A - La cheminée de Pierrotte
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tobermory
catsoniou
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A - La cheminée de Pierrotte
Autour de la grande table, les six veilleuses et veilleurs s'activent, couteau en main pour extirper le cerneau de sa coquille, séparer soigneusement la partie noble de la noix de ses déchets. Déchets ? Pas tout à fait parce que ceux-ci alimentent le feu dans la cheminée. Resserrés dans une grande caisse en bois, les cerneaux attendront patiemment leur ultime voyage vers le Moulin de Pouget. Écrasés par la meule de pierre, chauffés à la température adéquate. Enfin pressés, ils se transformeront en cette huile précieuse conservée d'une année sur l'autre dans les cruches en grès. Le résidu de la presse - le tourteau - sera consommé par les brebis.
Mais nous en étions au noisillage. On est à l'écoute des histoires qui se transmettent d'une génération à l'autre …
- Jeantou, tu ne nous as pas tout dit sur ta cheminée ? C'était comment déjà, ton arrière arrière grand-père ?
- Pierrotte …
- L'année dernière, tu nous avais parlé de Pierre …
- Pierrotte, c'était avant. Mais si vous m'interrompez tout le temps …
- Vas-y, on t'écoute !
« Mon aïeul, le Pierrotte, contraint et forcé par la pauvreté de sa lande, se louait en qualité de maçon partout où on avait besoin de lui, principalement à Curemonte, commune voisine. Avec ses deux châteaux et trois églises, le travail ne manquait pas. Il y avait là des roches en grès suffisamment friables pour permettre aux tailleurs de pierre d'exercer leur talent. Et ma foi, il se débrouillait pas trop mal, mon Pépé.
D'ailleurs, il avait plusieurs fers au feu. Plus exactement, en sus de son travail pour les riches de Curemonte, il construisait sa maison. Et il avait vu grand, le bougre ! Les pierres pour les murs, il les prenait au Chauze, à quelques pas de la masure qui l'abritait avec sa Marissou et leurs cinq petits. Contre un coup de main au Perical, le riche du Laurent, il pouvait utiliser ses bœufs et son tombereau en fonction de ses besoins en matériaux.
Le Perical a un peu tordu le nez quand Jeantou lui a demandé les boeufs pour ramener des grosses pierres de Curemonte. Il a même dit :
- T'es pas un peu fada de trimballer ces grosses pavasses ! Tu voudrais pas faire une cheminée comme la mienne des fois ?
- Non ! Moussu Perical. Non, c'est pour des linteaux de portes seulement …
Mais le riche avait semé une idée folle dans la tête de Jantou. Il allait la faire, cette cheminée ! Il avait le plan dans sa tête Deux piedroits et les chevauchant, le linteau surmonté du manteau, la pièce la plus conséquente. Vu la friabilité du grès de Curemonte, il envisageait des sculptures : deux feuilles de vigne sur les piedroits et un joli blason sur le manteau. Pour le motif, il ne voyait rien de mieux que la fleur de lys …
Je vous passe les détails. Vous la voyez, là devant vous, la cheminée de Pierrotte. Mais ça l'a usé le pauvre Pierrotte. Il est mort à 50 ans. Après, il y a eu son fils, le Pierre. Mais je vous ennuie peut-être ? »
- Maria ! Verse à boire …
- Continue, Jeantou ! Qu'est-ce qu'il a fait le Pierre ?
« Il avait trente ans quand il y a eu la Révolution. Le Pierre n'a pas été le dernier pour ouvrir sa goule pour dresser le cahier de doléances. Et devinez qui inscrivait ?
- Le Perical ?
- Tout juste. D'ailleurs, il s'est si bien mis en avant que plus tard, il est devenu Maire de la commune. Et, à ce moment-là, il n'y avait pas plus révolutionnaire que Perical le riche. Son zèle flanquait un peu la trouille à Pierre. Par précaution, avec quelques remords pour le travail de Pierrotte, il s'empressa, marteau et burin en main d'effacer sur la cheminée, la fleur de lys, symbole de la royauté.
Dans leur enthousiasme révolutionnaire, les Capellous décidèrent qu'il fallait en finir avec la glorification de la religion. Ainsi, la Chapelle aux Saints devint la Chapelle aux Prés momentanément. On en revint plus tard, pour la commune, au nom initial.
- Ta cheminée, si elle pouvait causer, elle en aurait des choses à raconter. Mais, tiens, c'est déjà l'heure d'aller faire dormir les yeux ...
_______________Mais nous en étions au noisillage. On est à l'écoute des histoires qui se transmettent d'une génération à l'autre …
- Jeantou, tu ne nous as pas tout dit sur ta cheminée ? C'était comment déjà, ton arrière arrière grand-père ?
- Pierrotte …
- L'année dernière, tu nous avais parlé de Pierre …
- Pierrotte, c'était avant. Mais si vous m'interrompez tout le temps …
- Vas-y, on t'écoute !
« Mon aïeul, le Pierrotte, contraint et forcé par la pauvreté de sa lande, se louait en qualité de maçon partout où on avait besoin de lui, principalement à Curemonte, commune voisine. Avec ses deux châteaux et trois églises, le travail ne manquait pas. Il y avait là des roches en grès suffisamment friables pour permettre aux tailleurs de pierre d'exercer leur talent. Et ma foi, il se débrouillait pas trop mal, mon Pépé.
D'ailleurs, il avait plusieurs fers au feu. Plus exactement, en sus de son travail pour les riches de Curemonte, il construisait sa maison. Et il avait vu grand, le bougre ! Les pierres pour les murs, il les prenait au Chauze, à quelques pas de la masure qui l'abritait avec sa Marissou et leurs cinq petits. Contre un coup de main au Perical, le riche du Laurent, il pouvait utiliser ses bœufs et son tombereau en fonction de ses besoins en matériaux.
Le Perical a un peu tordu le nez quand Jeantou lui a demandé les boeufs pour ramener des grosses pierres de Curemonte. Il a même dit :
- T'es pas un peu fada de trimballer ces grosses pavasses ! Tu voudrais pas faire une cheminée comme la mienne des fois ?
- Non ! Moussu Perical. Non, c'est pour des linteaux de portes seulement …
Mais le riche avait semé une idée folle dans la tête de Jantou. Il allait la faire, cette cheminée ! Il avait le plan dans sa tête Deux piedroits et les chevauchant, le linteau surmonté du manteau, la pièce la plus conséquente. Vu la friabilité du grès de Curemonte, il envisageait des sculptures : deux feuilles de vigne sur les piedroits et un joli blason sur le manteau. Pour le motif, il ne voyait rien de mieux que la fleur de lys …
Je vous passe les détails. Vous la voyez, là devant vous, la cheminée de Pierrotte. Mais ça l'a usé le pauvre Pierrotte. Il est mort à 50 ans. Après, il y a eu son fils, le Pierre. Mais je vous ennuie peut-être ? »
- Maria ! Verse à boire …
- Continue, Jeantou ! Qu'est-ce qu'il a fait le Pierre ?
« Il avait trente ans quand il y a eu la Révolution. Le Pierre n'a pas été le dernier pour ouvrir sa goule pour dresser le cahier de doléances. Et devinez qui inscrivait ?
- Le Perical ?
- Tout juste. D'ailleurs, il s'est si bien mis en avant que plus tard, il est devenu Maire de la commune. Et, à ce moment-là, il n'y avait pas plus révolutionnaire que Perical le riche. Son zèle flanquait un peu la trouille à Pierre. Par précaution, avec quelques remords pour le travail de Pierrotte, il s'empressa, marteau et burin en main d'effacer sur la cheminée, la fleur de lys, symbole de la royauté.
Dans leur enthousiasme révolutionnaire, les Capellous décidèrent qu'il fallait en finir avec la glorification de la religion. Ainsi, la Chapelle aux Saints devint la Chapelle aux Prés momentanément. On en revint plus tard, pour la commune, au nom initial.
- Ta cheminée, si elle pouvait causer, elle en aurait des choses à raconter. Mais, tiens, c'est déjà l'heure d'aller faire dormir les yeux ...
Voilà qui nous éloigne de la Lande de Haute Gascogne.
Cependant, n'y a - t - il pas des similitudes entre Les Landes où paissaient les moutons gardés par les bergers montés sur leurs échasses ? Ils ont été chassés par les pins et la récolte de la résine. Les gemmeurs, non sans mener des luttes pour défendre leurs droits au début du 20ème siècle, disparurent quand il fut jugé que la transformation des bois de pin en pâte à papier était plus rentable que la récolte de la résine, travail artisanal s'il en est !
Avec l'arrivée des gros tracteurs équipés de charrues qui fouaillent la terre en profondeur et l'intrusion des engrais et autres pesticides, ma Brande est devenue pour un temps terre à tabac, prairies artificielles et céréales. Sur son périmètre, on a construit plein de maisons. Alors qu'à l'époque de Jeantou, il n'y avait que la maison construite par Pierrotte et les vestiges de la masure habitée précédemment qui sont visibles encore aujourd'hui.
En Haute - Gascogne, en Bas - Limousin, à partir des photos de Félix Arnaudin et de l'histoire de La Brande et son coudert, complétée par la cheminée de Pierrotte, une même évidence s'impose :
Avec l'arrivée des gros tracteurs équipés de charrues qui fouaillent la terre en profondeur et l'intrusion des engrais et autres pesticides, ma Brande est devenue pour un temps terre à tabac, prairies artificielles et céréales. Sur son périmètre, on a construit plein de maisons. Alors qu'à l'époque de Jeantou, il n'y avait que la maison construite par Pierrotte et les vestiges de la masure habitée précédemment qui sont visibles encore aujourd'hui.
En Haute - Gascogne, en Bas - Limousin, à partir des photos de Félix Arnaudin et de l'histoire de La Brande et son coudert, complétée par la cheminée de Pierrotte, une même évidence s'impose :
« Maintenant, la lande n’existe plus ».
catsoniou- Kaléïd'habitué
- Humeur : couci - couça
Re: A - La cheminée de Pierrotte
J'ai lu à la suite tes deux textes. C'est très documenté, bourré de renseignement sur la vie des gens à cette époque, et bien écrit. Tu as là la base pour écrire un roman de terroir.
La dernière partie, qui fait un parallèle entre ta brande et les Landes de Gascogne m'a fait sourire dans sa volonté de te rattacher aux photos illustrant cette dernière. Mais tu as bien exprimé le traits communs aux deux, surtout dans leur devenir. A quand le jumelage ?
La dernière partie, qui fait un parallèle entre ta brande et les Landes de Gascogne m'a fait sourire dans sa volonté de te rattacher aux photos illustrant cette dernière. Mais tu as bien exprimé le traits communs aux deux, surtout dans leur devenir. A quand le jumelage ?
tobermory- Kaléïd'habitué
- Humeur : Changeante
Re: A - La cheminée de Pierrotte
Je suis d'accord avec Tober, il y a, en effet, dans ces textes si documentés, une profusion d'informations qui ne demandes qu'à être développées et ordonnées dans un roman de terroir. Tu t'y mets quand ?
Nerwen- Modératrice
- Humeur : Légère
Re: A - La cheminée de Pierrotte
Cette consigne qui t'es dédié à l'occasion de ton anniversaire, t'inspire beaucoup, et c'est un délice.
Je rejoins Tober et Nerwen pour la qualité des descriptions de ce passé.
Bravo
Je rejoins Tober et Nerwen pour la qualité des descriptions de ce passé.
Bravo
trainmusical- Occupe le terrain
- Humeur : à vous de juger :-)
Re: A - La cheminée de Pierrotte
Tu as trouvé le thème de ton cinquième roman, alors ? Les mémoires de la Brande ? C'est très agréable à lire et très documenté.
Escandélia- Kaléïd'habitué
- Humeur : joyeuse
Re: A - La cheminée de Pierrotte
Me voilà mis au défi ...
Cependant, il est une expression qui pourrait me freiner :
"Nul n'est prophète en son pays" ...
Cependant, il est une expression qui pourrait me freiner :
"Nul n'est prophète en son pays" ...
catsoniou- Kaléïd'habitué
- Humeur : couci - couça
Re: A - La cheminée de Pierrotte
Comme déjà dit plus haut, un texte très documenté et au langage adapté. Les histoires de terroir délient ta plume (les autres histoires aussi )
Mesange- Kaléïd'habitué
- Humeur : en phase de reconcentration
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