faut y croire sans cesse. Toujours lever la tête et ne jamais courber le dos. C’est au prix de bien des affres, de bien des sacrifices que le monde peut être beau.


Mon père disparaissait le 2 mars 1991.
Sans avoir pu murmurer à mon oreille, le moindre mot. Je suis arrivée trop tard. Mais il avait la faiblesse de croire en la bonté des hommes, il me le dit bien des fois. Parce qu’il m’a fait confiance j’ai pu avancer sur le chemin qu’il avait tracé pour nous.