A- Le jour où Eve se mit à danser

Elles avaient bravé l’interdit. Portées par l’espoir fou qu’elles pouvaient, qu’elles devaient agir, elles étaient sorties dans la rue.

Elles seraient toutes là, toutes celles de ce quartier maudit, cette prison dans la ville en état de siège.  Elles se l’étaient promis :

- S’il ne nous reste que ce cri de désespoir, nous l’utiliserons, quitte à en mourir.

Et elles l’avaient fait. Elles se rassemblaient par petits groupes sur la grand’place.  Juste avant l’aube, des centaines de femmes, des jeunes, des vieilles, des grandes, des petites, des rondes, des maigres. Toutes générations confondues, elles avaient pris la route, en silence.

Elles avaient traversé la ville en rasant les murs, pour ne pas éveiller de soupçons, se faufilant à travers les rues tels des fantômes qu’elles étaient depuis trop longtemps devenues.

Au-delà de leurs baraques, par-dessus des gravas et des maisons en ruines, elles allaient de l’avant, toujours plus nombreuses, toujours plus motivées, prêtes à se sacrifier. Puisque leur vie n’était qu’on long cauchemar depuis qu’ils avaient pris possession de cette ville. Il n’y aurait que deux alternatives : mourir en luttant ou mourir à petit feu sous le joug de l’occupant.

Beaucoup étaient veuves, d’autres à peine sorties de l’enfance. Mères et filles côte à côte dans un même élan.

Dans un bruissement à peine perceptible, les ombres prirent possession de  la grand’place. Les pieds bien ancrés sur le sol, la tête levée vers le ciel, les femmes attendirent le levé du soleil.

Peu après l’aube, un murmure traversa l’assistance, puis une clameur s’éleva par-dessus la foule. Alors les femmes, d’un même élan, arrachèrent leur burqa, laissant échapper leur chevelure au vent.
Eve, Louna, Héléna, Amina donnèrent l’exemple en jetant devant elles le fardeau témoin de tant d’années de souffrance.

Ainsi, on vit apparaître des robes blanches immaculées sur des corps libérés. Piétinant de leurs pieds nus ce qui avait fait d’elles des fantômes, ces femmes se mirent  à scander d’une même voix.

-Plus jamais des esclaves, vivre libre ou mourir.

Alors Eve sentit qu’elle devait franchir un pas, elle s’avança et se mit à danser.