A - La Brande et son coudert

Ce qui suit n'est pas une fiction. Les noms de lieux sont, on ne peut plus, réels. Ils sont mon environnement : j'habite à La Brande … Ce qui est ici décrit reflète plus ou moins fidèlement la réalité du tout début du 20ème siècle.  Jeantou, c'est peut-être cats dans une vie antérieure …

D'un côté, il y  a  La Brande.  En face Ginès et  Pouget. Entre les deux, s'étend une lande où genièvres et ronciers parsèment  le terrain où paissent   vaches, moutons et chèvres. Le patronyme de La Brande n'a pas été donné au hasard. Les araires et autres charrues sommaires ont du mal à griffer son sol caillouteux. Brande,  lande,  deux mots pour désigner  une amère réalité : en guise de récoltes, l'opulence n'est pas au rendez-vous …

Plus loin, il y a des landes au sol plus généreux. Ce sont les Landes  de Martel  possédées par des paysans qui engrangent blé et noix à profusion.  Dans ces fermes,  filles et garçons trouvent aisément chaussures à leur pied. Dame ! Rentrer gendre ou « nore »  (bru) sur les Landes de Martel, ça  vous pose …

Plus haut,  au- dessus de La Brande,  sur les collines de Végennes en grimpant vers Queyssac-les-Vignes, on y  fait ce petit vin dont les Cantalous se régalent. Au loin, la vallée de la Dordogne, longée par les rochers de Mézels fait rêver Jeantou. Non, il ne sera jamais un gabarrier ... Comme si les marécages au delà Censol étaient  une frontière infranchissable entre  cette commune de l'extrémité du Limousin et le  proche Quercy.

Cette ''frontière'' naturelle n'est  déjà plus la réalité  en cette année 1905.  En bordure des marécages  asséchés, on a ouvert une route qui met Vayrac quasiment à deux pas de La Brande. Lors du découpage de 1790, est-ce la raison qui a prévalu pour rattacher la Chapelle aux Saints à la Corrèze ? Alors qu'elle eut été plus à l'aise dans le Lot, tant son sol, la conception de ses maisons, rappellent le Quercy.

En bas de la Brande, il y  a ces parcelles   sur lequel  Jeantou, avec les voisins de Pouget, a droit de pacage. Depuis la nuit des temps, ce ''coudert'' *  a été octroyé, par on ne sait plus quel acte ou traité, aux gens des deux villages. Des petites gens s'il en est !  Par opposition au riche meunier de Pouget qui, c'est bien normal, n'a pas droit au pacage sur les ''communaux''.  Son moulin    tourne sur un droit d'eau, en fait une déviation de l'Escadrouillère qui, rejoint la Sourdoire avant de se jeter dans la Dordogne.  

Par temps de sécheresse,  les gens d'Aujac, transitant par un petit chemin étroit, vieux comme le monde,  vont puiser l'eau  de l'Escadrouillère qui ne tarit jamais. Et s'ils rencontrent le Jantou et ses ouilles sur le coudert, ils acceptent volontiers son invitation pour noisiller à une prochaine  veillée. D'autant que la maison du Jantou en bordure de la lande, avec sa grande cheminée,  est accueillante.

Quand les noix cassées sont en volume suffisant, la chicotte cessant de perturber le silence avec son tap-tap lancinant, les langues peuvent enfin  se délier.  Dans la cheminée, le feu crépite joyeusement.  Selon le sens du vent, ça fume bien un peu dans la pièce sans pour autant importuner outre mesure les noisilleurs habitués à cet inconvénient mineur.

La cheminée livrera-t-elle un jour son secret ?  Vu la modestie des lieux abritant Jeantou et sa petite famille, on s'interroge. Avec ses deux pieds droits décorés chacun d'une feuille de vigne sculptée, supportent le manteau, une seule pierre de près de trois mètres sur cinquante centimètres de hauteur,  la présence de cette cheminée est surprenante. Au beau milieu, un blason dont on a, vraisemblablement, cassé  le motif central, au marteau et au burin. Jeantou ne se fait pas prier pour donner sa version imagée de l'histoire de cette cheminée …  

Lecteurs, ne soyez pas impatients !  Pour les curieuses et curieux, Jeantou va revenir.  En attendant, une certitude est incontournable : Maintenant, la lande n'existe plus …